Comme promis et à la demande générale, la suite de ma sélection.
Si on pouvait mettre 40 films dans les 20 films préférés ( ), j'aurais mis aussi ceux-là :
21. Wanda (1971) Loden
22. Une femme sous influence (1975) Cassevetes
23. Les larmes amères de Petra von Kant (1972) Fassbinder
24. The king of New York (1990) Ferrara
25. Le samouraï (1967) Melville
26. 2001 Odyssée de l’espace (1968) Kubrick
27. Amour de perdition (1978) Oliveira
28. Nous ne vieillierons pas ensemble (1972) Pialat
29. Breezy (1973) Eastwood
30. Tout ce que le ciel permet (1955) Sirk
31. Femmes, femmes (1974) Vecchiali
32. Ludwig ou le crépuscule des dieux (1972) Visconti
33. Bigger than life (1956) Ray
34. Phantom (1922) Murnau
35. De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites (1973) Newman
36. In girum imus nocte et consumimur igni (1978) Debord
37. Mamma Roma (1962) Pasolini
38. La honte (1968) Bergman
39. Shock corridor (1963) Fuller
40. Introduction à la “Musique d’accompagnement pour une scène de film” d’Arnold Schönberg (1973) Straub/ Huillet
Quelques commentaires en vrac sur certains films, surtout les moins connus:
10. Deux hommes encore jeunes, étonnement silencieux, traversent l'Amérique dans leur drôle de voiture trafiquée pour participer à des courses automobiles, pas des vraies compétitions, mais des courses organisées au noir sur des terrains désaffectées. Avec eux : une fille. La question qu'ils se posent, sans jamais en parler: qui couchera avec elle ? Les dernières 30 secondes du film constituent la fin la plus extraordinaire de toute l'histoire du cinéma. Je vous laisse la découvir.
15. Raoul Ruiz est un cinéaste chilien installé en France depuis 1973 (suite au coup d'Etat au Chili). Il a fait un nombre incalculable de films que quasiment personne n'a vu dans sa totalité, même lui prétend ne pas les avoir tous vus. Malgré quelques films à gros budget mettant en image des classiques de la littérature française et européenne, il tourne très vite avec des bout de ficelles, souvent en vidéo. L'homme passe pour un intello mais il surtout un adepte de l'humour borgésien.
De tout ce que j'ai peu voir de lui, L'hypothèse du tableau volé se démarque vraiment comme un objet extraordinaire ne ressemblant à rien de connu jusque là, et anticipant certaines grandes oeuvres ultérieures (je pense à Syberberg et Sokourov).
Le film s'inspire très librement d'une oeuvre de Klossowski; il est réalisé selon la technique des tableaux vivants. Un érudit expose aux spectateurs sa théorie au sujet de sa collection de tableaux du peintre pompier (imaginaire) Pierre Tonnerre. Passant d'une scène à l'autre, d'un tableau vivant à l'autre, il déduit par un raisonnement alambiqué, et évidemment incompréhensible, qu'il doit manquer un tableau dans la série.
Pour la petite histoire, on notera que c'est le tout premier film de l'acteur Jean Réno.
De Ruiz, à voir absolument également le moyen-métrage Colloque de chiens.
17. Syberberg a été actif pendant une assez courte période, du milieu des années 60 au début des années 80. C'est une personnalité sulfureuse et son film sur Hitler a fait scandale en Allemagne. Le film dure environ 7 heures, divisées en 4 épisodes. Syberberg interroge fiévreusement son histoire nationale et ne recule devant aucune outrance formelle.
19. Sokourov est LE cinéaste russe en activité le plus important du moment, le Tarkovski actuel, tout le reste est à des kilomètres en-dessous. Moloch est son film sur Hitler, qui là aussi a créé un malaise en Allemagne, parce que Hitler n'est pas présenté comme le monstre, le criminel de guerre qu'on attend mais comme un personnage assez ridicule mais finalement plutôt sympathique. Hitler est montré entouré de ses proches (dont Eva et Goebbels) en Bavière dans la villa où il passait ses vacances, pérorant et refaisant le monde par un discours frôlant la folie douce. Dur de découvrir qu'on s'est fait entuber par un tel bouffon.
Ce film fait partie d'une trilogie consacrée à des hommes de pouvoir, outre ce film: Le Soleil sur le dernier empereur du Japon Hiro Hito, de toute beauté, et un film sur Lénine (pas vu).
