Je me permets de copier/coller une intervention que j'ai dénichée sur le débat d'un autre forum :
Les ursidés, c'est un peu mon domaine, alors au risque de paraître complètement subjectif, je cède à l'insoutenable envie de répondre à certains messages qui me font amèrement sourire.
Il me semble important de mettre les choses au clair à propos de cette prétendue menace oppressante de l'ours qui semble si manifeste pour beaucoup de gens qui ne connaissent la bête que comme horrible mob de JDRMM.
Certains contractent une peur viscérale pour tout ce qui est appelé ostensiblement « prédateur sauvage » alors quun chat est un prédateur plus dangereux pour lHomme, que le cheval tant adulé est en proportions bien plus meurtrier ; les légendes urbaines vont bon train, le mythe sédifie.
Au même titre que le requin, le loup, le lynx ou le terrible mais sacro-saint (tant quil reste en Afrique) Roi de la Savane, lours devient un dangereux ennemi sanguinaire à lappétit gargantuesque en hémoglobine (surtout humaine).
Cest charmant. Jaime beaucoup les contes moi aussi, surtout celui où un grand méchant loup se déguise en grand-mère avant de bavarder avec une crémière vêtue de rouge. Mais la réalité est toute autre, les attaques de prédateurs sur lHomme sont des fictions, quand elles ne sont pas tout bêtement de simples défenses contre les braconniers et/ou les chasseurs du dimanche.
Au Québec, où survivent encore tant bien que mal ours, coyotes, loups, et lynx, nont été jamais recensées que deux attaques mortelles sur lHomme. Cest pourtant dans la Baie dHudson, très fréquentée par lHomme, que se rassemblent limmense majorité des ours polaires les plus imprévisibles de tous durant la période estivale.
À titre de comparaison, il est infiniment plus risqué de se prendre la foudre dans le coin de la goule, de se faire assassiner par son voisin, de se tuer en astiquant son fusil, de mourir dun accident vasculaire cérébral en poussant lors de la grosse commission, ou encore de décéder en trébuchant sur un Lego au réveil avant de se rompre la nuque sur le coin de la télévision diffusant encore les rediffusions de la Recherche de la Nouvelle Star.
On estime à 500 000 individus la population totale dours noirs [I]Ursus americanus[/i], animal dont laire de répartition se limite au Canada, aux Etats-Unis et au Mexique. Lours noir est régulièrement observé près des habitations, venant fouiner dans les poubelles pour se nourrir. On na pourtant pas écho de massacres de riverains ou de campagnes dextermination de lespèce à simple but défensif.
Des nombreux pays abritant lours quel quil soit, la France est celui qui en possède le moins mais qui sen plaint le plus (bien que selon les sondages, la majorité des français soient favorables à sa réintroduction). Les slovènes suivent de près lavancement de ce projet de réintroduction et en arrivent à être choqués par la polémique soulevée autour de cinq misérables ours alors quils en hébergent près de 700 dans leur petit pays.
Mais l'ours n'est pas qu'un anthropophage, on lui reproche aussi d'être un sacré emmerdeur de bergers.
Sur le simple versant français du massif des Pyrénées, le cheptel ovin est estimé à près de 600 000 têtes pour des pertes annuelles situées entre 10 000 et 20 000 bêtes (brebis non retrouvées en fin de saison, foudre, maladies, éboulements, chutes, prédation (chiens errants et prédateurs naturels), les raisons sont diverses).
Les éleveurs accusent volontiers lours de tous ces horribles assassinats pour la simple et bonne raison que chaque bête tuée par ou à cause d'une espèce protégée leur est indemnisée pour le double de sa valeur commerciale, que les causes du décès soient manifestes ou simplement douteuses. À ce dédommagement sajoute une prime dite « de dérangement ».
Le bilan est commode pour le berger rigoureux ou non dans la surveillance de son troupeau qui peut être gagnant sur tous les fronts à chaque fois que lune de ses bêtes est perdue. Le chien errant gagne lui aussi sur tous les tableaux, innocent qu'il est car non lucratif.
Je trouve amusant que les anti-ours oublient tant de parler des chiens errants comme de ces indemnités à chacune de leurs protestations.
Si lon voulait samuser des chiffres, on sapercevrait que selon les accusations de certains, chaque ours français tuerait trois à quatre brebis par jour. Ça semble énorme, et pour cause, puisque seulement 200 décès de brebis sont en réalité attribués à lours chaque année, soit 100 fois moins.
Lours brun se nourrit davantage de baies, de poissons, de charognes et de petits mammifères que de brebis, mais il serait bien trop honteux davouer que le tueur le plus sanguinaire du territoire est avant tout un amateur de fraises des bois.
Bref, introduire des ours dans les Pyrénées serait une menace évidente pour le cheptel ovin français qui nuirait inexorablement à léconomie des éleveurs. Cest ici largument premier des anti-ours, mais il ne tient pas une seconde dès lors que lon connaît limpact réel de la prédation des ursidés sur les populations de brebis et leur intérêt économique dissimulé pour les bergers qui gagnent plus pour leur brebis les moins intéressantes (les proies malades ou faibles étant toujours les premières prédatées).
Pour rebondir sur certaines choses qui ont été dites dans ce sujet, un ours attaqué par un chien patou ne riposte pas, il fuit. Ces chiens sont capables de tuer des loups, et lours na aucun intérêt à se risquer à une confrontation avec de tels gardiens.
