si qqun a le courage, ceci est vraiment tres instructif...
à l'ecran, c mortel, moi, je l'ai imprimé (et gardé)
slt
"Si çà peut aider, je retransmets à l'attention de tous ceux qui auront le
courage de la lire jusqu'au bout, l'introduction du livre de Paul Stump "The
Music's All That Matters", que j'avais traduite il y a un ou deux ans.
C'est l'un des textes les plus pertinents que je connaisse sur le thème de
la définition du prog (et il répond à mon avis très bien au débat en cours).
Bon courage :
Contrairement à une idée reçue, le principal problème du rock progressif n'
est pas l'auto-indulgence. Ce n'est pas non plus l'incompétence ou l'
inculture de la critique. Ce n'est pas même la prétention (une épithète que
les inventeurs de cette musique ont dû si souvent supporter avec un patient
stoïcisme). Oh non ! Le problème du progressif, c'est son nom.
Le rock progressif est peut-être le genre le plus consciemment « adjectivé »
de toute l'histoire du rock. Son nom même implique des propriétés
intrinsèques. Il s'agit d'un rock qui, à l'évidence, « progresse ». Le sujet
est à peine effleuré, et nous voici déjà renversé cul par dessus tête. sans
rentrer dans la nature même de cette progression, peut-on dire du rock qu'il
progresse ?
De telles questions ne sont pas le centre d'intérêt de cet ouvrage.
Ce livre a d'abord pour préoccupation de définir, puis d'étudier le rock
progressif en tant que phénomène. Le plus grand nombre, si ce n'est la
totalité, des gens que j'ai interviewé m'ont demandé comment je définissais
le rock progressif. Peu d'entre eux ont été susceptibles d'être classés sous
cette rubrique. Bien que la presse progressive l'ai fait, je ne leur en fait
pas le reproche. Mais peut-être est-ce là le problème : la réputation de la
musique. Le rock progressif est un terme vague et péjoratif, une sorte de
catégorie virtuelle, plus couramment associée au rock expérimental ambitieux
des années 70, à une époque où le standard de trois minutes appliqué à la
musique populaire volait en éclats, et où celle-ci se trouvait brusquement
étirée dans toutes les directions, oscillant sans cesse entre la recherche d
'une dimension artistique et d'une portée politique. Le rock progressif
était la musique de fond accompagnant tous les bouleversements de la
contre-culture à la fin des années 60, et la chimère grandiose d'une
méticuleuse transformation sociale et culturelle.
Le rock était alors perçu comme faisant partie d'une culture « en
progression », et toutes les formes de musiques étaient jugées «
progressives » dès lors qu'elles semblaient braver les normes commerciales.
Avec le temps, toutefois, le terme s'est restreint à un ensemble confus de
musiques, caractérisées par un haut degré de complexité instrumentale et
structurelle. Les caractéristiques ordinaires du rock - le rythme et la
mélodie - y étaient déconsidérées au profit de la virtuosité instrumentale
comme critère de valeur absolu. La composition et la construction étaient
envisagés comme des moyens d'expression aussi valides que la spontanéité
créative. L'intérêt culturel et social y était recherché à travers le
croisement d'autres musiques, telles que la folk, le classique et le jazz.
Après la disparition, à la fin des années 70, de cette forme musicale
distendue et souvent même éclatée, minée par le développement graduel de son
opposé, le Punk prolétaire basique et ultra-fondamentaliste, la critique a
commencé à définir le terme « progressif » comme désignant toute forme de
musique rock plaçant le langage musical au premier plan, en tant que moyen d
'expression discrétionnaire et souverain. Un biais par lequel l'interprète s
'efforce, ou semble s'efforcer, de porter la musique populaire au delà des
limites de la chanson pop préfabriquée, et des structures conventionnelles
de la chanson en général. Un lieu où la musique tente d'atteindre un «
ailleurs » culturel, en dépassant les conventions du rock ou de la pop.
Mais la culture Techno n'a-t-elle pas effectivement renvoyé le standard des
trois minutes dans les poubelles de l'histoire ? The Residents, Père Ubu et
les autres groupes d'avant-garde européens et américains ne prennent-ils pas
de telles distances avec le rock ? La réponse est oui. Mais ils le font sans
l'héritage spécifique du savoir-faire musical qui rend le vrai progressif
unique.
