Mine anti-personnel | Laffaire Kampusch est en effet exceptionnelle. Elle remue les consciences parce quelle touche à des motifs qui sont puissamment inscrits dans linconscient collectif. Natascha Kampusch est à la fois le petit chaperon rouge, la belle au bois-dormant et la belle et la bête, avec happy end inespéré et mort du méchant à la fin.
Elle suscite dautre part des réactions contradictoires, visibles même dans ce topic. Certains sont incrédules et suspectent un montage médiatique, dautres veulent prendre sa défense tout en reconnaissant que le ravisseur nétait sans doute pas le monstre qui faisait fantasmer tout le monde à lannonce de sa libération. Cela vient du fait que les gens ont en tête un choix binaire simple victime/pas-victime, et fantasment sur un Marc Dutroux version autrichienne, gros porc se jettant sur la petite fifille la bave aux lèvres, avec lalternative suivante :
- Victime : on veut voir le sang et le sexe, et le salaud qui a fait ça.
- Pas-victime : Eh quoi ? pas de sang, pas de sexe ? Remboursé ! Et dentonner la chanson bien connue : on nous cache tout, tout ça cest des conneries de journalistes.
La réalité est un tout petit peu plus complexe. Victime, elle létait sans conteste possible, ce type était un détraqué et elle a dû souffrir, mais pas comme les gens limaginent. Une lecture attentive des trois interviews (deux donnés pour des journaux, un pour la télévision, le plus long et plus intéressant) et de la lettre permet de reconstruire ce qui sest passé et de tenter une interprétation. Encore faut-il se donner la peine de lire les textes dans leur intégralité et si possible dans la version originale pour ne pas projeter sur cette histoire des fantasmes préconçus. A titre dexemple, dans le papier cité plus haut, Greilsamer cite NK :
Mais ce qu'il ne savait pas, c'est qu'il était tombé sur la mauvaise personne.
Alors quelle dit exactement linverse :
Er hat sich aber - und das hat er und ich gewusst - mit der Falschen angelegt.
Ce qui veut dire, si je lis bien :
Mais, et ça il le savait aussi bien que moi, il avait choisi la mauvaise.
A la lumière de tous les documents rassemblés, je tente donc une interprétation. Il est clair que cela reste bien sûr une interprétation.
Ce qui en ressort à la première lecture, cest une forte personnalité et une volonté inflexible. La toute première déclaration que lon possède delle (lettre lue à la presse le 28 août) commence ainsi
Citation :
Chers journalistes, reporters, chère opinion publique mondiale ! (lettre)
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Coinçée dans un trou à rat pendant huit ans et à peine libérée, elle sadresse déjà au monde entier. Ce qui montre bien le formidable grand écart quelle a dû accomplir en sortant de son trou. En même temps, cest sa première erreur. Lopinion publique nest pas une personne ; cest la coagulation polymorphe et insaisissable des fantasmes et désirs plus ou moins conscients de millions de gens. On nargumente pas avec une telle chose, on lignore ou on sen protège. Ce que sans doute elle ne va pas tarder à apprendre avec lexpérience.
Trois phrases plus loin apparaissent les premières menaces :
Citation :
Je voudrais cependant vous certifier à lavance que je ne veux répondre ni ne répondrai à aucune question sur des détails intimes ou personnels. Je poursuivrai en justice tout franchissement des limites vis-à-vis de ma personne, envers quiconque, quel quil soit, qui aura franchi les limites du voyeurisme. Quiconque sy essaiera doit sattendre aux conséquences.
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Ce qui frappe dabord, cest son souci constant de maîtriser limage que lon perçoit delle à lextérieur et de protéger ce qui a constitué sa vie pendant huit ans.
Citation :
Lespace de vie : Ma pièce était suffisamment équipée. Cétait ma pièce. Et elle navait pas vocation à être montrée au public. (lettre)
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Citation :
Est-ce que vous lisez tout ce qui paraît dans les journaux sur vous ou sur le cas Natascha Kampusch ?
