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La Bretagne était-elle indépendante en 1488 ? Sagissait-il au contraire dune province du royaume franc dirigée par des vassaux félons ? Ces deux questions ont-été le point central dune controverse entre moi, étudiant en droit, et un historien amateur qui, dans un site prolifique sur lhistoire de France soutenait le second point de vue. Après trois ou quatre échanges de courriels, nous ne trouvâmes pas de terrain dentente et lorsque je pointai du doigt son parti pris politique dans sa démonstration, il cessa finalement de correspondre, me reprochant dans son dernier courrier de ne pas avoir fait comme lui en présentant ma démonstration sur un site internet. Je nai pas le temps pour macquitter de cette tâche de la manière la plus approfondie possible. Aussi ne vais-je développer ici quune simple démonstration théorique pour laquelle jai besoin de lavis expert dun intervenant qui se reconnaîtra je pense, si tant est quil puisse me lire. Cette modeste démonstration, qui sera bien peu académique veuillez men excuser, tiendra en trois points développés succinctement : définition de la vassalité, origine de la Bretagne, évolution de la situation juridique au cours du moyen-âge.
1) Vassalité et hommage sont-ils synonymes ?
a) La vassalité : organisation particulière de la propriété immobilière
En effet, la vassalité est avant tout cela : lorganisation de la propriété immobilière après la chute de lempire carolingien. On a tendance à locculter pour ny voir quune relation de pouvoir entre dominant et dominé (exemple : Karl Marx). Or cette abstraction est la source des erreurs les plus communément commises par les amateurs dhistoire médiévale, voire par certains historiens professionnels eux-mêmes. Aussi doit on définir de manière précise cet aspect négligé pour bien comprendre les choses. Partons du lien qui unit le vassal à son suzerain. Cest certes un lien personnel, pour ne pas dire contractuel, entre deux personnes qui ont chacune des obligations envers lautre, ce rapport « quasi-contractuel » étant malgré tout déséquilibré (voilà pourquoi on ne peut pas vraiment parler de contrat). La nature de ce rapport est la confiance qui sexerce bien entre deux personnes (lien personnel) mais par lintermédiaire dune chose (lien réel) le fief. Le suzerain concède au vassal, la propriété utile de tout ou partie de son domaine, lui se réservant la propriété éminente. Cela signifie que le vassal exploitera pour son propre compte le fief quil sest vu confié, mais le suzerain demeure le propriétaire des terres quil peut lui reprendre légitimement. Ainsi, ce droit à la propriété utile est au départ viager et non héréditaire. (On peut faire lanalogie avec le rapport entre lusufruitier (équivalent moderne du vassal) et le nue-propriétaire (équivalent du suzerain) à la seule différence quil sagit bien dun lien contractuel car équilibré.)
Si le prétendu vassal exerce un droit de propriété éminente sur ces terres, cela signifie que le prétendu suzerain nest pas propriétaire du fief mais que le prétendu vassal en est le bien propriétaire direct. Or la vassalité suppose que le vassal tienne ses terres du suzerain. Donc dans pareille situation, la vassalité nexiste pas.
b) LHommage : élément simplement formel
Certains veulent voir dans lhommage la preuve dun lien de vassalité. En réalité ce nest rien de plus quun élément formel au même titre que lécrit de nos jours. Prenons lexemple des contrats écrits justement. La forme quils prennent est la même. Mais leur contenu peut-être différent, tout comme leur nature. Les obligations sont aussi différentes. Comparons aussi un acte unilatéral de volonté avec un contrat. Ce sont deux documents juridiques de même forme mais de nature juridique différente. Il en va de même pour lhommage. Ce nest quun moyen formel qui vient homologuer des relations juridiques de nature différente. Ce peut-être un lien de vassalité, mais ce peut être aussi une alliance entre deux familles ou deux Etats. Le caractère formel peut se déduire aisément de son aspect cérémoniel, voire sacré. Le fond ne prime pas au cours de cette cérémonie. Ce nest que la répétitions de gestes particuliers pour rendre valable une relation qui a déjà été négociée. Je ne cherche pas à minimiser limportance juridique de lhommage au contraire. Cet élément est indispensable, et son défaut entraînerait linvalidité juridique de la relation. Mais il ne faut pas se tromper. On ne peut se servir dun élément formel pour prouver lexistence au fond dun lien juridique particulier.
