Attention dans la Rhône les vieilles moches sont aussi dangereuses :
(Impossible d'etre plus insolite que ca)
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Jamila Belkacem a été condamnée, en 2003, à trente ans de réclusion pour le meurtre de son amant. Elle comparaît cette semaine pour avoir, de sa prison, organisé l'assassinat (raté) de son mari. Et fait de sa fille son bras armé.
par Olivier BERTRAND
QUOTIDIEN : lundi 30 janvier 2006
Lyon de notre correspondant
Ce matin-là, la cour d'assises du Rhône s'apprêtait à juger en appel madame Belkacem. Une femme condamnée en première instance à vingt ans de réclusion pour avoir tué son amant après avoir vidé ses comptes. Le président venait de tirer au sort les jurés, lorsque survint le coup de théâtre, sous forme d'une lettre signée du mari de madame Belkacem. Le président l'a lue à haute voix : «Je vous écris pour vous dire que je ne viendrai pas au procès en tant que témoin car je suis coupable. Oui, monsieur, c'est moi qui ai assassiné Jacques Brunet, le 23 février 1999 dans la soirée. Cette date me hante. [...] Je ne supporte pas la prison et je ne pense pas qu'elle va diminuer ma souffrance. Je préfère me suicider libre que derrière les barreaux.»
Stupeur sous les lambris, mais répit de courte durée pour Jamila Belkacem, dont le procès sera seulement repoussé, et lui vaudra trente ans de prison au lieu de vingt. Car une enquête démontre qu'elle a poussé sa fille aînée à tenter d'assassiner le père, et à poster de faux aveux. Mère et fille comparaissent cette semaine, avec une complice présumée, pour ce deuxième épisode. La justice va s'attarder sur la personnalité étonnante de madame Belkacem, femme de 45 ans, naïve, manipulatrice, et très persuasive.
Arrivée en France en 1983, Jamila Belkacem se marie un an plus tard avec René Maillard, rencontré par petite annonce. Elle obtient la nationalité française, ils ont quatre enfants, puis un jugement du tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône prononce une séparation de corps sans divorce, en 1994. Car monsieur Maillard aimait trop les hommes, selon Jamila Belkacem. Parce qu'elle voulait toucher plus d'allocations, rectifie le mari.
Fausse identité, fausses ordonnances
Un an après, Jamila rencontre Jacques Brunet, toujours par petite annonce. Vétérinaire dans l'Ain, il est marié, mais vit loin de sa femme. Jamila cache son identité, prend le nom de son mari et le prénom de sa fille cadette. Elle cache qu'elle est mariée. Et pour expliquer ses absences , dit qu'elle a un cancer des os, qui impose de fréquentes hospitalisations.
Elle s'invente aussi des diplômes, enjolive son passé. Fille d'un paysan du Rif, elle raconte un père flamboyant, architecte marocain. Lors de la première instruction, un psychiatre pointera ses «attitudes théâtrales, avec une dominante imaginaire». Un autre indiquera qu'«il est impossible, dans le discours de cette femme, de distinguer le vrai du faux». Le plus souvent, Jamila n'invente pas : elle emprunte autour d'elle des éléments qu'elle juxtapose.
En 1997, elle ouvre un compte sous sa fausse identité et commence à y transférer l'argent de son amant. Lui ne se rend compte de rien. Brunet est confiant, et puis il commence à perdre ses esprits. L'amour, mais pas seulement. Sa maîtresse fabrique de fausses ordonnances pour acheter des antidépresseurs qu'elle pile dans sa nourriture. Le vétérinaire perd la mémoire, dort de plus en plus. Elle l'installe alors près de chez elle, chez René Maillard, et les deux hommes vivent quelques mois dans un quiproquo étonnant, qui résume les capacités persuasives de la dame. Le mari ignore que Brunet est l'amant, et l'amant ne sait pas que l'autre est le mari.