NK : En principe, je nai pas envie pour le moment de minfliger de telles calomnies, diffamations et humiliations. Il y en a trop de toute façon. Je ne pourrais pas lire sérieusement tous les journaux. Jai trop à faire : examens médicaux, entretiens, des tas de choses.
Quelles sont les choses qui vous choquent le plus ?
NK : Par exemple
hum
des choses qui tout simplement ne correspondent pas à la vérité. Abus ou
Surtout ce qui me choque ce sont ces photos de mon réduit parce que
ça ne regarde personne. Je naimerais pas non plus regarder dans les habitations et les chambres à coucher des gens. Pourquoi les gens devraient-ils regarder dans ma chambre quand ils ouvrent leur journal ? (interview ORF)
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Les gens qui ont vécu une expérience carcérale injuste, du genre camp de concentration, sont en général fiers de montrer le lieu de leur détention après leur libération, comme preuve de leur calvaire. Elle sidentifie totalement à ce lieu comme espace vital où elle a vécu, muri et préparé sa fuite, et ressent lirruption des médias dans ce lieu comme une menace directe de sa sphère privée.
Inversement, le monde extérieur est perçu comme imprévisible et rempli de menaces dont il faut se protéger. Menaces qui se concrétisent psycho-somatiquement sous la forme dun rhume quelle contracte peu de temps après sa libération, et qui lobligeait pendant presque toute linterview télévisée à fermer les yeux, comme si la lumière nouvelle à laquelle elle était exposée était trop forte et quil fallait sen protéger.
Citation :
Mademoiselle Kampusch, comment vous sentez-vous dans votre nouvelle liberté ?
NK:Mis à part le fait que jai attrapé aussitôt un refroidissement, je vis de façon assez normale. (interview News)
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Quelques phrases plus loin :
Citation :
Vous avez maintenant votre liberté devant vous. Mais votre avenir ne se réduit sans doute pas à la liberté. Il y a les visions, les plans, les souhaits. Quels sont vos plans ?
NK : Oui, quels sont mes plans en fait ? Probablement toute sorte de choses. Quelquun avec mon passé prévoit en tout cas dabord le plus urgent : Jaimerais me faire vacciner contre toutes les maladies possibles, et dabord contre la grippe. Comme vous le voyez, le rhume ma prise de plein fouet, ce qui ne se serait pas passé si javais été vaccinée. Donc, cest là juste un exemple de mon avenir.
Maintenant que je suis témoin de votre fort rhume, la question simpose : Vous nétiez jamais malade au cours de ces dernières huit années ?
NK : Si, mais pendant cette période, je navais pas dinterview à donner (rit). Ce nétait pas du tout grave. Pendant une grande partie de ma vie, je nétais pas en contact avec des gens qui auraient pu me contaminer. (interview News)
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Une fille de 18 ans qui a pour projet davenir de se faire vacciner contre la gripe ? Elle semble elle-même consciente de cette psycho-somatisation:
Citation :
Ma mère mest si proche que mon rhume va mieux quand elle vient. (interview Krone)
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Concernant la personnalité du ravisseur, sans vouloir jouer les psychanalystes du dimanche, on peut esquisser un profil en fonction des informations quon possède : mère dévorante, enfance solitaire, adolescence ratée, peur panique des femmes et misère sexuelle, le tout compensé et sublimé par une fascination pour la technique et un perfectionnisme dans ses réalisations manuelles. A 30 ans passés, et constatant le vide irrémédiable de son existence, il se lance dans cette folle entreprise quil a dû planifier et préparer des années avant lenlèvement.
