Citation :
Présidence de M. Laurent FABIUS, Président, puis de M. Louis MERMAZ, Vice-président
Mme Véronique VASSEUR est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, Mme Vasseur prête serment.
M. le Président : Madame, vous êtes médecin chef à la prison de La Santé, à Paris. Vous avez écrit un livre dont on a beaucoup parlé, qui a fait lobjet de nombreux commentaires. Compte tenu de votre expérience, nous avons pensé utile de vous entendre.
Pourriez-vous, en quelques mots, évoquer les points que vous estimez essentiels ou, si vous le préférez, nous faire part de votre sentiment à la suite des réactions suscitées par votre livre ? Nous passerons ensuite au jeu des questions-réponses.
Mme Véronique VASSEUR : Jaborderai dabord la question des locaux, puis celle de la population et enfin celle des mentalités.
En premier lieu, les locaux.
Les cellules sont occupées par deux, trois, voire quatre détenus. Cela ne va pas au-delà à la prison de La Santé ; dans certaines prisons, ils sont six. Ces conditions engendrent la promiscuité et la violation de lintimité. Les wc sont communs et sans cloison. Le manque de douches est à lorigine de nombreux problèmes. Le climat de violence entre détenus, qui encourage le phénomène du caïdat, est entretenu par la surpopulation et les locaux inadaptés. Ce ne sont pas trois coups de peinture et la réfection de la plomberie qui régleront les problèmes, pas plus quun programme de reconstruction des prisons. Jajouterai même que La Santé, bien que vétuste et crasseuse, reste lune des prisons les plus humaines.
La population : la prison de La Santé compte 65 % détrangers, dont 30 % sont détenus pour infraction à la législation sur les étrangers. Ce sont des personnes qui nont, à lextérieur, absolument pas accès aux soins et pour lesquelles la prison est le seul endroit où ils peuvent se faire soigner. On entend parfois des détenus qui, revenant en prison, déclarent : " Jai repris six mois ; je vais enfin pouvoir me faire traiter. " Cest dramatique. La prison ne doit pas être perçue comme le lieu où lon soigne.
On trouve beaucoup de personnes présentant de graves dérangements psychiques, et lenfermement naméliore pas ces pathologies. Il y a également des psychopathes, des personnes de plus en plus âgées et de nombreux toxicomanes - de 25 à 30 % de toxicomanes - avec tout ce que cela peut engendrer comme trafic à lintérieur de la prison, que ce soit de médicaments ou de drogues qui entrent et circulent.
La médecine en prison a fait des progrès considérables. On est passé dune médecine de brousse à une médecine " normale ", bien quelle soit dispensée dans des conditions bien spécifiques. Toutefois, subsistent de gros problèmes : nous ne disposons pas de " cellules à alarme " pour des personnes à risques, présentant de graves pathologies. Il ny a pas de rondes de nuit entre une heure et quatre heures du matin alors quil y a un médecin de garde 24 heures sur 24 ; il arrive ainsi souvent que lon retrouve les personnes décédées au matin.
Se pose également le problème des entraves pour les extractions vers des établissements de soins ; ces entraves sont en effet posées de façon très subjective.
Les mentalités poussent au non-respect, au tutoiement par les surveillants, au système des " balances ", comme dans la police, avec des pressions sur les détenus les plus fragiles pour quils dénoncent les autres.
On constate également un grand laxisme. Un détenu peut rester couché jusquà deux ou trois heures de laprès-midi et choisir de ne pas faire son lit ou de ne pas nettoyer sa cellule. Je ne pense pas que ce soit là la meilleure façon de préparer sa réinsertion. Il faut également déplorer loisiveté des détenus, surtout dans une maison darrêt comme celle de La Santé, où il ny a quasiment rien à faire, si ce nest regarder la télévision et faire deux promenades, en un lieu où ne pousse pas un brin dherbe.
Le " mitard ", quartier disciplinaire, prison dans la prison, où ont lieu la moitié des suicides par pendaison, constitue aussi un énorme problème.
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