glurps35 Glou? | Code :
- 37,5 torchons ou bien 40 serviettes ?
- (par Claude Danthony, maître de conférences de mathématiques à l'École
- normale supérieure de Lyon)
- Un grand battage médiatique ne cesse actuellement d'opérer une
- comparaison entre le nombre d'annuités nécessaires pour obtenir une
- retraite à taux plein : 37,5 dans le public et 40 dans le privé, et de
- déduire de ces deux chiffres que c'est inéquitable.
- Mais personne ne pense à préciser que le même mot « annuité » correspond
- à des réalités tellement différentes dans les deux régimes que la
- comparaison n'a guère de sens : autant ajouter des torchons et des
- serviettes !
- Démonstration :
- Nous avons tous appris à l'école qu'on n'ajoute pas des choux et des
- carottes ou des torchons et des serviettes. Tout comptable sait que des
- comparaisons ne sont valables que si elles sont effectuées « à structure
- comparable. En tant que scientifique, j'ai le devoir, lorsque je compare
- deux données chiffrées, de commencer par vérifier qu'elles correspondent
- à la même réalité, par exemple sont exprimées dans la même unité. Sinon,
- on peut faire dire absolument n'importe quoi aux chiffres.
- Le mot "annuité" correspond en fait à un nombre issu de calculs
- totalement différents dans les deux régimes. En gros :
- Dans le public, le nombre d'annuités correspond au temps où l'on occupe
- effectivement un emploi, au prorata du temps de travail (ainsi, 1 an de
- travail à mi-temps donne une demi-annuité, 1 an à 80% donne 0,8 annuité,
- etc.)
- Dans le privé, c'est bien plus compliqué. Cela dépend d'abord des sommes
- perçues : on valide, pour chaque année civile, un nombre de trimestres
- correspondant au salaire soumis à cotisations dans l'année. C'est ainsi,
- pour prendre un exemple, qu'un cadre qui a travaillé 3 mois dans une
- année civile obtiendra une annuité entière (alors qu'un smicard qui a
- travaillé 3 mois n'obtiendra lui que 0,5 annuité : est-ce bien équitable
- ?). De même, un an de travail à mi-temps compte pour une annuité
- complète. On rajoute ensuite certaines périodes non travaillées :
- chômage (en partie), congé parental (sous conditions), etc.
- A cela s'ajoutent des bonifications qui diffèrent totalement entre les
- deux régimes, dont la bonification pour enfant accordée aux mères (2 ans
- dans le privé, 1 dans le public)(1). En résumé il est parfois plus
- "facile" d'obtenir des annuités dans le privé que dans le public.
- Voilà un exemple qui montre bien les limites de cette comparaison.
- Puisque les médias se sont fait l'écho de certains avantages (oubliant
- les inconvénients) des femmes fonctionnaires mères de 3 enfants, prenons
- l'exemple d'une mère de 3 enfants qui décide de travailler 8 ans à
- mi-temps pour les élever :
- Si elle est dans le privé, elle aura une bonification de 6 annuités et
- les 8 ans à mi-temps compteront pour huit annuités. Pour obtenir une
- retraite à taux plein (40 annuités), il lui faudra donc obtenir 40-8-6,
- soit 26 annuités supplémentaires.
- Si elle est fonctionnaire, la bonification sera de 3 annuités et les 8
- ans à mi-temps compteront pour 4 annuités. Pour obtenir une retraite à
- taux plein (37,5 annuités), il lui faudra donc obtenir 37,5-3-4,> soit
- 30,5 annuités supplémentaires, c'est-à-dire travailler effectivement
- 30,5 années à plein temps.
- Est-ce bien équitable ?
- Vous pensez peut-être que ce projet, qui se veut équitable, va revenir
- sur cette différence ? Détrompez-vous : s'il instaure une validation des
- périodes de congé parental, le projet supprime purement et simplement la
- bonification d'un an des femmes fonctionnaires, pour les enfants nés
- après le 1er janvier 2004 ! Mais la suite parait claire : s'il passe,
- vous entendrez dans quelques années à la télévision : « Dans le privé il
- y a une bonification de 2 ans par enfant qui n'existe pas pour les
- fonctionnaires, c'est inéquitable ». Et on supprimera la bonification
- des mamans du privé.
