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MISS FRANCE AU PAYS DES LABEURS
juillet 8th, 2011 · 6 Commentaires · Société
Crédit photo: Vincent Desailly
Samedi 4 décembre 2010. A l’issue d’un mois de préparation et de briefing entre la France et les Maldives, Laury Thilleman, une étudiante bretonne en deuxième année à l’ESC Brest est élue Miss France devant sept millions de pèlerins scotchés à leur poste. Comme chaque année, le cirque warholien se met en branle, propulsant au rang de célébrité une jeune fille jusque là parfaite anonyme. Etre débarquée de la sorte dans le merdier médiatique ambiant aurait de quoi être perturbant pour plus d’une jeune fille, mais deux mois après son élection, Laury Thilleman, 19 ans, a tout l’air d’une donzelle équilibrée qui ne se la raconte pas. Elevée dans une famille de classe sociale moyenne, elle semble empreinte d’une certaine humilité et prête une attention non-feinte à chacun de ses interlocuteurs, émerveillée par cette nouvelle fonction. Côté coulisse, elle peut compter fermement sur une équipe de soutien acquise à sa cause. Il y a la directrice de la société, Sylvie Tellier – elle-même ancienne Miss France – dans le rôle du chaperon médiatique, Juliette Parizy, son attachée de presse – en permanence à ses côtés – qui joue les femmes de l’ombre et quelques autres employés affiliés à Endemol. A écouter Juliette qui s’occupe de chaque Miss France depuis cinq années, ce petit monde formerait avant tout une famille sur laquelle Laury peut s’appuyer jour et nuit. Côté business, Miss France reste avant tout une petite machine économique qui ne tourne pas trop mal. Rachetée en 2002 par la société de production Endemol à Geneviève de Fontenay pour la somme de six millions d’euros, on peut estimer que le concours génère une centaine de milliers d’euros de bénéfices chaque année pour la société Miss France. Cette réalité est autrement plus juteuse par contre pour TF1 qui encaisse en moyenne 5 millions d’euros bruts de revenus publicitaires, l’espace d’une unique soirée. Conséquence de cette manne à gratter, 2011 aura été l’année du grand n’importe quoi, avec l’organisation de deux autres concours nationaux en parallèle. Miss Nationale par Geneviève de Fontenay elle-même, ainsi qu’un autre concours obscur répondant également au nom de Miss France, d’anciens associés de la vieille dame au chapeau en revendiquant la possession originelle. En résumé un beau bordel avec lequel Endemol ne transige pas, multipliant les discrets recours en justice.
Entre cadeaux et contraintes
Crédit photo: Vincent Desailly
Remporter le concours constitue également une sacrée opportunité financière pour l’heureuse élue. En plus du salaire mensuel alloué à la gagnante – Endemol ne communique pas dessus – celle-ci se voit offrir tout un tas de cadeaux pour une valeur totale de 103 490 euros. Voiture, voyages, robes de gala, bijoux ou encore mise à disposition d’un appartement pendant un an, on s’assure que l’heureuse élue ne manque de rien. Mais on s’en doute, une telle dotation ne va pas sans un certain nombre de contraintes. Les codes à respecter sont nombreux. Pas de jeans, de clopes ou de picole en public par exemple. Avoir un mec n’est pas incompatible, s’afficher avec lui par contre est un peu plus problématique. Par moment, le discours se veut aussi très formaté. En l’espace d’une journée, la Miss aussi bien que son attachée de presse m’ont répété à maintes reprises que l’ambassadrice de la beauté française se doit d’incarner un certain nombre de valeurs en conformité avec les idées que les petites filles comme les grands-mères pourraient se faire de la jeune fille modèle. Vous pensez bien, il ne faudrait pas trahir ces gamines et ces bonnes femmes qui verraient