Quelques réflexions sur l'état de l'université en France
par Marie-Claude Perrin-Chenour, Professeur de littérature américaine université Paris X-Nanterre
07.02.09
Le problème de l'université française dépasse malheureusement de beaucoup le cadre des réformes actuelles. L'université est malade et son état empire progressivement depuis 30 ans.
Une collègue d'allemand en donnait récemment l'une des raisons : "les étudiants allemands parlent bien les langues car ceux que vous avez pu côtoyer ont le bac, c'est à dire qu'ils font partie des 30 % des jeunes Allemands d'une génération qui ont le bac (pas 85 % comme chez nous). Alors, bien sûr, leur niveau est meilleur que celui des Français titulaires d'un bac STG".
Le problème chez nous n'est pas que des titulaires d'un bac STG puissent faire des études supérieures, s'ils en ont montré les aptitudes (au cours par exemple d'évaluations orales ou de tests post-bac, voire après une année de mise à niveau), mais que TOUS les titulaires d'un bac STG ou autres puissent prétendre à faire des études dans TOUTES les filières, même sans compétence aucune. Cela a, nous le savons tous, des conséquences désastreuses pour les étudiants ainsi que pour les universités: taux "d'évaporation" considérable en première année, redoublements massifs, sélection par l'échec, engorgement de certaines filières et désertion d'autres, débouchés inexistants.
En ce qui concerne ce dernier point, le problème des débouchés, il est pourtant inhérent à la situation de départ : il n'existe dans aucun pays au monde 80% (et encore moins 85%) de places de cadres à distribuer. Moyennant quoi, nos étudiant(e)s de langues à bac +3 trouvent royalement des emplois de caissières de supermarché, de standardistes (vaguement "bilingues" ) dans des entreprises ou de vendeuses chez W. H. Smith (bien que ces dernières soient plutôt recrutées avec un Master).
Une enquête récente d'étudiants en sociologie a montré qu'il fallait aujourd'hui au minimum 3 années d'études de plus pour faire des métiers que l'on faisait en 3 fois moins de temps et avec moins de diplômes il y a 30 ans. Dans bien des cas, les études longues s'avèrent donc être un leurre, un miroir aux alouettes qui engendre beaucoup de frustrations. C'est un gâchis de vie qui se solde par la nécessité de se reconvertir tôt ou tard vers des filières plus professionnalisantes, lorsque c'est encore possible et qu'on en a les moyens financiers. Inutile de dire que ce fonctionnement handicape plus lourdement les jeunes de milieux défavorisés. En conséquence, l'université ne remplit plus son rôle de vecteur de promotion sociale comme elle le faisait autrefois. En fait, pour réussir aujourd'hui, il faut avoir compris ce mécanisme et éviter d'emblée l'université, ce que seuls les mieux informés et les plus favorivés ont la possibilité de faire. On constate d'ailleurs que les enseignants sont souvent les premiers à déconseiller à leurs propres enfants de faire des études... à l'université!
Or, le paradoxe du système éducatif français tient dans le fait qu'il n'a pas pour autant renoncé à la sélection ! Au contraire, il oscille entre l'hypersélection des Grandes Ecoles (4% seulement d'une classe d'âge, ce qui est ridiculement peu) et l'absence totale de sélection dans les formations classiques de l'université (pour environ 60% d'entre eux). Entre les deux, il existe une myriade d'autres formations, elles aussi hypersélectives (BTS, IUT, masters professionnels pour le public et écoles payantes pour le privé). Par ailleurs, il faut ajouter qu'aujourd'hui les grandes écoles sont presque exclusivement fréquentées par les enfants des classes supérieures ou des enseignants.
Il est donc grand temps de demander une réforme sérieuse de l'enseignement supérieur en France, une réforme qui mette fin à cette dichotomie schizophrène, une réforme qui reconnaisse et dise haut et fort par exemple que notre réseau de grandes écoles est obsolète, qu'il faut donc le dissoudre et, de ce fait, rendre à l'université la fonction qui est la sienne partout dans le monde : celle de la formation des cadres et des classes moyennes intellectuelles de la nation. Et, ce faisant, il faut rétablir, à l'entrée des nouvelles universités, un tri des compétences qui ne soit ni l'hypersélection actuelle des Grandes Ecoles, ni l'absence totale d'évaluation des universités françaises d'aujourd'hui.