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EDF, un cadeau empoisonné
Louverture du capital dEDF a été un succès, mais attention aux lendemains qui déchantent.
« Cest un très grand succès populaire », sest félicité le ministre de lEconomie, Thierry Breton, sur RTL le 18 novembre dernier, juste après la clôture de la souscription pour les 15 % du capital dEDF introduits en Bourse. Plus de cinq millions de particuliers si lon compte les salariés et anciens salariés qui bénéficiaient dune offre préférentielle ont choisi de devenir actionnaires de lélectricien public. Un record pour le nombre de souscripteurs et pour le montant levé : 7 milliards deuros. Ni France Télécom, ni Orange, ni Gaz de France navaient fait mieux. Pourtant, EDF nest pas vraiment le placement sans risque vanté par le gouvernement. Les premières cotations semblent le confirmer. Revue de quelques incertitudes, tant pour les nouveaux actionnaires que pour les consommateurs et les contribuables.
La première interrogation porte sur la fin de vie des centrales nucléaires : qui va payer la note de leur démantèlement et celle de la gestion des déchets radioactifs quelles produisent ? Le démantèlement des centrales actuellement en fonctionnement devrait commencer autour de 2017 et le processus sétaler jusquen 2080. Voire plus sil était décidé de prolonger leur durée de vie au-delà de quarante ans.
Quant aux déchets très nocifs issus de la production délectricité nucléaire, faute de pouvoir sen débarrasser, ils devront être stockés pendant des centaines dannées. On ne sait pas encore vraiment où ni comment, mais le plus probable semble être désormais que les plus radioactifs seront enfouis en profondeur, tandis que les moins dangereux seront gardés dans des centres en surface. La mise en place du stockage profond des déchets devrait nécessiter des moyens financiers importants jusquen 2070. Et la surveillance des centres de stockage en surface durera elle
trois cents ans.
Des provisions parties en fumée
Au total, la Cour des comptes estime, dans un rapport de janvier 2005, que les charges pour le démantèlement et les déchets représenteront la somme rondelette de 48 milliards deuros pour EDF. Cependant, personne nest vraiment sûr des coûts réels de démantèlement. « En France, les dépenses pour le démantèlement sont évaluées à 15 % du coût dinvestissement initial des réacteurs par les instances officielles, souligne lassociation Greenpeace. Les récentes expériences de démantèlement en France montrent que cette estimation devrait être revue à la hausse. Par exemple, si lon applique cette règle à la centrale de Brennilis actuellement en démantèlement, le coût du démantèlement ainsi calculé ne serait que de 19,4 millions deuros. Or, aujourdhui, le coût annoncé est de plus de 480 millions deuros ! ».
La centrale de Brennilis appartient cependant à la première génération des centrales nucléaires, alors encore expérimentale. Ce qui expliquerait lécart entre les coûts réels et leur estimation initiale. Une telle surprise ne devrait pas se reproduire pour les centrales actuelles, selon la Cour des comptes. Pas très rassurant tout de même pour les millions de petits actionnaires qui cherchaient un placement de père de famille
A moins que ce ne soit finalement le contribuable qui paie la facture. Cest ce qui va déjà se passer pour la centrale de Marcoule : en novembre 2004, EDF et le groupe Areva se sont débarrassés de la responsabilité de son démantèlement moyennant une soulte payée au Commissariat à lénergie atomique.
Deuxième incertitude : la gestion des sommes provisionnées par EDF en prévision de la fin du nucléaire. Jusquici, lopérateur public nétait soumis à aucune contrainte particulière concernant le placement de cet argent. Une somme qui, bien quinsuffisante, représentait quand même 1,5 fois les capitaux propres de lentreprise avant louverture de son capital. Du coup, cest cet argent qui a financé lexpansion internationale du groupe, lors de louverture des marchés de lénergie à la concurrence dans les années 90. De quoi lui permettre de devenir un des poids lourds mondiaux de lénergie avec un chiffre daffaires de 48 milliards deuros en 2004 et le premier parc de production européen. Las, beaucoup de ces acquisitions, notamment en Amérique latine, se sont avérées être des foyers de pertes récurrentes payés au prix fort. Et EDF a dû fortement déprécier leur valeur dans ses comptes. Ce qui revient à dire quune partie de largent mis de côté pour préparer la fin du nucléaire sest évaporée
La Cour des comptes lavait relevé dans son rapport et rappelait la nécessité de « ne pas faire reposer sur les consommateurs ou les contribuables de demain le paiement des charges déjà prélevées sur les consommateurs dhier et daujourdhui. » Doù sa demande de créer un fonds externalisé pour le placement des provisions, comme il en existe en Suède ou en Suisse. « Sans mécanisme de sécurisation, le risque existe, dans le cadre dune ouverture du capital (
) dEDF dans des marchés devenus fortement concurrentiels, que les conséquences financières de [ses] obligations de démantèlement et de gestion des déchets soient mal assurées et que la charge en rejaillisse in fine sur lEtat », concluait la Cour des comptes.
