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L'affaire Executive Life risque de coûter très cher à la France
LE MONDE | 27.08.03 | 12h39
La justice américaine a donné au Crédit lyonnais jusqu'au 31 août pour trouver un règlement et éviter une inculpation dans l'affaire du rachat litigieux de la compagnie Executive Life en 1991 par Altus, filiale de la banque au Lion, Artémis (groupe PPR) et la MAAF. 500 millions de dollars, c'est le montant exigé par la partie américaine pour avorter le processus judiciaire outre-Atlantique et qui permettrait à la banque française de garder sa licence commerciale aux Etats-Unis. Au final, c'est l'Etat, garant du Consortium de réalisation, qui devra assumer, pour le compte du Lyonnais, l'héritage d'Altus. Plus d'une dizaine de personnes, parmi lesquelles François Pinault, l'ancien président du Lyonnais, Jean-Yves Haberer, et celui d'Altus, Jean-François Hénin, sont visés dans ce dossier.
Le gouvernement français ne sait plus comment se défaire de l'affaire Executive Life, du nom de cette compagnie d'assurances californienne rachetée par une filiale du Crédit lyonnais, Altus, la MAAF et Artémis, la holding de François Pinault, entre 1991 et 1993. Ce dossier, qui ne revêtait, à l'origine, qu'un intérêt mineur, est devenu, en l'espace de quatre ans, par son enjeu financier et par ses implications politiques, un véritable casse-tête. Le gouvernement français est aujourd'hui le dos au mur et doit gérer, en amont, trois fronts - juridictions civiles, la Réserve fédérale américaine (la Fed) et la justice pénale. Le parquet fédéral de Californie a indiqué au Crédit lyonnais qu'il procéderait à des mises en accusation publique, en vue d'un procès, si aucun accord amiable n'est trouvé avant le 31 août.
Une telle éventualité comporte des risques majeurs que le gouvernement souhaiterait éviter. S'il était condamné, le Crédit lyonnais pourrait être sanctionné par la Réserve fédérale par le retrait de sa licence commerciale sur le sol américain, ce qui pourrait mettre en danger, aux Etats-Unis, sa fusion avec le Crédit agricole. Par ailleurs, le président du Lyonnais, Jean Peyrelevade, pourrait, comme l'a indiqué le procureur adjoint de Californie, Jeffrey Isaacs, chargé de l'enquête, connaître les affres d'un procès public : assignation sur le territoire américain, risque d'une condamnation pour fraude et d'une incarcération.
Plus d'une dizaine de personnes, parmi lesquelles François Pinault, dont la holding a racheté, au final, la compagnie d'assurances, l'ancien président du Lyonnais, Jean-Yves Haberer, et celui d'Altus, Jean-François Hénin, sont visés par des mesures identiques. S'ils décidaient de ne pas assister à ce procès, le territoire des Etats-Unis leur serait interdit, ainsi que tout pays susceptible de les extrader vers celui-ci. Enfin, la mise en évidence, au cours d'un procès pénal, d'une fraude ouvrirait la voie aux procédures civiles initiées contre les Français par des plaignants, dont le commissaire aux assurances de Californie, qui réclament déjà plus de 5 milliards d'euros d'indemnisation.
Le paiement de telles sommes, sur les terrains civil et pénal, comprend un coût politique pour le gouvernement. Car l'Etat est le garant du Consortium de réalisation (CDR), qui assume, pour le compte du Lyonnais, l'héritage d'Altus, et doit assumer, à ce titre, en bout de chaîne, la charge financière des centaines de millions de dollars que sont décidés à obtenir les Américains. Comment justifier devant l'opinion française le prélèvement de plusieurs centaines de millions d'euros sur le budget de l'Etat pour cette seule affaire ?
