La question étant récurrente dans les discussions auxquelles je participe, je lui consacre un sujet bien à elle.
Tout est dit dans le titre : le libre-arbitre n'existe pas. Pour être plus précis, je devrais dire qu'en l'état actuel de nos connaissances, nous n'avons aucune raison de croire dans le libre-arbitre. Le monde dans lequel nous vivons, et en particulier notre conscience, nos décisions, nos sentiments, sont déterministes, c'est à dire qu'il est (en théorie) possible de prévoir ce que pensera Richard Dubois demain soir à 19h46, de même qu'il est possible (en théorie) de prédire, à partir de la configuration actuelle de l'univers (ou, plus simplement, de notre planète et de ce qui y demeure), qui se présentera aux présidentielles de 2007, et combien chacun de candidats récolteront de voix.
Pourquoi affirmè-je cela ? Essentiellement, parce que je suis matérialiste (comme le sont l'essentiel des philosophes depuis un certain temps), c'est à dire que je crois qu'il n'existe pas autre chose que l'univers tel que nous le connaissons qui interragisse avec lui. En particulier, l'âme ou la conscience de chacun d'entre nous ne peut qu'être la cause d'objets matériel. Vraisemblablement, le cerveau serait fortement impliqué dans la chose en question. Ainsi, le cerveau, qui n'est constitué que de matière connue, est le lieu de constantes interactions entre ses constituants, interactions qui obéissent toutes aux lois déterministes de la physique, produisant l'expérience de la conscience. Mon but ici n'est pas d'expliquer comment ce qui semble être un miracle peut se produire, la fois parce que je n'en ai pas la compétence, et que cela nécessite un effort intellectuel certain : c'est loin d'être naturel. Pour cette question en particulier, je vous enjoins à lire Conscience expliquée de Daniel Dennett (Consciousness Explained en VO).
Pourquoi ressentons nous le libre-arbitre ?
Pour la même raison que l'on est conscient, que l'on sent la douleur ou le plaisir : l'impression de libre-arbitre est un élément fonctionel de notre être. Sans cette impression, nous ne pourrions pas prendre de décision. En effet, prendre une décision nécessite de se projeter dans l'avenir, de prévoir les différentes possibilités (c'est là que le libre arbitre nous apparait) et aprés uniquement pouvons-nous choisir la décision qui est la meilleure. Un cerveau capable de prédire l'avenir tel qu'il sera ne sert à rien. Ce qui est utile, c'est un cerveau qui calcule ce qui pourrait être, mais cette potentialité n'existe jamais ailleurs que dans notre esprit.
Et la physique quantique, hein, tu oublies la physique quantique ?
La physique quantique n'a rien à faire dans cette discussion. Du moins, l'aspect non déterministe de la physique quantique. En effet, la physique quantique n'est pas déterministe, du moins elle ne l'est pas à des échelle de temps trés court et pour un faible nombre de particules élémentaires.
Revenons à la fonction de notre cerveau, seuil de nos prises de décisions. Dire que le libre-arbitre réside dans la physique quantique revient à dire que certaines prises de décisions (l'activations de potentiels d'actions neuronaux) dépendent de la mise en rout ou non d'un processus quantique aléatoire. Cela voudrait dire que la décision elle-même est prise de manière aléatoire.
Laquelle des deux créatures a le plus de chances de survivres (et de se reproduire) : celle qui rend ses décisions ultimement de manière aléatoire, ou celle qui utilise un critère concret pour trancher ? la réponse me semble évidente, il n'y a toujours qu'une et une seule 'bonne' décision, il n'y a donc aucune raison pour que l'évolution naturelle produise un cerveau qui soit à la merci des phénomènes quantiques non déterministes.
Mais peut-elle s'en affranchir ? Mille fois oui. Dans chacun de nos neurones, il y a de nombreux mécanismes de régulations qui permettent de stabiliser tous les mécanisme qui y ont lieu, afin que le comportement de chacun des neurones ne soit pas affecté outre mesure par le bruit thermique, ce bruit étant bien plus important que le bruit généré par les phénomènes quantiques aléatoires. Pour faire cela, rien de bien compliqué : imaginons que le déclenchement d'un potentiel d'action dépende d'une réaction chimique, qui se produit avec une probabilité p. Ce qu'il suffit de faire pour s'affranchir de cette proba, c'est mettre en parallèle 10, 100, 1000 molécules qui sont chacune susceptibles de réagir. Le tout, c'est de ne pas dépendre d'une seule particule élémentaire. Sachant qu'il y a, à vue de nez, 10 000 000 000 000 (dix mille milliard ou 10^13) atomes dans un neurone, il y a de la marge...
Mais mais mais, comment on fait si on n'est plus libre ???
Ca c'est la vrai raison qui me fait écrire ce sujet, car j'aimerais que le déterminisme ne soit pas vu comme une idée dangereuse, mais comme l'évidence qu'elle est dans l'état actuel de nos connaissances.
Qu'est-ce que ça change que le libre-arbitre n'ait pas de réalité extérieure à notre esprit, à notre expérience (à notre phénoménologie, diront certains...) ? Pas grand chose. Comment est-ce que cela pourrait changer quelque chose puisque, par définition, le déterminisme est inéluctable ? Essentiellement, cela veut dire que l'on accepte que la conscience, la liberté, le bonheur et toutes ces choses essentielles n'existent qu'en tant qu'objets de pensée, ce sont des illusions en ceci qu'elles sont subordonnées à la matière dont ils sont hôtes. Mais puisque l'on n'a rien d'autre que ces illusions, puisqu'on ne peut rien avoir d'autre, nous n'avons rien d'autre à faire qu'à la vivre pleinement, en connaissance de cause. Ceux qui voudraient justifier leur cynisme par le déterminisme sont les pires des hypocrites, le fait de vivre dans un monde sans libre-arbitre ne justifie rien du tout. Au plus, cela implique qu'il n'existe pas de responsabilité, et par conséquent qu'il n'existe pas de coupable. Le déterminisme, c'est la tolérance absolue.
Pour autant, même dans un monde déterministe, il est nécessaire de punir ceux qui commettent des actes mauvais afin tout simplement de dissuader ces derniers. La punition n'a pas pour objet de rendre la justice, elle est un mal nécessaire. Il peut même être utile de faire croire aux gens qu'ils seront récompensés plus tard, mais je dois reconnaitre qu'un monde sans libre-arbitre ne laisse que peu de place à un Dieu qui voudrait punir les méchants et récompenser les gentils, cela n'aurait aucun sens.