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INTERVIEW - Le président ivoirien Alassane Ouattara explique au Figaro pourquoi Laurent Gbagbo devra être jugé par la Cour pénale internationale. LE FIGARO - Monsieur le président, quatre mois après votre prise de fonctions, l'ordre et la sécurité sont-ils rétablis dans l'ensemble de la Côte d'Ivoire ?
ALASSANE OUATTARA - Tout à fait. Nous y travaillons sans relâche. La crise postélectorale a été très difficile. Nous avons connu un vide sécuritaire. Quatre mois après, la situation est sécurisée à Abidjan comme à l'intérieur du pays. Chacun vaque à ses occupations. Les entreprises travaillent normalement. Les investisseurs reviennent et les grands travaux ont commencé. La situation est apaisée et les Ivoiriens sont au travail dans la paix.
Vous avez mis en place une commission dialogue, vérité, réconciliation. Où en est la réconciliation, notamment avec les partisans de Laurent Gbagbo ?
Nous avons tendu la main aux partisans de Laurent Gbagbo. Lors de la formation du gouvernement, je leur avais même proposé d'y participer. Ils ont préféré attendre. J'espère qu'à l'issue des législatives de décembre, ils participeront au gouvernement. Ceci étant, la commission a un rôle important, mais la réconciliation doit se faire au niveau de chaque Ivoirien. C'est ce que nous faisons en tenant un langage de rassemblement, parce que l'exemple doit venir d'en haut. Jusqu'ici, les Ivoiriens avaient entendu un discours de haine. Je tiens pour ma part un discours de paix. J'appelle au rassemblement des Ivoiriens. J'appelle à la tolérance. Et les actes que nous posons sont des actes forts dans ce domaine. Des postes importants ont été proposés à des personnes qui sont clairement identifiées avec le parti de M. Gbagbo. En matière de conditions de détention, nous nous assurons que les uns et les autres soient bien traités. Des dispositions sont prises pour que les réfugiés dans les pays voisins reviennent.
Avez-vous le sentiment que les partisans de Laurent Gbagbo jouent le jeu ?
Certains responsables ont un langage de paix. D'autres, plus extrémistes, pensent que la solution ne passe pas par la voie des urnes. Notre rôle est de continuer à leur dire que nous voulons une Côte d'Ivoire démocratique et en paix et qu'ils ont intérêt à s'insérer dans ce processus.
Les coupables d'exactions dans les rangs des forces qui ont combattu Gbagbo seront-ils jugés ?
Il y a eu des dérapages et je les déplore. Les militaires font leur travail, leur mission c'est de défendre le territoire, les policiers et les gendarmes s'occupent du maintien de l'ordre, les choses sont maintenant claires, les dérapages sont de plus en plus rares. Nous avons eu à faire face à une situation très compliquée, je le reconnais. Mais l'État de droit est en marche. Nous sommes déterminés de mettre fin aux dérapages et nous sommes en train de réussir. Il n'y a pas de réconciliation sans justice, mais le pardon ce n'est pas l'impunité. Nous voulons savoir ce qui s'est passé et à partir de là nous prendrons des mesures. J'entends dire qu'il y a une «justice des vainqueurs». Ce n'est pas du tout mon approche. J'ai mis en place une commission nationale d'enquête qui va terminer ses travaux d'ici à la fin de l'année. Nous prendrons alors les mesures nécessaires. Ceux qui doivent être jugés le seront, de quelque bord qu'ils soient. Il n'y aura pas de volonté de punir les uns et de créer l'impunité pour les autres. Malheureusement la Côte d'Ivoire a été un État de non-droit, de criminalité, d'assassinats et d'arrestations arbitraires. Je ferai en sorte qu'il soit mis fin à cette période d'impunité généralisée.
Laurent Gbagbo sera-t-il jugé en Côte d'Ivoire ou relève-t-il de la justice internationale ?
Laurent Gbagbo a été inculpé en Côte d'Ivoire pour crimes économiques avec de nombreux collaborateurs. Le pays a été pillé par son régime. Des centaines de millions de francs CFA ont disparu de la banque centrale. Les banques commerciales ont aussi été pillées sans compter. Les audits d'entreprises publiques, qui seront rendus publics en temps opportun, montrent l'étendue des malversations dans le cacao et le pétrole. Tout cela va cesser. Laurent Gbagbo a, par ailleurs, refusé le verdict des urnes, alors que les élections étaient transparentes et supervisées par les Nations unies. Il a plongé la Côte d'Ivoire dans une crise sans précédent qui a fait des milliers de morts. Nous n'avons pas la capacité de juger de tels crimes. Nous avons demandé à la Cour pénale internationale de se saisir de ce dossier. Ce processus est en cours. Je ne veux pas que l'on parle de «justice des vainqueurs» et que l'on puisse dire que c'est Alassane Ouattara qui a condamné Laurent Gbagbo.
