ticaribou a écrit :
j'ai retrouvé cet excellent document
Petite réflexion suite au billet de Superno du 21 avril …
L’éventualité d’une crise majeure - et la nécessité de décroitre pour l’éviter - ne sont tout simplement pas envisageables par les ultralibéraux (et par ceux qu’ils ont endoctrinés) car cela n’appartient pas à leur système de pensée : “L’âge de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierres”. Par cette formule lapidaire (!) s’exprime leur ignorance crasse confiance absolue dans le génie humain et dans le progrès qui en découle, permettant de toujours dégager en temps voulu les ressources nécessaires. L’Histoire est à sens unique, et c’est celui de l’amélioration continue de la condition humaine.
Il est étonnant de constater que le principal accident de notre Histoire, la crise du XIVème siècle, est totalement oublié. Trop lointain ? Trop exotique ? Trop différent ? Et pourtant.
Ce monde vit dans une relative opulence après trois siècles d’amélioration continue, tout comme nous. Le statut et les conditions de vie des serfs se sont peu à peu améliorés, à la manière du prolétariat au XXème siècle. La croyance en un Dieu tout puissant vaut bien la croyance en l’omniscience du Marché ; d’ailleurs les gouvernants ne s’y trompent pas et se posent eux aussi en représentants sur Terre de cette entité sacrée. Les terres du Royaume de France sont enfin défrichées, tout ce qui peut produire produit, on peut enfin voyager et commercer sans danger. Le fer a été porté en terre infidèle, le communisme l’Islam recule en Méditerranée. La concurrence est toujours rude entre Exxon et Total le Royaume de France et celui d’Angleterre, notamment à propos de la filiale commune du Duché de Guyenne mais enfin, c’est la loi du libéralisme de la féodalité, rien que de très normal : cela est désormais affaire de seigneurs civilisés et Philippe V peut prendre la couronne sans trop de soucis après quelques négociations en conseil d’administration. Nombre d’actionnaires de seigneurs ne gèrent plus leurs domaines que de loin, ils ont des gens pour s’en occuper, il est plus valorisant et plus enrichissant de faire du lobbying à l’Assemblée Nationale d’apparaitre à la cour.
Mais alors que personne ne s’y attend, le manque de pétrole de terres cultivables se fait soudain ressentir de façon cruelle. Le royaume n’offre plus de terres à défricher, or la prospérité passée l’a rempli comme un œuf : 6 milliards 20 millions de bouches à nourrir et à véhiculer quotidiennement. Le rendement énergétique de la terre plafonne : le cheval de labour a remplacé le boeuf, la rotation des cultures est au point, les moulins couvrent les rivières, mais tous ces progrès sont déjà anciens. Depuis quelque temps, par manque d’investissement dans la R&D amélioration dans les techniques agricoles, on n’arrive plus à produire davantage avec la même surface de terre, or les nouveaux venus veulent également - on les comprend - leur écran plasma pain quotidien. Devant la chute de leurs revenus, les entrepreneurs propriétaires terriens les plus fragiles vendent leurs domaines aux plus puissants, alimentant un large mouvement de fusions-acquisitions regroupement des fiefs. Mais la chute des ressources affecte bientôt le roi lui-même, et c’est le royaume dans son ensemble qui se trouve dans l’incapacité de faire face à ses dépenses. En bas de l’échelle, les ouvriers de base paysans ne parviennent plus, malgré leur travail, à nourrir leur famille dès que les récoltes se font mauvaises, ce qui se produit de plus en plus fréquemment en raison du changement climatique. Les famines se multiplient, l’agitation sociale gagne.
Ce qui se passe alors n’est que la suite logique de ces déséquilibres : Afin de mettre la main sur le [strike]pétrole restant [/strike]piller de nouvelles terres et de justifier la hausse des impôts, la noblesse pousse à la reprise des guerres. Le cours des matières premières fluctue de façon désordonnée, les monnaies sont dévaluées. Les routes des marchands vers les foires de Champagne ne sont plus sûres, de nouvelles voies commerciales sont utilisées par les puissances montantes. La population affaiblie s’effondre littéralement lorsqu’arrive la peste noire en 1347. La Guerre de Cent Ans démontre que le Royaume de France, prétendûment la plus puissante armée du monde, n’était qu’un géant aux pieds d’argile.
Au final, la compétition pour les ressources, la fragilisation de la population qui en a découlé et ses diverses conséquences font diminuer la population européenne de 50% en quelques décennies.
Il faudra attendre le début des grandes explorations, la colonisation, l’esclavage, puis l’emploi massif des combustibles fossiles pour que soient dégagées les ressources nécessaires au retour à la prospérité. Il faudra un siècle pour que cicatrise la plaie, plusieurs pour que s’amorce un vrai redémarrage. Le monde médiéval est mort, le nôtre va naître.
Il faut être un fou ou un économiste, et avoir la mémoire courte, pour croire que ce monde-ci est immortel. Surtout quand les anciens déséquilibres nous sautent à nouveau à la figure.
Sylvaner a raison, il ne faut pas croire qu’on fait mieux que les bactéries : nous avons moins d’expérience qu’elles, et apparemment pas plus de mémoire. Tout cela n’est guère réjouissant.
Bienvenue en 2009 1309.
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