Dans l'enfer des «tournantes»
[/g]Ce texte sur les tournantes explique que c'est une sorte de punition pour les maghrébines qui adoptent "une vie à la française".
[g]Les viols collectifs, appelés les tournantes, qui, dans les banlieues difficiles des grandes villes françaises, ont pris les dimensions d'une vraie «épidémie». Notre collaborateur à Paris a rencontré l'une de ces victimes qui, en brisant le silence, est devenue la coqueluche des médias français.
À quelques mètres de distance, Samira Bellil, 29 ans et petit format, aurait plutôt l'air d'une gamine des rues. De près et de face, on voit une femme qui a vécu. Quand elle sourit, on pense parfois à Angie MacDowell. De profil, à la chanteuse Maria Bethania.
Samira Bellil est un sacré personnage, à facettes multiples. Un discours très structuré. Quand elle est passée l'autre soir à l'émission Vie privée vie publique consacrée à la violence sexuelle, elle a volé la vedette aux autres invités pendant une heure. Avec, pour la première fois en public, de la part d'une victime, des propos très cohérents et graves sur les viols collectifs - les «tournantes» - qui, dans les banlieues difficiles des grandes villes françaises, ont pris les dimensions d'une vraie «épidémie». Et en même temps elle vous dit : «Moi aussi, à 15 ans, je faisais des vols avec violence. Je me battais. Je ne suis pas ceinture noire de karaté, mais du coup de boule... Un mètre 60, peut-être, mais je suis du genre tigresse...»
Même son milieu social et familial est compliqué et contradictoire. Parents algériens, père ouvrier (et brutal), mère femme de ménage, placement «en famille» jusqu'à l'âge de cinq ans, décrochage scolaire et foyers pour filles seules, aujourd'hui animatrice à temps partiel pour enfants et RMI (le bien-être social). Et en même temps, sa famille ne ressemble pas du tout aux clichés actuels sur l'extrême pauvreté. «Nous n'avons jamais habité en HLM, et dans le quartier on me traitait de bourge...» Aujourd'hui, sa mère, qui aurait plutôt l'air d'une grande s?ur, a des allures de bourgeoise et ses deux petites s?urs sont à l'Université - la Sorbonne et Montpellier.
«Mais, en même temps, dit-elle froidement en tirant sur sa énième cigarette, je suis une fille des cités, c'est mon monde. Je peux aller dans n'importe quelle cité, alors que vous n'y mettrez jamais les pieds...»
Un cauchemar
À 29 ans, Samira est devenue ces jours-ci une vedette des médias. Pour la toute première fois, une fille des «quartiers» (autre dénomination pudique des banlieues et des «cités») raconte en détail comment elle a été, à 14 ans, victime de viols collectifs. Un cauchemar que les jeunes des cités ont surnommé «les tournantes», terme quelque peu dérisoire pour des viols en bandes qui se passent dans des conditions abominables, avec séquestration, et des violences qui s'apparentent à de la torture.
Cela se passait en 1987, à Sarcelles, une banlieue particulièrement dure. Samira, est l'aînée de la famille (il y aura deux autres s?urs) et subit tout le poids de la tradition : «Pour mon père, c'était la fille à la maison, qui aide sa mère et ne sort jamais. À partir de 11 ans, des coups pour une vaisselle mal faite, avoir répondu à ma mère. Dans les banlieues, il y a deux modèles, pas trois : ou bien tu es la fille qui obéit et qui file doux. Ou tu es la fille qui sort et porte un jean serré - qui vit «à la française» - et alors tu es une salope, une «fille à caves». Et, dans ces cas-là, tu aurais beau avoir un grand frère, il ne fera rien pour toi, parce que lui aussi te considère comme ça.»
Samira fait partie des filles «qui sortent». À 14 ans, elle a un petit ami, Jaïd, le plus beau du quartier et un petit chef. C'est lui qui l'attire dans un guet-apens et la refile à K., un colosse «africain» d'un mètre 95. Coups de poing sur la gueule, coups de botte. Elle est violée toute une nuit par K. et deux copains à lui. Deux mois plus tard, elle tombe par hasard sur K. dans le RER (le métro de banlieue), qui la cogne et commence à la violer devant les passagers, terrorisés, qui laissent faire et ne tirent même pas le signal d'alarme. Après quoi, il la sort du train à une station et l'entraîne dans une cave d'immeuble pour de nouvelles heures de cauchemar.
Dans un premier temps, Samira réagit comme la majorité des victimes des «tournantes» : elle est prostrée, ne sort plus, n'en parle à personne. «Par ma meilleure copine, dit-elle aujourd'hui, j'ai appris que tout le «quartier» était au courant. Je n'avais pas porté plainte, donc j'étais consentante, j'étais une pute. Et comme j'avais déjà couché avec Jaïd auparavant, je n'étais plus vierge, et je n'avais eu que ce que je méritais.»