Mais ce nétait pas un Marc Dutroux. Il ne fait guère de doute quelle a su établir envers lui une relation affective positive et gratifiante. Ce nest tout simplement pas possible autrement, cest une question de survie. On ne peut pas enfermer une fillette de 10 ans dans une cave pour len faire sortir 8 ans plus tard sous les traits dune jeune fille saine de corps et desprit, mature et équilibrée, tel le papillon sortant de sa chrysalide, sans lui prodiguer amour et affection. Cela nenlève rien à la perversité du ravisseur. Au contraire : faire irruption avec violence dans la vie dun enfant et agir si habilement quil ne pourra pas faire autrement que de vous aimer, cest la perversité suprême. Pendant huit ans, il a été à la fois son père, son grand frère et son premier petit ami. Que cette relation ait débouché sur une relation amoureuse est assez probable, en tout cas cétait une relation forte et mutuelle. C'était en tout cas le but de la manip de la part de Priklopil: combler une carence affective pathologiquement incurable. Est-ce que cette relation sest concrétisée par une relation sexuelle ? Das ist das grosse Tabu ! Linsistance de la dénégation incite à le penser. La jeune policière qui a recueilli son témoignage aussitôt après sa fuite, alors que Natascha nétait pas encore entourée par une escouade de psys et de conseillers en communication, a dit quil avait abusé delle, avant de se faire remonter les bretelles par ses supérieurs. Depuis, cest silence radio. Les gens qui ont pu lapprocher toute de suite après sa fuite disent quelle été tiraillée entre deux sentiments contraires : la joie dêtre enfin libre et la nostalgie dun être cher, désormais perdu.
Parler de syndrome de Stockholm nest pas pertinent. Ce fameux syndrome décrit des gens plongés dans une situation de stress extrème, du genre braquage de banque avec prise d'otages, pendant quelques heures ou quelques jours, et qui, pour des raisons déconomie psychique qui peuvent sexpliquer, éprouvent une sympathie vis-à-vis de leurs ravisseurs face à une menace extérieure réprésentée par les forces de police faisant le siège du lieu où ils sont confinés.
Rien de tout cela ici, où, passé le stress des premiers jours, le monde extérieur a tout simplement disparu.
Il est possible que le ravisseur ait été aidé dans sa tâche de père de substitution par le fait que Kampusch venait dune famille désunie (parents divorcés et en bisbilles continuelles au sujet de leur fille).
Citation :
Mademoiselle Kampusch, vous voulez bien nous raconter ce qui sest passé ce matin-là, le 2 mars 1998 ?
NK : Oui. Je veux bien. Je me suis levé très tôt. Je ne me doutais pas encore évidemment de ce qui allait se passer. Jétais très triste. Il y avait eu la veille une scène avec ma mère. Parce que mon père mavait ramenée trop tard à la maison.
Ce qui est arrivé plusieurs fois
NK : Oui. Ma mère était excessivement fâchée contre mon père. Mais dune certaine façon aussi contre moi. Et jai
ça me rendait très triste parce que
ce nétait pas la première dispute à ce sujet, faut dire.
A ce propos : ce qui a été décrit dans les médias au sujet de cette dispute, que ma mère maurait donné une claque, est faux. En tout cas pas de la façon dont les médias lont décrit. Jétais simplement peinée.
Avant de franchir la porte de lappartement, je me suis dit
Il faut dire que ma mère a lhabitude de dire : on ne doit jamais se quitter fâchés. Il faut toujours se supporter. Parce quil pourrait arriver à elle ou à moi quelque chose, et on se reverrait plus jamais.
Ce qui a failli arriver.
NK : Et, oui, je me disais encore sur le seuil de la porte : Jusquici il ne mest encore rien arrivé. Donc je vais faire exprès de ne pas supporter ma mère, par dépit. Et donc jai
Jai marché jusquà lécole jusquà cette
Comment sappelle cette impasse ?! Impasse Mollard ?
Friedrich (le psy) : Impasse Melan.
NK : Impasse Melan. Cest ça. Impasse Melan. Donc jusquà limpasse Melan. Et je lai vu qui se tenait à quelques mètres de moi à côté de sa voiture. Je me suis dit : je change de trottoir. Je ne sais pas pourquoi. Par je ne sais quel pressentiment, jai supposé
Je ne sais pas. Cétait pour moi simplement désagréable. Tout ce quon a entendu à lécole sur ces enleveurs denfants. Je ne sais pas pourquoi.