C'est pourquoi, dans l'entourage de MM. Pinault et Peyrelevade, ainsi qu'au sein du gouvernement, l'obtention d'un accord, quitte à payer une forte amende, est présentée comme une priorité. "Certes, cela ressemble à une extorsion de fonds, mais les risques d'embrasement sont trop importants pour laisser l'affaire perdurer", affirme l'un des protagonistes. Si les intérêts de MM. Hénin ou Haberer ne semblent pas au cœur des discussions, au point que ceux-ci ont le sentiment d'avoir été sacrifiés, en revanche le sort de MM. Pinault et Peyrelevade est l'objet de toutes les attentions. "Le patron d'Artémis a fait le siège du gouvernement et de l'Elysée pour éviter d'être impliqué dans cette affaire. François Pinault sent que, si l'accord n'est pas scellé maintenant, il risque gros", confie l'un des "sacrifiés".
Reste à connaître les bases d'un éventuel accord. Le parquet fédéral de Californie a fait savoir à ses interlocuteurs qu'il exigeait le paiement d'une amende de plus de 500 millions de dollars. La France s'est dite prête à céder pour près de 300 millions de dollars.
Mais le seul paiement d'une amende ne suffit pas. Le débat porte également sur un aspect technique - mais capital - du dossier : la reconnaissance de culpabilité. Les avocats français veulent clore la procédure pénale, mais également le contentieux civil. Pour ce faire, il faut que la transaction stipule, sans ambiguïté, que le Lyonnais admet une infraction technique mais en aucun cas une faute pénale. A défaut, les procédures civiles pourraient se fonder sur un aveu de culpabilité ouvrant la porte à des réparations portant sur des milliards de dollars.
A quelques jours de l'échéance, il semble que ce dernier aspect, crucial, soit aussi l'objet de négociations. Selon l'un des avocats américains de la partie française, le procureur adjoint Jeffrey Isaacs, dont l'enquête a été qualifiée de "croisade" par les Français, ne serait pas partisan d'un accord global. Les protagonistes s'interrogent, à ce titre, sur la position réelle de sa hiérarchie, à Los Angeles et à Washington.
Au regard de l'état actuel des relations franco-américaines, l'échelon politique américain semble accorder une certaine liberté à M. Isaacs qui eut, par le passé, maille à partir avec le Crédit lyonnais dans l'affaire MGM. Les interventions politiques françaises exercées auprès des Etats-Unis n'ont rien donné. A quel moment Washington sifflera-t-il la fin de la partie ? L'échéance du 31 août permettra d'y voir plus clair, à moins qu'un rebondissement ne repousse, de nouveau, la date butoir.
De part et d'autre, ces considérations tactiques et financières ont remisé au second plan le fond du dossier. Selon la justice américaine, les Français ont enfreint la loi bancaire américaine qui interdisait, à l'époque du rachat d'Executive Life, à une banque - en l'occurrence Altus, filiale du Lyonnais - de contrôler une compagnie d'assurances. La MAAF a joué le rôle de faux nez, permettant à l'ancienne filiale du Lyonnais de tromper les autorités américaines. Cette opération aurait été faite avec l'accord du Crédit lyonnais, et Artémis, en tant que dernier acheteur, serait le receleur du produit de la fraude.
Les Français contestent le caractère frauduleux du rachat de la compagnie et affirment avoir agi sous le contrôle des autorités américaines compétentes, notamment dans le domaine des assurances.
Soucieux d'extirper des griffes de la justice américaine les principaux acteurs de cette affaire, désireux de préserver les intérêts du Crédit lyonnais et du Crédit agricole, estimant que l'addition finale pourrait être encore plus lourde dans l'éventualité d'un procès et qu'il est inutile de laisser l'incendie s'étendre vers Artémis et la MAAF, le gouvernement peut être tenté de céder aux pressions d'outre-Atlantique. Dans ce cas, comme le suggère un haut commis de l'Etat, "il ne serait pas illégitime que l'Etat partage la note avec ceux qui seront saufs".
Jacques Follorou