D'une certaine façon, le titre de cet ouvrage est un mensonge. La musique n'
est pas la seule chose qui compte. L'idéologie - l'idéologie progressive -
de l'idéalisme artistique a suivi un cheminement culturel ininterrompu qui
remonte aux années 40. La tradition des écoles d'art, prônant l'
individualisme créatif, le génie et l'aventurisme romantique dans les arts,
a influencé beaucoup de branches de la musique populaire britannique, mais
une conjoncture spécifique de conditions culturelles, sociales et
économiques dans la deuxième moitié des années 60 a favorisé la production
de musique pour la musique elle-même. C'est l'héritage de ce phénomène que j
'ai tenté de retracer.
Un grand nombre des personnes que j'ai interrogées nient l'existence du «
rock progressif » en tant qu'entité, l'acceptant tout juste comme une
étiquette commode, inventée après coup par les journalistes. Je partage leur
cynisme, mais je pense quand même que l'utilisation du terme « progressif »
pour désigner les travaux de Peter Gabriel, des incarnations de King Crimson
dans les années 90, et même des libres improvisateurs comme Chris Cutler,
est pertinente. Ce qui unit tous ces musiciens, c'est une idéologie
progressive commune de l'expression musicale rock, ce désir d'une «
transcendance » par le rock qui est au coeur de la musique progressive.
Les musiciens progressifs, s'il fallait en croire leurs directeurs
artistiques, n'étaient pas simplement des musiciens de rock. Ils étaient -
dans les années 70 tout au moins - des artistes, mus par des aspirations
élevées d'expression et d'originalité personnelles, d'authenticité
individuelle, d'honnêteté, et autres semblables qualités universelles. Leur
musique, nous assuraient ces mêmes publicitaires, ne s'immobilisait jamais,
méprisait les conventions, était dans un état d'évolution permanente - à l'
inverse de la pop contemporaine mercantile et stéréotypée, à l'encontre de
laquelle elle était commercialisée. Effectivement, une minorité manifeste de
musiciens progressifs avait sincèrement adopté des points de vues
artistiques et politiques radicalement révolutionnaires, et dynamitaient
leur musique avec un radicalisme théorique rigoureux. Ces hommes et ces
femmes représentaient une facette du rock progressif différente de ce que l'
on présentait communément et stupidement comme l'idéal-type du genre (des
rockers de stade exubérants), et leur contribution - le Rock In Opposition,
héritage de Henry Cow, des Art Bears, de Recommended Records, et de quelques
autres - occupe une place centrale dans ce livre, à côté d'interprètes plus
traditionnels comme Genesis ou Yes. Tout bien considéré, ces conceptions se
sont combinées pour créer la forme la plus distinctement anglaise et
unanimement controversée du rock et de la pop (ce qui explique pourquoi je
me concentre presque exclusivement sur les îles britanniques dans cette
étude).
Mon but est d'exposer les complexités et les contradictions de cette forme
d'inspiration et de musique rock, beaucoup trop souvent renvoyée à un
mouvement musical excessif, désespérément épuisé, et balayé à juste titre
après l'invasion opportune du rock britannique par le punk en 1976/77. Comme
prolongement de cet exposé, je souhaite expliquer par la suite le déclin du
progressif, et plus sérieusement, étudier l'abandon critique et commercial
auquel il a maintenant succombé.
Je ne crois pas que le punk (qui d'après les propres mots de Logan et de
Woffinden, tirés de The NME Encyclopedia Of Rock, cherchait « à rendre le
rock de nouveau agressif. à restaurer son appartenance à la rue » ) fut le
seul responsable de la mort du rock progressif. Son aspect baroque et ses
programmes abscons l'avaient déjà distancé des consommateurs culturels au
terme des années 70, et ses ambitions radicales en matière d'élaboration
musicale lui avaient aliéné les maisons de disques.
Les discours ultérieurs portant sur le progressif l'ont sempiternellement
décrit comme une aberration historique monstrueuse, une sorte de Troisième
Reich musical, sans aucun fondement culturel légitime, alors même qu'il
occupait le devant de la scène. Les démonologies étouffantes et irraisonnées
n'ont toutefois jamais aidé à comprendre, et c'est précisément cette
attitude que je voudrais défier. Quelle que soit l'opinion que l'on s'en
fait, le progressif doit être jugé dans son contexte historique, et réévalué
en gardant cela à l'esprit.