Et puis jai attribué ce pressentiment à mon humeur émotionnellement chargée. Et jai simplement
Je me disais : Il ne va pas te mordre, et jai continué à marcher. Et il ma saisie. Jessayais de crier. Mais ce nest pas
Aucun son nest sorti. (interview ORF)
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Lenfant essaie de rationaliser ce qui lui est arrivé et de donner un sens à ce qui nen a pas. Lenlèvement apparaît comme une punition du refus de se réconcilier avec la mère.
Par la suite, Natascha se construit un programme de formation auto-didactique où le confinement devient paradoxalement un facteur bénéfique de son développement.
Citation :
Je lui ai dit rapidement ce que je voulais lire. (
) Au début, je voulais les classiques des livres denfant, donc Karl May, Robinson Crusoë, La Case de loncle Tom etc. Jai lu, lu. Cétait si terriblement monotone dans cette pièce blafarde. (interview Krone)
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Citation :
Jai essayé par exemple dêtre toujours meilleure que les gens dehors. Ou de rester à leur niveau. Surtout en ce qui concerne la formation scolaire. (interview ORF)
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Citation :
Je me levais toujours très tôt. La lumière sallumait automatiquement à sept heures. Ça donne un certain ordre et une certaine structure. (interview Krone)
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Elle écrivait également :
Citation :
Avec le temps, ça sest développé de plus en plus. Justement parce que jai tellement lu, je me suis dit que moi aussi, je pourrais écrire des livres, des romans. Il y avait différents cahiers, pas seulement mon journal. Classés selon la forme et les idées. Ce journal et tout ce que jai écrit nappartenait quà moi. (interview Krone)
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Citation :
Javais à peu près 12 ans, jétais donc en captivité depuis deux ans déjà. Là jai promis à mon futur moi : un jour je serai grande et forte. Jai donc arraché à mon futur moi la promesse quil maide et me libère. Et maintenant je suis assez grande et assez forte et jai libéré la petite fille de 12 ans de là-bas. Jétais plus forte que lui. (interview Krone)
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Ce pacte avec un moi imaginaire est une stratégie de survie salutaire mais il est aussi à double tranchant. Sadresser à son moi futur et lui donner rendez-vous pour une libération, cest en même temps se promettre de ne pas séchapper avant ce lointain rendez-vous. Tout se passe comme si la captivité était vécue par Natascha comme une étape nécessaire de son développement, quil serait dangereux dinterrompre avant quelle narrive à son terme. Il fallait attendre que le temps soit mûr pour sortir de son cocon.
Le plus dur dans sa captivité nétait pas de franchir la prison physique mais la prison psychique que, dune certaine façon, elle avait contribué à construire.
Citation :
Une fois, javais déjà couru jusquà la porte du jardin. Cétait comme pour ces gens qui ne peuvent pas quitter leur maison, bien que tout soit ouvert. Jai été prise de vertiges, je ne pouvais plus rien voir et jai fait demi-tour le plus discrètement possible. Pour quil ne remarque rien. (interview Krone)
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En ce qui concerne les contacts avec lextérieur et les sorties quelles faisaient en sa compagnie, on a beaucoup spéculé sur la véritable nature de cette captivité et on sest demandé si cen était vraiment une dans la mesure où un témoin quil la vu quelques semaines avant sa fuite, a dit quelle paraissait heureuse. Dans les interviews, elle tente de sen expliquer, notamment dans cet extrait passablement embrouillé :
Citation :
Mademoiselle Kampusch, vous avez quitté plusieurs fois la maison avec M. Priklopil.
NK : Oui.
Cétait comment, comment sest-il comporté ?