Tombeuse de caïd
Mais de fait, à l'initiative d'autres victimes de ce K., elle porte plainte elle aussi deux mois après les faits. Et, en 1988, lors d'un procès où on a «oublié» de la convoquer, son agresseur - qui a violé dix autres filles - est quand même condamné à huit ans de prison. Ce n'était pas un cauchemar, c'était la réalité. Et elle la victime d'un crime.
«Avant de porter plainte, j'étais une marie-couche-toi-là, qui aimait ça. Après, je suis devenue la salope qui a fait tomber K. On me montrait du doigt, j'ai eu des crachats, des agressions. Moins maintenant : mes parents ont déménagé de Sarcelles à Saint-Denis, et puis je ne suis plus une ado, je suis une grande...»
Il n'empêche : «Je sais que je suis connue dans un périmètre donné comme celle qui a fricoté avec la police, qui a donné un caïd... Aujourd'hui encore, il y a des endroits où je ne mets pas les pieds. Quand je suis dehors, j'ai des yeux partout. J'assume et j'ouvre l'oeil.» Elle a croisé K., sorti de prison et, semble-t-il, proxénète, à deux ou trois reprises : «De loin. Il ne s'est rien passé. Il a payé sa dette à la société. Huit ans de prison. Moi, quinze ans de galère.»
Elle a mis à peu près ce temps à en sortir -à peu près. Elle vit ? réconciliée - avec sa mère à Saint-Denis. Diplôme et boulot d'animatrice socioculturelle pour enfants. Mais derrière elle, il y a près de quinze ans d'errance, de fugues, de dépressions graves, de foyers d'accueil, deux tentatives de suicide et puis des crises d'épilepsie. Cinq années de psychothérapie l'ont ramenée à la surface : «Je ne voulais pas me laisser faire, et finir comme les autres filles qui ont vécu la même chose : la came, la drogue, la prostitution...»
«La tradition»
Car voici le problème : les horreurs dont parle Samira n'ont rien d'exceptionnel. Les «tournantes» qui, selon elle, n'existaient pas vraiment il y a plus de quinze ans, sont devenues «une vraie épidémie» dans les «quartiers», de l'est de Paris jusqu'à Marseille. Des viols collectifs dans des cages d'escalier, dans des caves pourries ou des locaux à poubelles, il y en a régulièrement, un peu partout : dans les cités, «tout le monde» le sait à peu près, mais il y a généralement la loi du silence.
Combien ? «On ne sait pas, dit-elle. Je n'ai pas fait l'ENA ou Polytechnique, alors les statistiques... Mais on sait pour une telle ou une telle. Je connais le cas d'une handicapée mentale : avec des pitbulls, des manches à balai...»
Comme par hasard, un procès vient de défrayer l'actualité, il y a une quinzaine de jours. Une adolescente d'Argenteuil, 15 ans, et qui a été séquestrée, terrorisée, battue, violée pendant près d'un mois et demi, y compris dans les toilettes d'un tribunal où elle avait «servi» à un type tout juste sorti de prison. Il y avait vingt accusés dans le box, tous âgés de moins de 18 ans. Dix-neuf condamnations à la prison, dont plusieurs ferme, cinq ans pour les principaux responsables. Après le verdict, la mère d'un jeune violeur hurlait aux caméras : «Cinq ans de prison pour deux fellations, vous trouvez ça juste ?»
Dans une cité, deux adolescents commentaient pour le journal télévisé : «Il faut comprendre les mecs. La fille ne se contrôlait plus. Elle était devenue une bête.»
D'où la question qui se pose : cette mentalité délirante sur «les filles bien» (à la maison) et «les salopes» n'a-t-elle pas quelque chose à voir directement avec ce que Samira elle-même appelle «la tradition», c'est-à-dire la tradition de la population maghrébine et musulmane, souvent majoritaire dans les cités ?
Une question que Samira préfère évacuer ou contourner : «Ce n'est pas une affaire de religion musulmane, proteste-t-elle. Dans mon cas, il y avait des Arabes, des Africains et des Français. La mère du violeur, à Argenteuil, était parfaitement française. Et dans toutes les tournantes, on retrouve des petits Stéphane et des Guillaume... Le problème, c'est que dans les cités, la seule loi connue est celle du plus fort et de la violence.»
Il n'en reste pas moins que quand elle parle de «la tradition (sur les femmes) qui est sortie de la maison pour descendre dans la rue», c'est à la tradition musulmane qu'elle fait référence sans le dire.
La «tradition» ne suffit pas à tout expliquer : le degré de violence, de délinquance et de «non-droit» atteint dans beaucoup de ces «quartiers» y est pour beaucoup, et concerne volontiers des populations bien «françaises». Mais, comme Samira Bellil le dit spontanément, «si on a jusqu'ici fermé les yeux sur les tournantes, c'est que les victimes étaient toujours des filles maghrébines... Le jour où ce sont des «Françaises», ça réagira autrement...»
source : http://www.resistance-feminine.org [...] -enfer.htm