20. Grandrieux vient de la vidéo; Sombre est son premier essai au cinéma. Coup d'essai, coup de maître, malgré un scénario qui tient sur un timbre-poste (les deux films suivants m'ont déçu); c'est finalement une version moderne et sombre d'un conte de Perrault: le grand méchant loup est un tueur en série, incapable d'avoir une relation normale avec les femmes, il remplace l'acte sexuel par le meurtre. Un jour, il rencontre une femme qu’il arrive à ne pas tuer : miracle de l’amour ! Même s’il continue à en zigouiller quelques-unes par après, l’instant magique d’une rencontre a eu lieu.
A la folie meurtrière s'ajoute une étonnante fascination pour la cérémonie estivale du Tour de France, rendue ici étrangement inquiétante par l'image volontairement assombrie, et la bande-son minimaliste et envoutante d'Alan Vega.
21. Vers la fin des années 60, quand le système des studios hollywoodiens semblait cassé, est né aux Etats-Unis un genre qui n'existe plus aujourd'hui et qu'on pourrait appeler : le « film de femme ». Un film de femme n'est pas forcément réalisé par une femme mais il a pour figure centrale une femme qui est en décalage par rapport à la société qui l'entoure, qui ne se reconnaît plus, ne se définit plus par les rôles que cherchent à lui assigner les hommes (jeune fille/épouse/mère). Dépassant les clivages des rôles sociaux, marginale, inadaptée ou suradaptée, la femme des films de femme a quitté le monde des hommes, même si elle est capable à l’occasion d’en consommer un pour ses besoins sexuels. L’archétype de ce genre cinématographique serait Klute de Pakula, mais on peut y ranger aussi les films de Newman, Breezy de Eastwood, Rain People de Coppola et quelques autres. De tous, c’est Wanda de Barbara Loden qui est le plus bouleversant, un diamant brut que tout cinéphile devrait connaître. Barbara Loden était la seconde femme d’Elia Kazan, elle est morte jeune d’un cancer. Wanda est son unique film, écrit, produit, réalisé et joué dans le rôle principal par elle. Les moyens techniques sont réduits, l’image est granuleuse, ce qui cadre merveilleusement avec le projet esthétique du film. Wanda est une extra-terrestre qui a dépassé le point de non-retour et déambule dans l’Amérique avec un regard détaché et halluciné sur tout ce qui lui arrive : rencontrer un type pas très recommandable, braquer une banque, assister à l’arrestation du type, s’asseoir dans un bar, sans doute pour rencontrer d’autres types : never mind.
Personnellement je donnerais toute la filmographie de Kazan pour Wanda.
25. Jef Costello est le père de Travis Bickle. Melville admirait le film noir américain, mais en plaçant son film sous le signe du samouraï et en l’accompagnant d’une citation bidonnée du Bushido, c’est plutôt vers l’Extrème-Orient qu’il envoyait son message. Delon au sommet de son art et de sa beauté tient le rôle d’un acteur de théâtre nô, avec pour seuls complices une pianiste de jazz et un bouvreuil, chargés d’exprimer à sa place les émotions qui lui sont interdites. La mort du tueur aux gants blancs mise en scène par lui-même a la beauté d’un idéogramme peint en noir à l’encre de chine sur une soie blanche.
Message reçu à Hong-kong, où le film a transi des générations de spectateurs, John Woo ne s’en jamais remis, et Johnny Hallyday a dû faire le voyage pour interpréter Costello chez Johnny To. Aux dernières nouvelles, Delon him-self sera dans le prochain film de To pour un remake du Cercle rouge. Costello pourrait bien enterrer Delon.
27. Oliveira a réalisé son premier film au temps du muet, il a maintenant dépassé le siècle et son dernier film est sorti il y a quelques mois. Il est toujours en activité. Amour de perdition est le film qui l’a fait connaître hors du Portugal. 4 heures 20, longs plans-séquences, reprise intégrale des dialogues et du récit d’un classique de la littérature portugaise, amour fou et contrarié et saut dans le vide final… Seuls les Straub sont allé aussi loin dans la radicalité du parti pris esthétique.
28. On ne parle plus beaucoup de Pialat. Il a pourtant marqué de son empreinte le cinéma français dans la façon de mettre en scène les corps d’acteurs, comme Cassavetes aux Etats-Unis. Marlène Jobert en prend plein la gueule pour pas un rond ; elle sert de punching-ball à la cruauté de Yanne/Pialat envers la femme aimée qu’on ne peut s’empêcher de détruire.
29. Breezy est le plus beau Eastwood, avec Josey Wales peut-être, le plus méconnu aussi. Cette histoire d’un quinqua qui a honte de tomber amoureux d’une fille de 20 ans est aussi l’histoire de la rencontre de deux période d’hollywood : William Holden est un héros fatigué de tant de westerns et polar des années 40 et 50, il lui faudra toute la durée du film pour oser affronter ses sentiments. La jeune hippie semble plutôt sortie de Easy Rider. Eastwood est un peu entre les deux, à la croisée des chemins ; entre le cow-boy propet de Rawhide et Dirty Harrry il devra choisir.