Une curieuse lettre anonyme
A Brunet, Jamila Belkacem dit que René Maillard, qu'elle appelle Georges, est son demi-frère. Comme il est un peu dérangé, il ne faut pas s'inquiéter s'il lui arrive de se faire appeler René ou de se prendre pour son mari. A Maillard, elle confie que Brunet est un vieux monsieur en phase terminale. Elle est payée pour accompagner sa fin de vie ce qui ne sera pas totalement faux. Et ajoute qu'il connaît du monde à la caisse d'allocations familiales, alors il vaut mieux cacher qu'ils sont mariés. Le mari finira par tout dire à l'amant, après avoir découvert, sur le répondeur téléphonique, que le vieux monsieur malade appelle sa femme «minou». L'amant répond «bien sûr» et continue de l'appeler Georges.
Le vétérinaire vient de dénicher le voilier de ses rêves, pour faire le tour du monde avec son amoureuse. Il en parle depuis longtemps. Mais le bateau coûte 850 000 francs (130 000 euros). Or il ne reste plus grand-chose sur les comptes de Brunet : Jamila Belkacem en a retiré plus de 500 000 francs (76 000 euros), en partie dépensés. Elle comprend qu'il va tout découvrir, et décide de le tuer.
Le 23 février 1999, elle administre à son amant une dose massive de médicaments. Elle le ramène, sonné, dans son appartement de l'Ain. L'installe sur son lit, l'asperge d'essence, ouvre une bouteille de gaz et part en laissant une bougie allumée. Le feu prend, puis s'étouffe. Le corps n'est que partiellement brûlé, mais un médecin un peu pressé délivre un permis d'inhumer.
Jamila Belkacem fait alors la connaissance de l'épouse de Brunet. Elle lui confie que le vétérinaire a vidé ses comptes dans la perspective d'un divorce. La veuve s'attache à cette femme, dont son mari lui avait parlé. Et lorsqu'un expert d'assurances lui dit qu'il a trouvé des traces d'hydrocarbures dans l'appartement de Brunet, elle s'empresse d'appeler Jamila pour lui raconter. Quelques jours après, elle reçoit une curieuse lettre anonyme. Quelqu'un lui recommande de ne pas «accuser de la mort de Jacques Brunet» cette maîtresse, «un être bon et généreux». Interloquée, elle demande un complément d'enquête.
Le vétérinaire est exhumé, des experts retrouvent des traces de pétrole sur ses vêtements, et d'antidépresseurs dans son corps. Les policiers s'intéressent alors à la maîtresse, découvrent qu'elle s'appelle Jamila Belkacem, et qu'un ordinateur, chez elle, conserve la trace des ordonnances et de la lettre anonyme si naïvement adressée à l'épouse. Ecrouée en octobre 1999, Jamila Belkacem prend vingt ans de réclusion le 6 avril 2002 et fait appel. Le deuxième épisode peut alors débuter.
Dans la bibliothèque de sa maison d'arrêt, elle tombe sur un livre consacré à l'affaire Boulin, du nom de ce ministre de Giscard mort d'un suicide suspect, en 1979. Des lettres annonçant son suicide sont reproduites. Jamila Belkacem va s'en inspirer.
Elle fait d'abord appel à un homme de main, copain d'une codétenue. Puis explique à sa fille aînée, Mina (1), 17 ans, que son père est coupable, qu'il n'avouera jamais, et que le seul moyen pour faire sortir la mère de là est de le tuer et de rédiger des aveux à sa place. Un psychiatre pointera la personnalité «immature» de Mina, «se caractérisant par une relation fusionnelle à la mère». Un psychologue ajoutera que «cette relation a créé un lien de dépendance affective tout en plaçant les tiers en périphérie. Il en résulte une soumission aux demandes maternelles».
