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Les patrons gagnent-ils trop dargent ?
dimanche 6 novembre 2005
Que les rémunérations des dirigeants dentreprise soient très élevées, cest quasiment un euphémisme ... On est même carrément dans la démesure. Ce sont les lois du marché ? Allons donc, voyons cela de plus près (...)
Les patrons gagnent-ils trop dargent ?
Les grands patrons gagnent beaucoup dargent. Nul ne lignore plus en France depuis que la loi dite des « nouvelles régulations économiques » ou NRE, adoptée en 2001, a fait obligation aux groupes cotés de publier les rémunérations individuelles de leurs dirigeants.
La situation dun patron présente des points communs à celle dun saltimbanque : juridiquement, il ne perçoit pas un salaire et il nest pas sous contrat de travail, sa rémunération est « une récompense » pour sa contribution à la création de richesse. Le niveau de cette rémunération est-il de nature à susciter lindignation morale ?
On nentend guère de protestations à lencontre des revenus dun footballeur, dun chanteur, dun auteur de best-seller ou dun producteur de films à succès.
Certains acteurs économiques sont en effet « commissionnés » au prorata des flux financiers quils suscitent.
Même faramineux, leur revenu ne reste quune petite fraction du volume daffaires quils engendrent. Le niveau de ces revenus peut choquer au regard de la situation de la grande majorité, mais lorigine de leurs revenus nest pas délictueuse : on ne peut que leur opposer une politique redistributive par le biais de limpôt.
Concernant les patrons, la question est donc bien dapprécier leur apport spécifique à lactivité de leur entreprise. Admettre ce point de vue ninterdit pas cependant de sinterroger sur le niveau des rémunérations patronales.
Double rémunération
Que rémunère t-on chez un patron ? Son travail, bien sûr sa compétence, la disponibilité et la tension qui accompagnent lexercice de la responsabilité dans une grande entreprise toujours vulnérable. Le risque aussi : risque de révocation, mais aussi risque pénal puisque des patrons ont été incarcérés pour des actes engageant leur entreprise. La performance, enfin : la rémunération est conçue pour remplir une fonction incitative. Chacune de ces composantes peut justifier une rémunération substantielle, et il nest pas surprenant que lensemble représente un chiffre conséquent.
En revanche, pour chacun de ces éléments, on trouve fréquemment trace dune double rémunération.
Un haut dirigeant bénéficie presque toujours davantages en nature dont ne profite pas un salarié ordinaire ; voiture de fonction, frais généraux, conseil pour sa gestion privée, etc. Les excès en ce domaine sont limités par le risque juridique dabus de biens sociaux. Tel patron aux compétences incontestées avait cependant omis de rembourser 3000 euros de taxi dépensés dans lannée par les membres de sa famille sur un abonnement souscrit par lentreprise. Dommage.... La prise en charge par lentreprise de ces dépenses courantes tend à faire de la rémunération monétaire une épargne nette.
Le patron peut aussi être démis sans autre forme de procès et sans bénéficier dindemnités de chômage, puisquil na pas cotisé à lassurance chômage des salariés. Cest une raison de majorer sa rémunération. Sauf que ce risque fait souvent lobjet de clauses contractuelles. Elles prévoient que le dirigeant « licencié » recevra une compensation substantielle, les fameux parachutes dorés. Dés lors, le risque de « licenciement « ne devrait pas être mis au compte de sa rémunération courante. Il en va de même pour les assurances santé et retraite quant elles sont prises en charge par lentreprise, en plus de la rémunération déclarée ( ce sont les fameuses retraites chapeau ) comme celle de 38 millions deuros dont a bénéficié Daniel Bernard, ( lex patron de carrefour) On ne devrait donc pas sen prévaloir pour justifier un niveau élevé de rémunération fixe.
Vient, last but no least, la récompense de performance. _ Lincitation du dirigeant à agir efficacement prend une double forme.