31. Vecchiali est un cinéaste français important qui a sa communauté d’admirateurs fervents, même si elle est limitée. Femmes, femmes est un film-limite, quasi-expérimental, un Kammerspiel pathologique. Son sujet en est la logorrhée délirante et hystérique de deux femmes enfermées dans un appartement qui fantasment le monde, la société, les hommes, les femmes, le sexe. Inracontable et indispensable.
Pasolini fut tellement impressionné par le film qu’il embaucha sur-le-champ Hélène Surgère et Sonia Saviange pour les faire jouer dans Salo (ce sont les deux « diseuses »), comme si la logorrhée féminine trouvait son aboutissement naturel dans les phantasmes du divin marquis.
34.Phantom ne doit pas être confondu avec Nosferatu, film de vampires bien connu. Phantom a longtemps passé pour perdu parce que la Cinémathèque Française n’en possède aucune copie. Il a refait surface il y a quelques années et il est maintenant disponible en DVD. L’histoire est bête comme tout : un homme tombe amoureux d’une femme à devenir fou. Ce qui frappe dans le film, c’est le souverain mépris de toute psychologie. L’homme est un piéton qui se fait renverser par la voiture (à cheval) de la belle : il en tombe aussitôt amoureux sans aucune espèce d’explication. Une scène m’avait frappé : l’homme est au restaurant, l’âme en peine, la table est ronde ; soudain la table s’enfonce et creuse un puits dans le sol, un cycliste parcourt en boucle la paroi verticale du puits. Tout ça a lieu dans une petite ville de province dont l’architecture rappelle les villes médiévales, tout ce qu’il faut quand on rêve du romantisme allemand, avant que les nazis ne souillent le rêve.
Phantom, c’est l’amour dans le cabinet du docteur Caligari.
36. In girum... est le dernier film de Guy Debord. Il reprend le même dispositif que pour la Société du spectacle : images hollywoodiennes ou commerciales détournées par un commentaire théorique en voix-off, mais ici il a rajouté des images de son cru tournées à Venise. Ce qui en ressort est une étonnante nostalgie des années militantes 68 et post-68. Il ne faut pas trop s’inquiéter de comprendre le baratin théorique, incompréhensible de toute façon à la première vision du film, mais se laisser bercer par la belle voix de Debord sur les images de la lagune en noir en blanc.
38. Dans la filmographie de Bergman, la Honte est injustement méconnu. C’est le plus grand film sur la guerre, avec les Carabiniers de Godard. Pas vraiment un film de guerre, au sens traditionnel, ni un film contre la guerre, juste un film qui montre les effets de la guerre sur ceux qui ne voudraient pas y participer, donc aussi sur les spectateurs de cinéma.
39. Ce Shock Corridor n’est pas le couloir de la mort mais celui qui sépare un journaliste américain du prix Pulitzer. Le traverser s’avère plus difficile que prévu car c’est toute l’Amérique qu’il faut traverser en même temps avec ses tares et ses tarés. Le journaliste y laisse sa santé mentale.
Le film a été réalisé en 1963, si on devait le refaire aujourd’hui, il faudrait rajouter plusieurs dizaines de mètres à ce couloir, avec quelques personnages en plus (genre : une soldate tenant en laisse un prisonnier nu).
40. Jean-Marie Straub (les initiés disent : les Straub car il a fait tous ses films avec sa femme Danielle Huillet, décédée récemment, Straub contiue seul) est à la cinéphilie ce qu’est l’Everest à l’alpinisme. Il s’attaque généralement à des monuments de la culture européenne (Corneille, Brecht, Schönberg, Kafka, Höllderlin…) qu’il filme frontalement en de longs plans-séquences, le spectateur doit lire des kilomètres de sous-tires et le premier qui parle d’ennui se fait aussitôt rembarrer : « Le spectateur est responsable de son ennui !». Moi, j’aime ça .
Introduction… est un court-métrage de 15 mn. Une lettre d’Arnold Schönberg au peintre Kandisky concernant le politique raciale de Hitler est lue à l’écran, puis une lettre de Brecht. A la fin du film apparaissent des images de communards dans leurs cercueils, et de la guerre du Vietnam où les avions américains déversent des tonnes de bombe.
Ah bon, y’a un rapport ?
Le film est visible sur Dailymotion (sans les sous-titres).
Message édité par Mine anti-personnel le 23-01-2010 à 21:46:47