2) Les ducs bretons tiennent-ils leurs terres des rois français ?
Je ne métendrai pas sur ce point. La féodalité naît à la chute de lEmpire. Or, la Bretagne a été, à lapogée de celui-ci, un Etat tributaire (pour les terres à louest de la frontière Saint-Brieuc/Vannes) et non une province impériale) et non une province impériale (A lexception des comtés de Vannes et de Rennes) Puis ce royaume breton sest étendu et sest unifié sous le règne de lEmpereur Charles le Chauve pour les Francs et de Nominoë pour les Bretons. Ce même empereur franc reconnaîtra lindépendance des bretons (termes modernes) autrement dit il reconnaîtra que les francs et ses souverains (anachronisme) ne sont pas propriétaires des terres gouvernées par les bretons. Donc, à laube de la féodalité, les chefs Bretons (quils soient rois ou ducs) possèdent la propriété éminente de la Bretagne et non uniquement la propriété utile.
3) Cet état de fait a-t-il évolué au cours du moyen-âge ?
a) Lépoque Normande
Les Normands ont davantage piller la Bretagne quils nont tenté (ou réussi ?) de la conquérir. Il y eut un traité conclu en dehors de la présence des princes bretons, qui reconnut la suzeraineté de la Bretagne aux Normands faisant des ducs de Bretagne de simples comtes. Quoiquils en soient, les normands avaient été chassés par celui qui abandonna son titre légitime de roi pour celui de duc, et, parallélisme des formes oblige, ce que les Normands auraient pu obtenir par la force ils devaient le perdre par la force. Ainsi, les français ne peuvent arguer de ce traité et de la vassalité entre les ducs normands et les rois français pour démontrer lexistence dun lien de même nature avec un prétendu arrière-vassal que serait la le duc breton.
b) Lépoque capétienne
Les français prétendent aussi que les ducs bretons sont vassaux des rois français depuis le mariage de Pierre de Dreux et dAlix de Thouars. Je vais reprendre ce que jai déjà dit :
1. Si dune part la loi salique était applicable :
- Le mariage dAlix ne transmet pas le pouvoir ducal à son mari de la même façon que le Mariage dIsabelle de France à Edouard II dAngleterre navaient pas transmis la couronne de France au souverain anglais au XIV siècle
- Les descendants de ce mariage nhéritent pas du pouvoir ducal de la même façon quEdouard III nhérita pas du pouvoir royal en France.
2. Si d'autre part la loi salique n'était applicable :
- La Constitution bretonne sapplique et dans ce cas, le mariage dAlix ne transmet pas le pouvoir ducal au roi français. Le mariage ne crée en aucun cas un lien de vassalité. Lhommage rendu par Pierre de Dreux au roi français est un lien entre lui et son parent mais, nétant pas lui même propriétaire de la Bretagne, il ne peut donner la propriété éminente aux rois français. Et dailleurs il ne le fera pas au contraire ! Un historien de Louis IX en sera si courroucé quil lappellera au XV siècle comte et non duc.
Pourquoi la loi salique nest pas applicable ? Voici largument que mon contradicteur mopposa : cest une loi qui ne sappliquait à aucun vassal car elle ne concernait que les rois de France. (sous-entendu [illogique selon moi]: le fait quelle ne sapplique pas montreraient justement que les ducs bretons étaient des vassaux du roi et non des rois eux-mêmes. Constatez dans le même temps larrogance ! La loi franque se seraient elles appliquer à toutes les monarchies dEurope ?) Il me cita les Rois Maudits. Mais tout juriste, même les étudiants sait que cest une erreur grossière ! La loi salique est avant tout un code privé de la propriété domaniale et de transmission par héritage pour certains aspects et pénal surtout pour lessentiel (la justice pénale nétant pas encore publique à lépoque des francs saliens). Donc cest bien une règle de droit privé et qui sapplique à tous les seigneurs francs avant de sappliquer à leurs rois. Ce nest pas à lorigine la constitution de la monarchie française. En conséquent largument est irrecevable.