NK : Il était très prudent. Il sécartait à peine de moi. Il était à chaque fois pris de panique quand je méloignais de trois centimètres de lui. Il voulait toujours que je marche devant lui et non derrière. Pour pouvoir me tenir à lil.
Et je ne pouvais me confier à personne. Parce quil me menaçait quil
quil ferait du mal aux gens si je disais quelque chose. Quil les tuerait. Toute personne au courant pour ainsi dire. Et je ne pouvais pas prendre ce risque.
Comment cétait pour vous, maintenant que vous y réfléchissez : En fait, vous avez rencontré beaucoup de monde. Quelques uns. Vous les avez regardés dans les yeux.
NK : Certes. Il y a eu aussi beaucoup de personnes à qui jai essayé de faire un signe. Il y avait aussi beaucoup de choses où en fait
Les gens ne pensent pas évidemment à ça à ce moment-là. Et lidée ne leur vient pas. Par exemple, jai lu dans un journal que cet homme
Cest vrai. Parce que je me souviens de cet épisode. Beaucoup de choses ne sont pas vraies naturellement. Jai lu que
En Haute-Autriche ?
NK : Mais ce nétait pas en Haute-Autriche.
Mais cette histoire : Vous étiez vraiment dans un commerce et vous avez essayé dentrer en contact avec le vendeur.
NK : Oui, avec beaucoup de gens. Mais de façon générale
Je pouvais leur
Je veux dire, je navais pas assez de temps de leur expliquer. Et si javais fait ne serait-ce quun signe, il serait intervenir et maurait emportée ou
Même si ça avait trop tard pour lui, il aurait tué la personne ou moi. Ou je ne sais quoi dautre. Jétais toujours obligé de
Oui, cétait affreux. Mais où
Vous mavez éloigné du sujet. De quoi on parlait au début ?
En fait, déjà de ça.
NK : Daccord mais quest-ce que vous avez dit exactement ?
Lorsque vous avez quitté la maison, vous avez rencontré des gens.
NK : Oui, cest ça.
Comment cétait quand vous les avez regardés dans les yeux ?
NK : Oui, par exemple les vendeurs
Ces vendeurs sympathiques dans le magasin de bricolage par exemple. Qui vous demande : Puis-je vous aider ? Et je suis là, prise de panique et paralysée, avec des battements de cur et des problèmes de circulation. Je pouvais à peine bouger. Et je ne peux que regarder comment il se débarasse du vendeur sans pouvoir rien faire. Jai juste la possibilité de sourire au vendeur, parce quil est si gentil. Je veux dire quil nest pas au courant. Et
oui.
Cest
Faut savoir que jai toujours essayé de sourire un peu, comme je le fais sur les photos, pour que les gens se souviennent de ma photo. Parce que sur les photos, on sourit en général. (interview ORF)
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Ce dernier passage, où elle raconte quelle souriait pour quon puisse plus facilement la reconnaître, me paraît le moins crédible de tout linterview. Quand on est en public avec un flingue pointé dans le dos, on ne sourit pas, on fait une grimace ou des appels du pied. Il s'agit en fait d'une réponse à la déclaration de lami de Priklopil qui lavait vue en compagnie de son ravisseur quelques semaines avant, et qui a déclaré « quelle avait l'air heureuse ». Dailleurs beaucoup de ses propos sont des réactions à des déclarations la concernant lues dans la presse. Il faut lire entre les lignes pour déceler ce quelle dirait si elle parlait librement sans ce souci constant de rectification.
Dailleurs le passage précédent se poursuit ainsi, où le refoulé, comme toujours, fait retour :
Citation :
Et au début, je ne supportais pas les gens. Je navais pas lhabitude. Et beaucoup de gens sont hostiles et de très mauvaise humeur. Ce qui est naturellement très désagréable. (interview ORF)
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Il ny a pas lieu de parler de mensonge, et encore moins de manipulation, comme certains lont fait bien légèrement. Ce quelle dit de la peur de la solitude, de langoisse de lenfermement, du sentiment de rage et de désespoir face à une telle injustice est certainement vrai. Mais ce nest pas les seuls sentiments quelle a éprouvés pendant ces 8 années. Elle sélectionne certains affects, en refoule, déforme ou déplace dautres, en fonction de ce que lui commande son amour propre et une stratégie rationnelle choisie par son intelligence. Cest ce que fait tout être humain.