Dune part, la rémunération annuelle comporte généralement une part variable indexée sur un indicateur de résultat. Dautre part, les patrons reçoivent des stock-options ( voir encadrqui leur permettent dacheter des actions à des prix préférentiels et donc de percevoir des plus-values lors de leur revente dans des conditions fiscalement avantageuses. Deux incitations, deux récompenses.
On conteste parfois quelles fassent doublon. La part variable constituerait en effet un revenu, tandis que les stock-options seraient destinées à former un patrimoine. Mais en prévalant une part du revenu de lentreprise, les dirigeants ne prélèvent-ils pas déjà une part de son patrimoine ? Pour prétendre à un prélèvement sur la valeur de lentreprise, au-delà de son résultat annuel, ne faudrait-il pas, en bonne logique actionnariale, avoir supporté un risque en apport de capital, risque auquel les stock-options nexposent pas ?
Le leurre du prix du marché
Reste enfin largument du prix du marché. Depuis plusieurs années, la « concurrence » entre patrons ne joue quà la hausse des prix.
Ainsi, le niveau des revenus patronaux à létranger, notamment aux Etats Unis, a longtemps servi dargument aux patrons français pour justifier laugmentation de leur revenu. On peut douter cependant que le revenu des dirigeants procède dune confrontation entre une offre de compétences dun coté et une demande de patrons de lautre : si cette confrontation existait vraiment, gageons que lambition des nouveaux candidats à la fonction ferait baisser les prix !
Le niveau de rémunération des patrons est davantage déterminé par le pouvoir dinfluence du dirigeant sur un conseil dadministration que par un quelconque « marché » : le principal intéressé est en effet juge et partie dans la détermination de ses propres émoluments.
La rémunération des dirigeants évolue dailleurs souvent à leur avantage après leur entrée dans la place : leur position interne leur donne les moyens de réévaluer leur propre rémunération. La composition des comités de rémunération constitués auprès des conseils dadministration révèle quelques participations croisées facilitant les échanges de bons procédés. En réalité, les rémunérations patronales relèvent davantage de conventions admises dans les milieux daffaires que dun mécanisme de marché.
Il convient cependant de ne pas cultiver lillusion des trésors cachés : on diviserait ces rémunérations par deux ou par quatre que la situation financière de la plupart des entreprises nen serait guère changée. Les enjeux sont ailleurs. Le premier est de préserver le caractère réellement incitatif de la rémunération. Quant les revenus dun grand dirigeant font de lui un confortable rentier en une poignée dannées, ce dernier ressent-il les enjeux de gestion avec la même tension ?
Le second enjeu tient à léquité ou à sa perception par les salariés : quant lévolution de la rémunération du principal dirigeant suit une courbe très dissociée de celle des salariés, ceux-ci linterprètent à juste titre comme un signal démotivant.
La transparence de linformation sur les rémunérations patronales rend celles ci de plus en plus connues de tous les acteurs de lentreprise : salariés, représentants du personnel, actionnaires, journalistes, analystes. Et les assemblées générales dactionnaires sen préoccupent de plus en plus. Une sorte de régulation citoyenne devrait désormais sexercer, à défaut dune régulation marchande.
Le système des stock-options
Le principe des stock-options est daccorder à un salarié ( généralement un dirigeant ) le droit dacquérir dans le futur des actions de son entreprise à un prix fixé à lavance. Ainsi, Lindsay Owen-Jones, PDG de lOréal, a acquis en 2004 le droit dacheter en 2009 un million dactions lOréal à 55,54euros. Le mécanisme est censé inciter les dirigeants à tout faire pour accroître la valeur des actions dici là, puisquils pourront ainsi maximiser le gain lié à lécart entre le cours de laction en bourse et le prix auquel, eux ont le droit de les acquérir. Mais cela les incite également à travestir les comptes et à cacher les mauvaises nouvelles. Doù les scandales du type Enron, Vivendi....
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