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Le gouvernement prône la "rigueur" sur la paie des grévistes
LE MONDE | 18.06.03 | 13h11
Alors qu'une nouvelle journée de mobilisation contre le plan Fillon et la décentralisation s'annonçait, jeudi 19 juin, le gouvernement appelle à "la plus grande fermeté" pour le paiement des jours de grève : étalement des retenues sur deux mois seulement, interdiction d'utiliser les RTT
Le gouvernement a choisi la fermeté pour définir les modalités de retenues sur salaires pour fait de grève, avec l'approbation de nombreux députés de droite. Fin mai, alors que le conflit n'était pas terminé, il a demandé aux directeurs d'administration d'appliquer strictement la réglementation : les jours de grève des fonctionnaires devront être retenus sur les salaires et ces retenues ne pourront pas s'étaler sur plus de deux mois.
Et une réunion interministérielle s'est tenue à Matignon, mercredi 11 juin, pour rappeler que ces retenues devront être "appliquées dans toute leur rigueur", selon un compte rendu de cette réunion dont Le Monde s'est procuré une copie.
"C'est un rappel de la règle, rien d'autre. A charge pour chaque direction gestionnaire d'appliquer cette règle", plaide-t-on dans l'entourage du ministre de la fonction publique, Jean-Paul Delevoye. Cette note n'en circule pas moins dans les ministères, et ses consignes de fermeté semblent être appliquées aux fonctionnaires, mais aussi aux agents des entreprises publiques.
Au ministère des finances.
Le ministre des finances, Francis Mer, a adopté une position stricte, refusant toute négociation avec les syndicats sur un étalement des retenues. Le 20 mai, les trésoriers payeurs généraux ont reçu par e-mail l'instruction d'établir avant le 10 juin la liste des grévistes, afin que les retenues apparaissent sur la feuille de paie. Deux jours plus tard, il leur était précisé qu'"il ne sera pas procédé à un étalement des retenues" et qu'elles seront "opérées du premier jour inclus au dernier jour inclus où l'absence de service fait a été constatée, même si durant certaines de ces journées, l'agent n'avait aucun service à accomplir". Un agent en grève un vendredi mais reprenant le travail le mardi se verra privé de quatre jours de salaire.
"L'ensemble des jours de grèves du mois de mai vont nous être retenus sur la seule paye de juin. Des agents, en grève depuis le 13 mai, vont ainsi se voir retenus jusqu'à quinze jours, soit l'équivalent d'un demi-salaire", s'alarme Michel Monteil, secrétaire général de FO-finances. "En 1995, souligne Pierrette Crosemarie, de la CGT-finances. Nous avions pu négocier avec Jean Arthuis -le ministre de l'époque- que les retenues soient différenciées selon les grades des agents."
Au ministère de l'équipement.
Là aussi, on se prépare à appliquer les consignes. "Nous acceptons le principe des retenues, relève Bernard Salandre, de la CGT Equipement. Mais ce qui est beaucoup moins normal, c'est ce refus d'étaler les retenues." Il poursuit : "C'est une tradition de les étaler, à raison de trois ou quatre jours par mois. Or les retenues sur juin pourront aller jusqu'à 15 jours. Il faut rapporter cela à ce que ça représente pour les personnels de catégorie C, majoritaires au sein du ministère."
Au ministère de l'éducation nationale.
Le ministère veut appliquer "la loi, rien que la loi, mais toute la loi". Mardi 17 juin, le directeur du cabinet de Luc Ferry, Alain Boissinot, a prévenu les syndicats qu'il n'y aura pas de négociation sur le paiement des jours de grève. Le ministère va accorder un étalement des retenues sur plusieurs mois pour les personnels en grève reconductible. Il veut aussi appliquer la jurisprudence du Conseil d'Etat qui prévoit le prélèvement de la totalité des jours de grève - y compris les week-ends - tant que la reprise du service n'est pas effective.