Préparer la fin du nucléaire
Le gouvernement a dû prendre en compte ces mises en garde. Et le Premier ministre a contraint la direction dEDF à quelques concessions dans le cadre du contrat de service public signé le 24 octobre dernier, avant le lancement de la privatisation. Dici à 2010, EDF sest engagé à consacrer plus de 12 milliards deuros à labondement dun fonds qui sera placé en titres financiers et sera exclusivement dédié au financement des charges de démantèlement. Ce fonds existe depuis 2000, mais il ne contenait que 2,6 milliards deuros fin 2004 et nétait abondé quà hauteur de 300 millions deuros par an. Lentreprise portera cet effort à 2,7 milliards en 2006, puis à 2,35 milliards par an pendant les quatre années qui suivront. Soit environ un milliard deuros de provisions supplémentaires chaque année par rapport à aujourdhui ! Une façon de reconnaître implicitement que le niveau des provisions était insuffisant jusquici.
Quoi quil en soit, ces obligations nouvelles devraient peser fortement sur les résultats de lentreprise : en 2004, EDF avait réalisé 1,3 milliard deuros de bénéfices. La société risque donc davoir du mal à afficher de telles performances à partir de 2006. Les sept milliards deuros levés lors de la privatisation étaient censés financer la nouvelle offensive dEDF à linternational. Dans la pratique, ils seront probablement surtout absorbés par la nécessité de reconstituer les provisions pour préparer la fin du nucléaire.
Lautre interrogation majeure liée à la privatisation dEDF porte sur linvestissement. Depuis les libéralisations du secteur de lénergie dans dautres pays, on sait que la logique de concurrence entre acteurs privés mène très souvent au sous-investissement et donc au vieillissement des infrastructures. Doù les situations de pénurie et les pannes géantes quont connues par exemple la Californie, New York et le Canada ces dernières années.
Sous-investissement chronique
Dans la perspective de la libéralisation du marché et de sa probable privatisation, cette tendance au sous-investissement sest déjà fait nettement sentir chez EDF : depuis 2002, le niveau des investissements du groupe a été divisé par trois. Dans le cadre du contrat de service public souscrit le 24 octobre dernier, le gouvernement a voulu prévenir ce risque en contraignant EDF à engager dici à 2010 plus de 40 milliards deuros dinvestissements, « principalement en France dans les infrastructures de production, de transport et de distribution ». Un effort très important par rapport au niveau actuel des investissements du groupe qui ne devrait pas manquer de peser négativement sur ses comptes.
Et après ? La plupart des centrales nucléaires françaises ayant vu le jour entre 1971 et 1983, le parc de production va vieillir dun coup. Devant lampleur de la tâche, EDF répondant désormais en partie à une logique dentreprise privée ne sera-t-elle pas tentée de repousser toujours plus loin les investissements nécessaires ? « Une entreprise privatisée surtout dans un contexte de libéralisation où les règles du jeu ne sont pas parfaitement claires nest pas incitée automatiquement à investir, analyse Jean-Marie Chevalier, directeur du Centre de géopolitique de lénergie et des matières premières à Paris-Dauphine. Donc cest lactionnaire ou bien le régulateur, la Commission de régulation de lénergie (1), qui a son mot à dire pour imposer les bons investissements. » Il ne reste quà espérer quils soient à la hauteur de la tâche
Marc Chevallier
(1) Commission de régulation de lénergie : autorité administrative indépendante chargée de surveiller le bon fonctionnement des marchés de lélectricité et du gaz. Cest en particulier elle qui propose au gouvernement les tarifs dutilisation des réseaux publics délectricité par les différents opérateurs.
Message édité par msf le 21-04-2006 à 01:11:41