Il est par ailleurs à noter que les chiens de protection mis en place dans le cadre du programme ours ont permis de réduire la prédation sur les troupeaux de 92%. Un chien de protection permet en moyenne de sauver sept brebis par an et par troupeau, soit une économie de 1221 pour l'éleveur (« économie » est un bien grand mot compte tenu des indemnisations, j'en conviens). Sur un échantillon de 37 éleveurs enquêtés, plus de 300 brebis sont ainsi sauvées chaque année, soit plus de bêtes que n'en tuent les ours sur le massif. Cocasse.
Je pense inutile de chercher un intérêt concret à cette réintroduction. Avoir des ours dans nos montagnes nest pas plus utile quentretenir une plante verte dans sa véranda. Cest juste « bien ».
Il ne reste que 15 ours en France, cela fait bien longtemps que plus aucune pression de prédation nest exercée sur la faune sauvage locale, ce problème est dépassé oublié. Augmenter les effectifs ne pourrait être que bénéfique pour l'écosystème, cela-dit. Mais globalement, lours na a être réhabilité dans les Pyrénées que parce que cest là son habitat naturel, que parce quil nest sur le déclin quà cause de battues organisées et dune volonté certaine dextermination jusquen 1960 voire jusque dans les années 80 via des primes pour chaque dépouille. Lours disparaît du massif pyrénéen parce que lHomme la décimé et non pas parce quil n'est plus suffisamment compétitif pour y subsister.
Il ne sagit pas de nier ou de refuser la disparition naturelle dune espèce, mais de contrer l'une des erreurs flagrantes de lHomme. Il faut réintroduire l'ours dans les Pyrénées parce qu'il n'aurait jamais du être poussé vers la sortie.
Par ailleurs, lours slovène est absolument identique à lours pyrénéen. Il sagit de la même espèce, Ursus arctos, douée du même comportement et du même mode de vie. Cette espèce a simplement une aire de répartition dans laquelle sont incluses la Slovénie et les Pyrénées. Une comparaison entre le lynx est le cougar est du même ordre quune comparaison entre lours polaire et le panda roux, alors quune comparaison entre lours brun Pyrénéen et lours brun Slovène revient à une comparaison entre le poisson rouge de mamie et le poisson rouge du voisin, cest pareil. Lours slovène nest pas un lot de consolation ni un suppléant de fortune pour sécher les larmes des pro-ours, il est absolument identique à celui qui a disparu des Pyrénées, à l'exception qu'il n'y est pas né.
Maintenant, si je peux partager mon opinion sur la question, je suis tout de même sacrément subjugué par cette violente réticence.
Comment pouvons-nous inciter les pays les plus pauvres à sauvegarder leurs éléphants et leurs lions pour satisfaire notre émerveillement si nous ne sommes même pas capables dêtre unanimes pour le maintien dune population de 15 pauvres ours dans une zone de plus de 10 000 Km² ? Il y a 500 000 ours autour des États-Unis, des centaines dans chaque petit pays d'Europe Centrale et en Espagne, et la France est terrorisée incroyablement menacée par 15 de ces bestioles.
On oublie volontiers que lours a permis le maintien et la création de 100 emplois de bergers et de postes de techniciens. On oublie que la présence d'un prédateur génère du tourisme. On préfère le haïr parce quil a de grandes quenottes sacrément hostiles, alors quà linverse des cerfs et des sangliers, il na pas blessé une seule personne dans les Pyrénées depuis 1850 malgré sa traque soutenue.
Je ne vois qu'une illustration de cette mauvaise foi générale qui paraît si flagrante mais dont on n'ose pas parler quand je vois laffaire de ce berger jugé pour l'abattage dun loup à quelques mètres de lui quil dit avoir pris pour un chien errant, lui qui est un gars de la campagne.
Le pire dans tout ça, cest que nombre de pyrénéens et même déleveurs sont complètement favorables à cette réintroduction dours quils jugent juste.
Une réintroduction mûrement réfléchie, étudiée, et menée par des scientifiques dont lécologie et la gestion faunique constituent le métier. Des gens qui sont sortis des études à 26 ans pour apprendre à gérer des populations sauvages, qui ont des années dexpérience, et qui ne trouvent face à eux quun argumentaire basé sur le mensonge par omission, la diabolisation, et la mauvaise foi.
Je suis profondément choqué que le maintien dun environnement sain puisse être contrecarré par des types dont les méthodes se résument aux carcasses empoisonnées et aux pots de miel contenant du verre (même pas du poison cette fois, ce ne serait pas assez cruel) pour manifester leur mécontentement que tout tend à décrédibiliser.
Il est tout de même triste d'entendre les témoignages d'enfants d'éleveurs anti-ours qui militent aux côtés de leurs parents pour les aider mais avouent timidement vouloir avant tout voir l'ours de leurs propres yeux. Qui se chargera de leur dire qu'ils ne le verront qu'en photo alors qu'ils vivent pourtant chez lui ? Leurs parents ?
À côté de ça, les chats domestiques contribuent toujours à la disparition de dizaines despèces doiseaux et de rongeurs tout en blessant quotidiennement leurs maîtres. Heureusement quils ronronnent, eux.
P.S.
Je suis plus étranger au problème du loup, mais il est globalement le même. La population dans le territoire français n'excède pas 50 individus, alors qu'elle est bien supérieure dans bien d'autres pays sans qu'il y ait le moindre problème. Les méthodes des réfractaires sont les mêmes : carcasses empoisonnées, pièges, etc. Il y a de quoi être fier, je trouve.
Vivement qu'on reprenne la traque du renard et de la fouine pour protéger les poulets aux ailes coupées de nos jardins.