en mademoiselle l’incarnation d’un être garant de la bienséance à la française. Au quotidien, jouer les Miss France n’a rien d’un boulot de branleuse. Les journées sont souvent très longues. Entre galas, foires, salons et autres fenêtres médiatiques de promotion, il n’est pas rare que la Laury soit amenée à se taper des charettes de quatorze ou quinze heures. Quand j’ai été amené à la suivre au cours d’une de ces interminables journées de promo, je l’ai rejointe un peu avant huit heures du matin pour une émission de radio. Une dizaine d’heures plus tard, au moment de s’éclipser – après avoir essuyé entre temps une séance d’essayage et l’enregistrement de deux émissions de télé – celle-ci n’avait pas encore fini sa journée. J’étais rincé pour ma part d’avoir couru dans tout Paris, d’avoir passé des heures à zoner dans un studio chez NRJ, dans le showroom d’une designeuse ou encore dans une chambre de l’hôtel Crillon. Contractuellement obligée de participer à l’enregistrement d’une troisième émission de divertissement à une vingtaine de kilomètres de Paris, ce n’est sans doute que très tard dans la soirée qu’elle a pu enfin laisser tomber le masque pour s’effondrer sur le lit de l’appartement mis à sa disposition pendant un an. Et quand elle n’est pas en session de promotion, la Miss France doit écumer les salons; manière de rencontrer et rendre un petit quelque chose au petit peuple qui l’a élu. Comme elle le reconnait elle-même en toute honnêteté, passer sa journée à parader au milieu d’une foule n’est pas spécialement plus reposant:
« Ce sont des journées assez rudes. Il faut être disponible en permanence, même quand il s’agit de la trois millième personne de la journée qui veut sa photo et son autographe. Il faut faire comme si c’était la première fois. »
Rupture de réalité
Crédit photo: Vincent Desailly
La position de plus belle femme de France a pourtant quelque chose d’assez infantilisant. A partir du moment où la demoiselle est élue, sa vie bascule irrémédiablement dans une réalité que la majorité de l’humanité ne caressera jamais. Du remplissage de placard de fringues à l’organisation de son emploi du temps, la vie de la Miss France est réglée comme du papier à musique. Si cette logique peut s’entendre – après tout personne ne la force à accepter ce rôle d’ambassadrice – il était assez gênant par moment de la voir sous la coupe d’une réalisatrice l’utilisant comme un pantin, allant même jusqu’à lui demander de s’improviser en simili-actrice de bas-étage lors d’un tournage pour TF1 auquel j’ai assisté. Laury n’est visiblement pas du genre à faire des histoires, mais il y avait quelque chose de déstabilisant à la regarder jouer dix fois une scène où on lui demandait de faire semblant de mettre une chaussure en ponctuant la chose d’une tirade ridicule, préalablement écrite. L’autre critique majeure qu’on pourrait faire à la mission de Miss France tient au décalage avec la réalité qu’un tel rôle finit inexorablement par imposer. Son retour à l’ESC Brest pour signifier officiellement à son directeur son impossibilité de poursuivre son année est largement révélateur de cette spirale dans laquelle les Miss sont plongées:
« Je n’ai jamais eu aussi peur d’aller dans un endroit. C’était pire que passer un examen ou faire un plateau devant 8 millions de personnes. J’étais terrifiée à l’idée de revoir des étudiants et le regard des autres dans un milieu que je fréquentais quotidiennement auparavant. C’est grave quand même. Je ne suis jamais stressée normalement mais là j’étais bouleversée. Et je me demandais comment ce serait après un an. Je ne pourrai pas reprendre le cours de ma vie normale, c’est sûr. Il faudra peut-être trouver des arrangements. »
Miss France, un métier comme un autre?