La Côte d'Ivoire va voir son PIB reculer de 5 à 6% cette année. Que comptez-vous faire pour relancer l'économie ?
Au premier trimestre, la chute du PIB était estimée pour 2011 à 10%. Nous sommes maintenant à 5 ou 6%. Pour 2012, la mission du FMI à Abidjan prévoit une croissance de 8%. Cela représente une explosion de l'activité économique. C'est bien mon programme: relancer les investissements publics, obtenir rapidement une efficacité dans l'utilisation des ressources du pays. Mon ambition est que la Côte d'Ivoire devienne un pays émergent à l'horizon 2015-2020. Nous avons toute une série de projets dont le financement est prévu et qui pourront commencer d'ici deux à trois mois. L'amélioration de la situation économique est un facteur important de la réconciliation.
Quelle place voyez-vous pour les entreprises françaises ?
Elles sont en pointe, parce qu'elles sont dans le pays depuis longtemps. Ceci étant, les projets sont ouverts à appels d'offres. Il y aura une diversification des investissements, mais la France continuera de jouer un rôle prépondérant.
Comment qualifiez-vous les relations entre la Côte d'Ivoire et la France ?
Elles sont excellentes. Ce n'est pas surprenant. Il y a eu une parenthèse de démagogie pendant les années de Laurent Gbagbo. Mais les liens avec la France sont historiques et forts. Nous sommes très fiers de ces relations d'amitié avec le peuple français.
Quelles sont vos attentes en matière de défense ?
Nous souhaitons le maintien d'une base française en Côte d'Ivoire. Notre pays est un pôle important en Afrique de l'Ouest et nous souhaitons être un pôle de sécurité régionale. Nous avons besoin d'une structure, notamment en matière de renseignements, pour lutter contre le terrorisme et le trafic de drogue. C'est dans l'intérêt de la France, comme de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique. La situation en Libye peut peser sur la région avec la circulation d'armes lourdes et une pression démographique et sociale qui sera compliquée à contenir.
L'avocat Robert Bourgi a accusé Jacques Chirac et Dominique de Villepin d'avoir reçu des mallettes de billets de banque provenant, dit-il, de chefs d'État africains. Il cite la Côte d'Ivoire. Avez-vous eu connaissance de ces faits ?
J'étais dans l'opposition. Ceci étant, je suis surpris, parce que Laurent Gbagbo disait être un nationaliste soucieux de l'utilisation des deniers publics dans l'intérêt des Ivoiriens. Je note cependant que les chefs d'État cités ont tous démenti et que le président Chirac et M. de Villepin vont porter plainte. C'est une affaire qui ne nous concerne pas.
Vous êtes un expert reconnu des affaires économiques. Quel jugement portez-vous sur la situation de l'économie mondiale ?
La situation est très difficile, il ne faut pas se le cacher. Il y a dix ou douze ans, lorsque j'étais directeur général adjoint du FMI, nous avions mis en garde et appelé à la transparence, mais les grands États ont toujours voulu gérer leur économie à leur avantage sans tenir compte de la situation globale. Il faut assainir les banques et les finances publiques. En 1990, quand j'étais premier ministre, j'avais proposé au président Houphoüet-Boigny d'inscrire la règle d'or dans la Constitution et de limiter le taux d'imposition à un tiers des revenus des citoyens. Nous étions des précurseurs ! Les grands pays doivent comprendre que l'on ne peut pas vivre éternellement à crédit et qu'ils doivent penser aux générations futures.
Il y a quelques années, l'Afrique paraissait mal partie. Aujourd'hui, la situation semble s'inverser. L'Afrique est-elle bien partie ?
Je pense que l'Afrique est bien partie et je suis aussi d'accord pour dire qu'elle était mal partie. Les dirigeants africains ont mis du temps à comprendre qu'il fallait gérer l'économie avec des critères très simples d'équilibre budgétaire, de maîtrise de l'inflation et de recherche de la compétitivité. Aujourd'hui, le déficit est très faible dans la plupart des pays africains, les taux de change sont devenus flexibles ce qui favorise l'activité. La source de croissance mondiale se trouve actuellement en Asie mais je suis persuadé que l'Afrique apportera bientôt un complément considérable avec des taux de croissance de 6 à 8%.
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