C-C-C-Combo Breaker

« Les hommes préfèrent les blondes… et puis les femmes sontvénales… fais attention, l’eau, ça mouille… tu sais, tant va la cruche àl’eau… »Elle était épuisante avec ses généralités à trois piécetteset ses dictons crétins. Toujours un avis sur tout, stéréotypé si possible,parce que sinon, à quoi bon ? Elle s’était lancée dans une tirade sans fin, à la laverieautomatique.« Tu vois, je savais bien que j’étais trop gentilleavec elle. Quand même, j’en aurais avalé des couleuvres, depuis que j’aiaccepté d’héberger cette sauterelle ! Pourtant, je m’en doutais dès ledébut, note bien… »Et elle secouait les torchons pour les défroisser, comme sielle tenait entre ses mains celle dont elle parlait.Mais aussi, avait-on idée d’héberger une Violette, au corpsde bluebell girl et aux yeux d’écureuil polisson ? Avec un mari quis’ennuyait à ce point ? Quand on s’ennuyait soi-même autant dans savie ?Concurrence libre et non faussée, tu parles…Mais fallait-il réellement se plaindre quand un coupde vent imprévu vous donnait l’occasion de dépoussiérer votre vie sans tropd’efforts et à moindre frais ? Allons, allons. « Mais je serai vengée, tu verras, c’est sûr. Ils serappelleront longtemps de moi. »J’étouffais un bâillement en me curant un ongle. J’enprofitais pour finir discrètement d’écailler ma french manucure bon marché. Elle attrapa une chemisette rouge fatiguée, maculée detrainées beigeasses et la considéra d’un œil hagard, avant de la jeter en bouledans le panier. « Hum, ça fera un nouveau doudou pour le petit. »Je m’interrogeais sur le concept de la vie de famille enregardant Corinne, ses cheveux orange et rose rassemblés en bataille, satunique vert pomme qui pendouillait du côté où elle portait presqu’en permanenceson dernier, son corsaire en jean tendu à craquer et ses espadrilles Rykiel rayées.Une touche de glamour perdue dans un océan de tristesse ordinaire.Sa queue de cheval tressautait mollement à chaque secoussedes malheureux tissus qui avaient macéré dans son lave-linge en panne.Son Sylvain était parti. Et il ne s’était même pas épris d’uneblonde matérialiste. C’était quand même troublant.Elle me faisait presque de la peine, avec ses déboiressentimentaux et ménagers. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, n’est-cepas ? Soudain, j’ai eu envie de partir de là et vite.« Il vient à quelle heure, ton dépanneur ? »,j’ai demandé innocemment.« Ah flûte, il arrive dans cinq minutes… »J’ai marqué deux secondes d’hésitation, pour la crédibilité,pas plus : « Si ça te rend service, je peux aller chez toi l’attendrependant que tu finis ? »Elle a eu l’air étonnée. Pas habituée à ce genre degentillesse venant de moi. Et elle avait raison, je ne suis pas ce genre debonne copine.Un peu sur la défensive, elle a fini par lâcher unrapide : « Ok, merci. J’irai chercher les enfants à l’école avant derentrer, comme ça. Il devrait en avoir pour un moment à la remettre enétat. » Sans demander mon reste, j’attrapais mon sac indien etfilais dans la rue écrasée de soleil. L’été s’annonçait chaud, ce mois de maiétait un régal. En montant les escaliers, je me préparais déjà à m’installersur le balcon et à parfaire mon hâle printanier. Accueillie par un parfum d’aligot froid - quelle idée, parce temps -, j’abandonnais mes tongs dans l’entrée, mis un CD d’Otis Redding surla platine et fonçais sur le balcon. Après vérification que les cannissesm’assuraient bien un minimum d’intimité, je laissais glisser ma robe àbretelles et m’étendais sous le soleil. Exactement. Sourire aux lèvres, des ombres chaudes et colorées dansantsous mes paupières, la caresse de soleil sur ma peau, la voix de velours dansmes oreilles. Une sorte de moment parfait, dans un demi-sommeil. Juste perturbépar un ombre fraîche et la pénombre sur mes yeux.Hum ?Il était entré et me détaillait de la tête aux pieds.Rougissant tout en essayant de prendre un air très sûr de lui pendant que je merecouvrais vite avec ma robe.« Ça va ? Le spectacle vous plait ? »Il était finalement plus gêné que moi pendant que jerajustais ma tenue.« Excusez-moi, il a fini par bafouiller, mais avec lamusique… enfin, j’ai sonné, mais la musique était tellement forte… enfin, vousn’y allez pas avec le dos de la cuiller, vous… »En bonne peste, j’ai ignoré ce qu’il disait. « Lamachine à laver est par là », j’ai dit, en montrant la cuisine. Ca sentait le fromage à plein nez, le pauvre garçon avaitl’air stupéfait. J’ai fait brûler un peu d’huile essentielle de romarin pourassainir l’atmosphère. Corinne faisait toujours ça, pour éloigner les microbesde ses deux petits qui vivaient avec la morve au nez, hiver comme été. C’enétait surprenant, d’ailleurs, cette persistance.Toujours est-il que c’était efficace pour repousser lesmauvaises odeurs. C’était déjà ça. Un peu effaré, le réparateur cherchait comment accéder àl’arrière du lave-linge. L’endroit ne se caractérisait pas exactement par sondépouillement, il fallait bien le reconnaître. Et il me jetait des coups d’œilà la dérobée, l’air de se demander comment je pouvais vivre dans ce genred’endroit. Il était sûrement de ces gens qui imaginent la vie des autres àpartir de quelques détails. Observateur. Ca me plaisait plutôt à vrai dire. Parce que l’endroit mecorrespondait mal, ça avait l’air de cogiter sec pendant qu’il sortait de sasacoche une clé à molette de calibre réduit. Je suis ressortie sur le balcon, la musique revenue à unvolume plus acceptable pour le voisinage, une cigarette à la main. Les yeuxdans les nuages.Il s’est exclamé tellement fort que j’ai sursauté.Réinstallée sur la chaise longue, j’ai laissé passer unmoment, en faisant semblant d’être absorbée par la vie de Marie Curie – Corinneavait des lectures qui me laissaient pantoise.Il a fini par venir me parler, une voiture téléguidée poséesur la paume de sa main. Apparemment pas amphibie. La voiture. Sa main, enrevanche, avait l’air parfaite.« Elle va marcher beaucoup moins bien, forcément…», il aglissé. La porte s’est ouverte avec les hurlements des deuxgarçonnets. Corinne a fait son entrée, lasse.Sans un mot, j’ai pris mon sac, mes tongs, et je suispartie, avec un signe de la main à la petite famille, et un coup d’œil verslui.Puis je suis descendue, pas trop vite, j’ai traversé la rue,d’un pas décidé mais tranquille. J’ai avancé encore un peu et j’ai attendu sousune porte cochère, un peu plus loin, pour voir s’il me rejoindrait.