Concernant sa difficulté à passer à lacte :
Citation :
Javais une crainte folle de ruiner limage du monde de sa mère et de ses amis proches, ses voisins, ses connaissances. Et de la détruire. Parce quaprès tout
Vous savez que
Il était du genre sympathique, serviable. Toujours aimable, toujours correct.
Je ne voulais pas infliger ça à sa mère, quelle connaisse lautre aspect de son fils. Parce que javais appris quelle avait une très bonne relation avec lui. Quelle laimait beaucoup, et que lui laimait bien aussi. Beaucoup.
Et je suis aujourdhui terriblement désolée pour madame Priklopil. Que cette image soit pour ainsi dire détruite. Elle a perdu sa foi dans le monde ce jour-là. Et sa foi en son fils. Et son fils aussi.
Et monsieur Priklopil savait ce jour-là aussi bien que moi
Jétais parfaitement consciente quand je me suis enfuie quen même temps je le condamnais à mort, parce quil me menaçait toujours de suicide. Il a fait de moi ainsi que du monsieur qui la conduit à la gare, et du chauffeur du train, indirectement des meurtriers. (interview ORF)
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Lempathie pour la mère est certainement une reconstruction après coup, où fusionnent à la fois la mauvaise conscience vis-à-vis de sa propre mère (elle a quitté la maison familiale en faisant exprès de restée fâchée avec sa mère) et son affection pour Priklopil. Il était beaucoup trop paranoïaque pour laisser transparaître vis-à-vis delle autre chose que lui-même, et de lui-même, ce quil voulait laisser transparaître.
Elle na jamais connu ni vu sa mère et Priklopil navait pas damis, pas de relations, pas de vie sociale en dehors du strict nécessaire. Sa vie privée, cétait elle.
Elle utilise plusieurs fois dans ses interviews le mot Weltbild (image du monde), mot curieux dans ce contexte et un peu emphatique.
Citation :
A mes yeux, sa mort naurait pas été nécessaire. Une condamnation naurait sûrememt pas été la fin du monde. Il était une partie de ma vie. Cest pourquoi dune certaine façon, je porte son deuil. (lettre)
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Traduisons : Sil avait été pris vivant, il aurait été condamné ; jaurais pu plaider en sa faveur au procès et on aurait pu se revoir après les années de prison, ou même pendant. Ça naurait pas été la fin de notre monde.
Elle répète dans la lettre ce quelle lui disait, ce quelle devait lui répéter de plus en plus à mesure quelle sentait la fin de sa captivité approcher. Ils prenaient leur petit déjeûner ensemble tous les matins et cela faisait lobjet de discussions.
Citation :
Je lui avais déjà dit des mois avant : Je ne peux plus vivre comme ça. Je vais sûrement essayé de téchapper. (interview ORF)
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Citation :
Avez-vous regretté quil se suicide ?
NK : Bien sûr. Je lavais aussi préparé à ma fuite pendant des mois. Et promis quil pourrait vivre aussi en prison parce que là-bas, ce nest pas si terrible que ça. Je viens dapprendre que pour un tel acte, on en prend pour 10 ans de prison maximum. Avant, je pensais quon prenait 20 ans. (interview News)
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Citation :
De temps à autre, il ma même suggéré dune certaine façon comment je pourrais tromper sa vigilence et menfuir. A lintérieur de sa paranoïa, il avait de telles idées. Cétait presque comme s'il voulait délibérément quun jour
quun jour je sois libre. Quil échoue ; quelque part, que la justice triomphe. (interview ORF)
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Ce que les médias ne voient pas, cest que Priklopil était autant prisonnier de sa prisonnière que linverse. Elle était même dans une meilleure position que lui car un pas de côté de sa part signifiait son arrêt de mort. Cétait ce qui rendait sa fuite incroyablement difficile. En devenant adulte, elle devenait de plus en plus consciente de labsurdité de cette relation, sur le plan personnel et strictement affectif peut-être satisfaisante, mais sur le plan social et intellectuel, sans avenir. Comment en sortir sans en même temps détruire le monde qu'elle et lui avaient construit et qui faisait delle ce quelle est devenue ? Tel était son dilemme.