Sihame, 25 ans, d'origine marocaine et modeste, accompagne les enfants au parloir. Jamila Belkacem a aidé financièrement ses parents. «Crédule, naïve, passive dans le lien à autrui», Sihame est en conflit avec sa mère. Elle se confie à la détenue, qui l'écoute, la console, et finit par lui raconter qu'elle est une enfant adoptée. Après cette fausse révélation, Sihame la suit aveuglément dans une aventure qu'elle pense juste. Jamila affirme, elle, que Sihame a été payée pour l'aider.
Selon les aveux des jeunes filles, Jamila leur explique dès mai 2002 qu'il faut endormir le père avec des cachets, l'asphyxier au gaz et poster les courriers dans lesquels il s'accusera. Elle rédige des brouillons pour des magistrats, des proches. Et même une pour elle : «Je t'écris pour te demander pardon. J'ai gâché ta vie et celle des enfants. Tu m'as dit de dire la vérité à ton procès mais je suis lâche. Je n'ai pas ton courage. [...] Je préfère partir comme Jacques.» Mina et Sihame tapent les lettres, les rapportent en prison pour que la mère imite la signature du père.
Jamila Belkacem accumule de son côté les cachets que lui donne une psychiatre. Aux parloirs, elle prend sa fille sur ses genoux et glisse le poison dans ses poches. Parfois un flacon contenant des cachets, ou des boulettes de chocolat empoisonné qu'elle confectionne dans sa cellule. Ou une fiole avec un liquide à verser sur des tartelettes. Mina repart six ou sept fois avec des narcotiques. Elle passera à l'acte trois fois.
Elle échoue les deux premières, se décourage, renonce. Mais Jamila l'encourage au parloir. Lorsque les petits sont là, elle lui parle en arabe, pour qu'ils ne comprennent pas. Elle lui écrit aussi, des lettres tendres, qui débutent par «ma gazelle des îles, mon amour». Mais se font très pressantes. En janvier 2003 : «Il faut profiter de l'occasion, c'est notre dernière chance. Fais ton possible pour y arriver. Je te fais confiance, je pense que tu as compris, je suis très fière de toi.»
Trois flans à la vanille, deux au chocolat
Enfin, le 24 février, deux jours avant son procès en appel, Jamila Belkacem fournit un dernier flacon. Le soir, Mina confectionne cinq flans individuels. Trois à la vanille pour les petits, deux au chocolat pour elle et son père. Elle se fâche à table lorsque sa cadette réclame le flan du père. Il finit par le manger, puis part se coucher. Sihame apporte alors une petite bouteille de gaz, qui sera ouverte près du lit paternel.
Le lendemain, Mina attend la fin de matinée, puis demande à son petit frère de réveiller le père. René Maillard est inconscient mais il respire. Conduit à l'hôpital, il est sauvé. Mais ses aveux ont été postés. Très vite, une expertise démontre que les trois molécules qui ont intoxiqué le père ressemblent aux médicaments que la mère reçoit en prison. Et Maillard confie aux policiers que sa fille n'avait pas l'habitude de préparer des flans individuels. En garde à vue, les deux jeunes filles avouent. Sachant sa fille mise en cause, Jamila Belkacem reconnaît à son tour, pour la première fois. Le sort de Mina l'emporte sur la fuite en avant.
Chez madame Belkacem, un psychiatre a noté une «angoisse abandonnique» inconsciente, qui la pousserait à exercer une «emprise totale sur l'autre, perçu comme une menace». Née au Maroc d'un père très âgé, polygame, elle aurait souffert d'être la fille d'une deuxième épouse qui a eu neuf enfants, trop pour s'occuper de chacun. Elle aurait fait une tentative de suicide à 12 ans. Mina a fini par s'échapper de cette emprise en réalisant la culpabilité de sa mère, lors du procès en appel. Un psychologue estime que sa reconstruction passera par le rétablissement d'une relation paternelle. En attendant, la jeune femme doit répondre à partir de ce lundi de la tentative de parricide. Sa mère et Sihame comparaissent pour complicité. Leur procès doit durer toute la semaine. Sauf coup de théâtre.
dessins MARCELINO TRUONG
(1) Le prénom a été modifié.