"Nous avons la volonté de prévenir de futurs conflits. Ces dernières années, seuls quelques jours de salaires avaient été retenus pour les grèves, très longues, du Gard ou de la Seine-Saint-Denis. Du coup, parmi les grévistes, beaucoup ne savent pas ce qu'est une retenue", explique-t-on rue de Grenelle. Evoquant la "tradition française de règlement des conflits du travail", les syndicalistes ne désespèrent pas d'obtenir de discrètes concessions. "Il y a sans doute une marge de man?uvre par rapport au discours officiel", juge un responsable syndical.
A la SNCF
. Les règles sont très claires : les jours de grève ne seront pas payés. Un étalement sera possible, mais restera limité à deux ou trois mois. Il est exclu de convertir les jours de grève en jours de congés, comme cela se pratiquait parfois au sortir de conflits longs. "Lorsque les organisations syndicales ont proposé de suspendre le mouvement de grève reconductible, elles l'ont fait en pensant pouvoir négocier un vrai étalement des prélèvements, à raison de deux, trois jours par mois maximum. En durcissant les modalités, la direction prend le risque de susciter le prolongement d'un prochain conflit", avertit Eric Tourneb?uf, secrétaire général de l'UNSA-cheminots.
A la RATP.
Une lettre a été adressée à chaque direction sur les modalités de "pointage" des agents grévistes. L'entreprise pratique des retenues sur salaire de façon systématique, y compris pour les jours de repos et d'ARTT intercalés entre deux jours de grève. Et sans étalement. "Jusqu'alors, sur les conflits longs comme en 1995, on arrivait à négocier des étalements sur plusieurs mois, mais là, la direction ne veut pas en entendre parler", déplore Gérard Leb?uf (CGT), qui dénonce le refus de la direction de négocier alors que son syndicat a mis fin au préavis de grève reconductible.
Pour Josette Théophyle, directrice des ressources humaines de la RATP, la situation actuelle n'a rien à voir avec celle de 1995. "Les personnels avaient alors enchaîné une vingtaine de jours d'arrêt de travail. Leur régime de retraites était vraiment concerné et l'ensemble des syndicats étaient mobilisés. Aujourd'hui, une minorité bloque le travail de la majorité qui veut travailler", explique-t-elle.
A La Poste.
La direction refuse tout étalement des retenues sur plusieurs mois, rompant avec une pratique traditionnelle. "Jusqu'alors, nous pouvions localement négocier que pas plus de deux à trois jours nous soient prélevés par mois. Et des jours de grève pouvaient être transformés en jours de congés. En 1995, un étalement sur un an avait été négocié. Mais là, la direction a donné une consigne très claire de retenir en une seule fois, deux maximum, toutes les journées de grève observées entre le 1er mai et le 10 juin. Ce qui signifie pour certains postiers 18 à 20 jours de salaire en moins en juin", explique Jean-François Lascoux (FO-communication d'Ile-de-France). La direction a envoyé une lettre aux syndicats pour les informer qu'il n'y aura aucune négociation sur l'étalement des retenues.
"Le gouvernement veut assassiner financièrement les grévistes pour qu'ils soient dans l'incapacité de réagir dans les mois qui viennent, lorsque la loi sur les retraites sera votée et lorsqu'arrivera la réforme de la Sécurité sociale", dénonce M. Lascoux. Bernard Lhubert, secrétaire général des fédérations CGT de fonctionnaires ne décolère pas : "Compte tenu de la durée du mouvement social en cours, de très nombreux agents pourraient voir leurs traitements réduits de manière considérable, très souvent jusqu'au niveau de la quotité insaisissable, soit l'équipement du RMI", dénonce-t-il dans un courrier adressé au premier ministre.
Pour les syndicats, "cette intransigeance peut conduire à des formes d'exaspérations", préviennent M. Lhubert et Hervé Baro de l'UNSA-fonctionnaires.
Luc Bronner et Laetitia Van Eeckhout
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