Elle semble aujourdhui placée dans un formidable double bind. Dun côté, elle a à cur de défendre ce qui a constitué sa vie privée pendant 8 ans contre la meute médiatique et les fantasmes quelle véhicule, et donc, dune certaine façon, elle est amenée à le défendre. Mais de lautre, elle ne peut pas le faire trop, sous peine de remettre en cause son statut de victime. Elle se réfugie derrière la pudeur et le droit à une vie privée, ce qui dune certaine façon est absurde car la vie privée de Priklopil était la cause et le fondement de toute laffaire. Comme elle ne veut en dire ni du bien ni du mal, il devient la figure fantomatique dun gardien de prison anonyme qui nétait là que pour permettre à Natascha de mettre en place son programme autodidactique de développement et la protéger du monde extérieur.
On observe dailleurs un glissement de la lettre quelle a dabord écrite, où elle cherche à le défendre, et les interviews donnés une semaine plus tard, où on sent linfluence du bon docteur Friedrich qui veille au grain rectifier le tir.
Citation :
Vous dites maintenant vous-même « le réduit » (das Verlies).
NK : Oui.
Dans la lettre, vous avez écrit « votre pièce » (ihr Raum).
NK : Heu oui. Pour parler franchement, c'est le docteur Friedrich qui la proposé. Cest aussi ma pièce. Malgré tout : réduit sonne mieux. Parce que cest plus proche de la réalité. Cest sous-terrain. Et la langue allemande noffre tout simplement pas dautre possibilité. (interview ORF)
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Elle me fait penser à lhéroïne de Vertigo dHitchcock, une femme payée pour simuler une neurasthénie devant un enquêteur qui deviendra le témoin involontaire de sa pseudo-mort mise en scène. Elle finit par en tomber amoureuse mais est condamnée à ne rien lui révéler, sous peine de détruire la chimère quil aimait. Natascha Kampusch est coinçée entre un homme qui nexiste plus et dont elle ne peut porter le deuil officiellement, et un homme qui na jamais existé, mais dont elle doit entretenir lexistence chimérique pour répondre à la demande dun produit dont elle détient désormais la franchise pour le monde entier, et dont elle négocie les droits pour des sommes à 6 chiffres : le-vilain-monsieur-qui-sest-jeté-sur-la-petite-fifille. Dautant que les projets davenir dont elle a fait part (une fondation pour les femmes violées au Mexique et les crêve-la-faim en Afrique) ne semble être quune caution morale destinée à solder le refoulement du non-dit.
Elle possède une force de caractère exceptionnelle mais le danger dun tel type est détouffer sous larmure quon sest constituée et quon ne peut plus retirer. Dans son réduit de 6 m², 2 mètres sous terre, il faut imaginer Natascha heureuse.
Si jétais scénariste de ce film, le dernier plan serait :
Natascha Kampusch marche sur un trottoir de Vienne. Cest le début de lautomne et lété indien sannonce splendide. Travelling latéral, la caméra la suit et reste à sa hauteur. Les cafés et boutiques du vieux Vienne défilent en arrière-fond. Elle marche dun pas décidé, un sac en bandouillère, genre sacoche détudiant, et son regard se perd dans le lointain. Apparaît alors ce titre à lécran : « Quelques jours plus tard, le monde apprenait avec stupeur que Natascha était enceinte de son ravisseur. Elle a décidé de garder lenfant. » |