Il est trop facile d'affirmer, à l'instar des discours rock rebattus, et
comme l'a dit une fois le comédien Alexei Sayle à propos du music hall, que
le rock progressif est mort « parce que c'était nul ». Si c'est la seule
raison, alors cela présuppose que le progressif ait été supplanté par
quelque chose de nouveau et de meilleur. Le Heavy-Metal, dont la parenté
avec le progressif remonte aux années 60, et regardé comme le remplaçant
éventuel du progressif dans le cour et l'esprit de sa cible commerciale (« l
'adolescent blanc-bourgois-masculin »), peut difficilement être assimilé à
un stade d'évolution musicale supérieur au progressif. Les fautes capitales
du progressif envers le bon goût, son excès et sa vantardise, sont
violemment amplifiées dans le Heavy-Metal. Qualifier un groupe de
Heavy-Metal de primaire est tout simplement un euphémisme. L'engouement de
ce style pour la virtuosité instrumentale et les clichés spectaculaires
rappelle le progressif, mais leur exagération jusqu'à la parodie devrait,
théoriquement, le faire percevoir comme encore plus redondant que son genre
frère. Pourtant, le Heavy-Metal continue à s'épanouir dans le monde entier.
La pensée postmoderne a justifié ce phénomène par le relativisme du discours
culturel, qui aurait permis au Heavy-Metal de prendre place au panthéon de
la critique rock. L'insistance du relativisme postmoderne sur l'
impossibilité d'attribuer une valeur absolue à l'effort artistique, l'
absence de quelque supériorité que ce soit d'un produit culturel sur un
autre, a assuré la réévaluation du Heavy-Metal par la critique, comme cela s
'est également produit pour les musiques Country et Western. Une fois
raillées et tournées en dérision , ces musiques ont finalement été amplement
reconsidérées, non seulement comme la consécration d'un sang neuf comme
celui de Nanci Griffith et de Dwight Yoakam , mais comme des genres en tant
que tels. Il est important de noter que leur ré-appréciation ne s'est pas
arrêtée à de simples gesticulations satiriques et ironiques, émanant de
quelques critiques rock spirituels. Les crucifix, le cuir, les lamentations
ringardes pour des chiens morts et des amants disparus dont raffole le
Heavy-Metal ne sont plus de simple jouets kitsch. La presse rock a réagi à l
'influence renouvelée du marché en leur attribuant une dose calculée de
couverture médiatique. Rien de tel avec le progressif. Inconnu parce que
mal-aimé, mal-aimé parce qu'inconnu, il n'a pas même atteint la
respectabilité au stade de l'écrit, y compris dans une décennie obsédée par
le renouveau des années 70.
Alors que la tendance du rock à renchérir sur lui-même s'accroît de plus en
plus, est-il vraiment réaliste d'accuser le progressif d'ambition excessive
? Avec la généralisation réussie des réflexes identitaires du rock les plus
extrêmes (excès, auto-indulgence et passéisme sénile), célébrée par les Live
Aid (et MTV), la deuxième moitié des années 80 a vu s'établir une culture
rock à côté de laquelle les gros mortiers du pompiérisme progressif semblent
s'apparenter au stakhanovisme le plus ascétique.
Un constat qui ne tracasse pas le moins du monde les médias, spécialement la
presse rock. Ce tabou persistant qui leur interdit de décrire le progressif
comme autre chose qu'une tache sur l'histoire du rock doit cesser, surtout
si un renouveau de ce genre musical est sur le point d'avoir lieu.
L'un des principaux problèmes concernant l'accueil critique du progressif a
longtemps tourné autour de la question de la musique elle-même. La
complexité du discours progressif - la nature ésotérique de sa pratique -
ont été la cause de beaucoup d'inquiétude de la part de la critique. En
fait, la critique rock condamne l'habileté technique à un degré introuvable
dans n'importe quelle autre sphère culturelle. Face à cette attitude, la
réaction de comptoir de la communauté des musiciens consiste à prétendre qu'
un tel dénigrement émane de musiciens frustrés. Je suggérerais plutôt que l'
accent porté par le progressif sur le contenu et la forme de la musique a
ouvert un abîme entre lui-même et la critique.