- Tout cela pour dire que comparer le nombre d'annuités nécessaires pour
- obtenir une retraite à taux plein dans les deux régimes et en déduire
- que ce serait inéquitable car 37,5 est inférieur à 40 n'a aucun sens et
- relève de l'imposture. D'autant plus que la notion de "retraite à taux
- plein" n'a strictement rien à voir entre les deux régimes et qu'on ne
- tient pas compte des retraites complémentaires du privé !
- Un jour où j'avais pris un énarque en flagrant délit de comparaison de
- chiffres incomparables, il m'avait répondu : « D'accord, mais vous, vous
- vous intéressez au sujet. Pour les gens, il faut des idées simples ».
- Je ne voudrais pas que l'opinion publique soit convaincue que les
- fonctionnaires seraient des privilégiés du simple fait que les médias
- colportent une idée aussi simple qu'inexacte. II n'empêche que cette
- stratégie de dresser le privé contre le public, sur la base d'une "idée
- simple" permet de faire passer au second plan certaines réalités. Elle
- permet d'oublier que la réforme Balladur de 93, en augmentant la durée
- de cotisation de 37,5 à 40 ans (là on peut comparer les données puisque
- c'est le même régime), mais surtout par l'introduction de la décote et
- l'allongement de la période de référence, a déjà diminué et surtout va
- encore dégrader fortement les retraites du privé. Elle permet de faire
- passer au second plan que la réforme ne concerne pas les seuls
- fonctionnaires, puisque l'on va passer pour tous, de 40 annuités en 2008
- à environ 42 en 2020. C'est faire oublier un des principes de ce projet
- de loi, qui me pose personnellement problème.
- Alors que depuis le dix-neuvième siècle, l'augmentation de la richesse
- de la France (et des pays riches) est allée de pair avec une diminution
- phénoménale de la part de sa vie qu'une personne consacre à travailler,
- le projet revient sur l'histoire, en décidant que désormais, sur une
- vie, la proportion du temps consacrée au travail ne devra plus diminuer.
- J'entends d'ailleurs tous les jours dans les médias des personnes me
- dire sur un ton docte et péremptoire: « il faut que les français
- comprennent qu'il faut travailler plus ». Soit, ils ont peut-être
- raison. Mais dans la mesure où une telle affirmation est contraire à ce
- qui s'est passé dans les 150 dernières années, je considère, en tant que
- scientifique, qu'ils doivent justifier leurs affirmations. Or je n'ai
- jamais entendu personne me donner un véritable argument selon lequel
- nous serions vraiment aujourd'hui dans une situation nouvelle justifiant
- une inversion du phénomène historique, c'est-à-dire une augmentation du
- temps de travail. Elle permet de faire oublier que ce projet est un
- choix politique de faire supporter aux seuls salariés actuels (pas aux
- employeurs ou à l'impôt) le coût de l'augmentation de l'espérance de
- vie, en justifiant cela par une nouvelle "idée simple" : on nous répète
- qu'il n'y aurait pas d'autre choix, ce qui est bien sûr faux. Surtout,
- cela permet d'occulter le fait que les inégalités au sein du privé sont
- bien plus criantes qu'entre le privé et le public. Dans le privé, tout
- va dépendre de la convention collective, de la taille de l'entreprise ou
- encore du temps partiel subi ou choisi. Vaut-il mieux être employé à
- temps partiel subi d'une PME du nettoyage ou à temps plein d'une grande
- entreprise, avec un accord 35 heures, un CE et une convention collective
- très favorables ?
- Claude Danthony, maître de conférences de mathématiques à l'École
- normale supérieure de Lyon.
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Comme le Dindon mon Totem, une bonne paire de couilles sur son nez!
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