Les guerres de successions et les deux traités de Guérande. Je nen dirais que quelques mots. La dynastie anglophile lemporte mais désormais les ducs doivent rendre lhommage au roi de France et la Bretagne doit appliquer dans les règles de dévolution quelques éléments de la loi salique. Ces traités seront violés par François II et sa fille Anne de Bretagne en 1488 puisque cette dernière monte sur le trône en lieu et place de lhéritier des Penthièvre. A mon sens, cette première violation invalide tous les actes postérieurs (contrats de mariage, dot, traités) suivant ce raisonnement juridique : Anne et donc ses descendants, mandataires et usufruitiers également (Claude et Henry, Louis et François) étaient incompétents pour disposer de la Bretagne dun point de vue purement juridique. Ajouter à cela les illégalités (qui furent mis en évidence par Mr Melennec et que je vais indiquer dès le prochain paragraphe) des documents pris sur un fondement lui même illégal et vous obtiendrez la nullité incontestable du traité de 1532, et en conséquence lindépendance totale de la Bretagne.
La validité juridique des traités, au Moyen-Âge comme aujourdhui, est subordonnée à quatre conditions, qui doivent être impérativement réunies : les parties contractantes doivent avoir la capacité de conclure un traité ; elles doivent être consentantes, leur consentement devant être libre, non altéré par la contrainte, la violence ou la concussion ; le traité doit être conclu selon les formes prévues par les coutumes constitutionnelles des Etats en cause ; enfin les deux pays contractants doivent retirer du traité des avantages identiques ou équilibrés.
a partir de ce point : http://www.agencebretagnepresse.com/fetch.php?id=3305
Mr Melennec a démontré que dans le prétendu « traité » de 1532, aucune de ces conditions nest respectée.
1) Seuls, le Duc et son gouvernement, ont la capacité dinitier, de négocier, de conclure les traités internationaux. Les Etats de Bretagne ninterviennent quà la fin du processus. Il sont seulement autorisés à ratifier le traité.
En contractant directement avec les Etats de Bretagne, instance totalement incompétente pour cela, la France a conclu un accord nul et non-avenu.
2) Les principaux du Duché et les députés présents à Vannes, ont été circonvenus par la concussion pour certains dentre eux. Au moment des faits, la ville est entourée par la Cour de François Ier (10 000 à 14 000 hommes), venu sur les lieux avec son armée. L'armée bretonne, elle, n'existe plus: la Bretagne est totalement à la merci des Français. Les Etats ont agi sous la contrainte ; ni de près, ni de loin, la Nation bretonne na exprimé le moindre consentement à lengloutissement du duché par la France, son ennemi millénaire.
3) Dans le duché de Bretagne, la conclusion des traités obéit à des formes très strictes : le Duc seul avec son gouvernement possède linitiative de négocier. Les négociations sont menées par lintermédiaire de ministres plénipotentiaires, munis de pouvoirs spéciaux pour cela, et porteurs de directives précises.
Le texte rédigé est soumis au Duc et à son gouvernement qui, sils lapprouvent, y apposent leurs signatures. Enfin, les Etats, en séance publique, ratifient le texte.
Or, en 1532, cest la France seule qui a pris linitiative de lopération. Les Bretons nont désigné aucun ministre plénipotentiaire. Il ny a eu aucune négociation, mais des conciliabules entre la chancellerie de France et quelques Bretons acquis aux intérêts français. Aucun texte bilatéralement rédigé na été soumis à lapprobation des députés bretons. Enfin, le prétendu traité a été promulgué à Nantes dans le courrant du mois daoût, non pas par les deux pays simultanément, mais par un édit de François Ier, cest à dire par une loi française émanant dun état étranger, par conséquent de nul effet en Bretagne, pays entièrement souverain.
Voilà donc les Bretons vivent dans une Bretagne indépendante et unifiée (l'ensemble des pays bretons y compris celui de Nantes)
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