Crédit photo: Vincent Desailly
Laury Thilleman la petite provinciale assumée vit pourtant son élection comme un conte de fée. Comme le feraient sans doute bien d’autres, elle hallucine par exemple sur son ensemble de bagages Lancel à 10000 euros. Elle reconnait volontiers prendre beaucoup plaisir à découvrir ce monde injecté de strass et paillettes et revendique son droit à se prendre au jeu, tout en tentant de garder le recul nécessaire pour ne pas sombrer dans les affres de la célébrité. En pleine séance de maquillage, l’éclat brillant dans l’oeil, elle a alors cette phrase bien moins anodine qu’elle n’y parait:
« En ayant 19 ans, je me rends bien compte que cette histoire est surnaturelle. J’ai l’impression d’être dans un Disney, qu’il m’arrive un truc de dingue. C’est un peu Cendrillon qui arrive dans le monde des princesses. »
Le monde des princesses. Le mot est lâché. L’histoire de la petite fille qu’on fait rêver n’est pas qu’un prétexte. Il y a véritablement dans l’institution Miss France une mécanique implacable, une machine à vendre du rêve de génération en génération. Quand on est un mec, il est aisé de facto à focaliser son regard sur l’aspect de la bonnasse incarnant parfaitement une énième tendance matérialiste. Mais ce serait passer totalement à côté de ce truc qui fait et fera pourtant saliver plus ou moins consciemment des bataillons de gamines qui grandiront un jour. Laury est une nana coquette qui commence à se rôder et apprécier son rôle, même quand on lui demande de se prêter à des petites séquences ridicules. Tel qu’elle le formule, incarner Miss Hexagone ne serait après tout qu’un boulot comme un autre où l’on finit toujours par atterrir peinard dans son canapé en fin de journée. Le mini-scandale provoqué par la photo sur laquelle elle roulait une pelle à une camarade de promotion au cours d’un week-end d’intégration démontre pourtant que cette assertion n’est pas tout à fait exacte. Laury Thilleman occupe une fonction qui l’expose et rend chacun de ses faits et gestes susceptible d’être récupéré par l’opinion publique. Il faudrait pour autant être une sacrée tête de con pour la blâmer, l’air du temps étant à une forme appréciable et largement plus poussée en matière de moeurs. Mais Laury n’est plus de celles qu’on traite comme les autres.
Miss France ou pas, Laury Thilleman reste pourtant une fille bien de son temps. A l’instar des jeunes gens de son âge, on sent qu’elle a grandi dans la crainte de ne pas trouver un emploi le moment voulu. Consciente des réalités économiques, elle a déjà intégré l’enseignement principal de toute école de commerce, à savoir se constituer un réseau. Consciencieuse, elle conserve ainsi chaque carte de visite qui lui est donnée avec la conviction que son futur projet professionnel passera vraisemblablement par l’homme ou la femme derrière l’un de ces bouts de carton. La position de Miss France constitue d’ailleurs un accélérateur de carrière indéniable. Huit ans après la fin de son règne, Sylvie Tellier occupe aujourd’hui le poste convoité de directrice de Miss France SAS. Malika Ménard, la précédente Miss France avait émis le souhait d’être journaliste. Son rôle lui aura permis de passer du temps dans les rédactions les plus en vue que compte ce pays. Chaque année avec le concours Miss France, une fille se voit ainsi offrir l’opportunité de tirer profit d’une surexposition médiatique et de l’appliquer directement aux règles précaires du marché de l’emploi. Après tout pourquoi pas. La modernisation de la tâche et la volonté de la direction que celle qui l’incarne soit en phase avec sa génération, font qu’au final, on ne demande plus à la Miss de n’être qu’une potiche. Pour autant, nul doute qu’il y aura toujours des associations de féministes pour protester contre l’image de la femme véhiculée par les concours de beauté. Quelque part, c’est probablement se tromper de combat. Dans la mesure où il y a contrat au départ, personne n’est forcé à faire quoi que ce soit contre son gré dans cette histoire. Le règne des critères physiques comme facteur de réussite dans la société occidentale – véhiculé notamment par les élections de miss – est sans doute l’aspect le plus questionnable dans toute cette mascarade sociale. Mais n’en déplaise à tous un tas de crétins, si Miss France est bien l’un des symboles d’une société opulente et parfois inconsciente, la racine du mal matérialiste qui ronge l’idéal social d’un pan d’éternels contestataires, elle, n’est pas là.
Loïc H. Rechi
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