C'est pourquoi ce livre se concentre en premier lieu sur la musique. Simon
Frith , qui a déclaré un jour que le disco était musicalement plus «
intéressant » que le rock progressif, se permet également de proclamer, de
manière tout aussi désinvolte, son ignorance des techniques de composition
musicale . Même si l'on peut opportunément citer la célèbre réplique du
Docteur Johnson : « je ne sais pas comment on fait une chaise, mais je sais
reconnaître une bonne chaise quand j'en vois une », mieux vaut peut-être
prendre la peine de considérer ces mots du musicologue Allan Moore :
« Le problème, c'est qu'un commentaire qui n'est pas étayé par une solide
assise théorique est, au mieux, de qualité douteuse. Il est certain qu'aucun
sociologiste ne tenterait d'expliquer (.) le rôle des maisons de disques
dans le commerce versatile des musiques populaires sans un support
acceptable de théorie culturelle sur lequel s'appuyer (.) »
Je ne suis pas musicologue. Pas plus, j'en suis sûr, que beaucoup de mes
lecteurs. Pas plus, j'en suis encore plus sûr, que beaucoup de musiciens
lisant ces lignes. Mais comme affirme Moore, la musicologie est une affaire
interdisciplinaire . C'est pourquoi je crois que le phénomène progressif ne
doit pas être examiné uniquement au niveau musical, mais aussi en terme d'
occurrences idéologiques et culturelles, à la fois sources et produits de la
création de cette musique. Il doit donc être expliqué par l'évolution de la
culture contemporaine en général, et même en termes de politique, d'
économie, et d'attitudes face au sexe ou à la race. De plus, comme déclare
encore Moore, le rock ne peut être compris qu'à travers ses propres termes,
et non par référence à la musique classique, ethnique, ou à n'importe quelle
autre musique. Comme il le fait très justement remarquer, « les normes de
cette tradition critique passent à côté des facteurs particuliers où le rock
peut être le plus intéressant (et complexe, et profond) : timbre, texture,
manipulation sonore, qualité de l'interprétation, etc. » . Mais à ce niveau,
les conditions sociales de sa production doivent aussi être prises en
compte. Il convient en outre d'étendre cette étude aux liens qui unissent le
progressif au postmodernisme, une parenté curieusement oubliée soulevant
beaucoup de points intéressants qui, je l'espère, nous permettrons de
re-situer le progressif dans l'histoire du rock.
La nature inaugurale de cette étude va sans aucun doute la rendre
imparfaite. Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, je ne souhaite pas
renforcer des opinions par ce livre, mais je veux inciter au débat. Quant
aux histoires de plateaux spécialement recouverts de tapis pour ELP, ou de
vaches en carton présidant aux enregistrements de Yes, ne vaut-il mieux pas
en rire ?
Je souhaite éviter une sur-intellectualisation manifeste, ce qui est
précisément l'accusation la plus souvent portée contre le progressif. D'
autre part, je suis conscient que mon approche risque de m'aliéner beaucoup
de partisans du progressif, qui ont attendu trop longtemps une étude de
cette musique tantôt inspirée, tantôt rebutante, mais toujours fascinante. A
leur intention, je voudrais dire : tenez bon ! Les mythes associés au rock
progressif, aussi bien ceux qu'il a lui même entretenu que ceux fabriqués
par les discours critiques convenus, sont mes cibles privilégiées. Un grand
travail de réécriture a été entrepris ici. Quoi que l'on puisse dire, l'
intelligence, pour le meilleur ou pour le pire, était un des points forts du
progressif.
Un musicien progressif m'a dit un jour : « le rock progressif était
typiquement britannique, une sorte d'amateurisme inspiré : comme Churchill
et son mur de brique, comme les Beatles ». N'est-ce pas, aujourd'hui, une
sagesse difficilement acceptée ? Une telle image ne semble pas correspondre
à la vision couramment admise d'une musique cérébrale à destination des
classes moyennes, au rock progressif démesuré dépeint par la légende,
hyper-professionnel, athlétique et spectaculaire. Et pourtant, ce musicien
était présent, plus proche de l'action que n'importe qui d'autre. Que
voulait-il dire ?
Je crois qu'une telle approche est essentielle, pour la simple raison qu'
elle s'est fait longtemps attendre. Après un retard si injustifié, cette
musique mérite une écoute digne et consciencieuse. L'une des plus fières
prétentions du progressif était d'être une musique « pensante ». Cette
affirmation était souvent loin d'être vraie. Les adeptes du progressif, qu'
ils aient été face à la scène ou derrière les vitres des studios, étaient
généralement trop absorbés par la consommation ou la réalisation de
spectacles pour penser à la musique, et bien loin d'avaler les discours
plats des maisons de disques sur une musique en provenance directe du cour
et de l'esprit. Ce livre tente de combler ce vide intellectuel. Si les
partisans du progressif pensent réellement leur musique plus que ne le font
les fans de pop, alors voici leur chance de le prouver.
Mon opinion est que le progressif a produit quelques unes des pages les plus
fines de toute la musique pop et rock. Ses réalisations, passées ou
présentes, réelles ou imaginaires, méritent une réaction plus rationnelle qu
'une hagiographie à deux sous, ou leur rabaissement à des balancements de
genoux. En gardant cela à l'esprit, il est donc nécessaire de répéter que la
raison principale qui m'a poussée à écrire ce livre est qu'il était grand
temps que quelqu'un le fasse.
Message édité par odeu le 21-04-2005 à 15:24:15
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