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Dans le plus grand secret, la France a modifié ses armes nucléaires pour rendre la dissuasion plus crédible. Et s'autoriser à infliger... un «ultime avertissement». Il s'agit de rechercher une «amélioration dans le domaine des frappes», indique-t-on de source militaire. De deux façons : des bombes pourraient être tirées à haute altitude pour créer une «impulsion électromagnétique» et détruire les systèmes de communication et les ordinateurs de l'adversaire ; et le nombre des têtes nucléaires à bord des missiles a été réduit pour augmenter leur portée et leur précision. Au total, ces «évolutions» visent à «mieux prendre en compte la psychologie de l'adversaire», vient de préciser la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, à la suite du discours du président de la République, le 19 janvier, à l'Ile-Longue.
Détermination. Jacques Chirac avait alors brièvement évoqué la notion d'«ultime avertissement», quelque peu tombée en désuétude depuis la fin de la guerre froide. Selon la doctrine française, il s'agit de marquer la détermination des autorités, en tirant une «petite» arme nucléaire avant de recourir à une frappe massive. «L'ultime avertissement restaure le principe de la dissuasion, indique-t-on de source militaire. On ne peut pas offrir le choix au chef de l'Etat entre l'apocalypse et rien du tout.»
Selon nos informations, l'«ultime avertissement» pourrait prendre deux formes nouvelles. Le plus démonstratif serait le tir d'une bombe d'assez faible puissance dans une zone désertique, loin des centres de pouvoir et des zones habitées. Plus radical, le tir d'une bombe à très haute altitude visant à créer une «impulsion électromagnétique» (IEM). Il s'agit d'une émission brève et de très forte amplitude qui brouille ou détruit tous les systèmes électroniques non protégés. Sans éviter toutefois les effets de la radioactivité... A l'époque de la guerre froide, l'«ultime avertissement» aurait consisté à tirer des bombes nucléaires sur les divisions soviétiques, avant de s'en prendre aux grandes villes d'URSS.
A l'Ile-Longue, le président de la République avait précisé que «le nombre des têtes nucléaires a été réduit sur certains missiles de nos sous-marins». Cette évolution ne vise pas au désarmement, mais au contraire à rendre les armes plus performantes. Chaque sous-marin embarque seize missiles M45, avec, sous la coiffe de chacun d'eux, six bombes nucléaires. Lors de la rentrée dans l'atmosphère, chaque «tête» se sépare et va frapper sa cible. Au total, un sous-marin transportait ainsi 96 armes nucléaires. En réduisant le nombre de têtes, parfois jusqu'à une seule par missile, l'engin s'en trouve allégé et sa portée s'accroît. Celle-ci est secrète, mais il est clair que les cibles potentielles peuvent se trouver au Moyen-Orient ou en Asie.
Autre évolution notable, les cibles des missiles peuvent être modifiées plus facilement : les marins parlent d'une «capacité de reciblage à la mer».
Cibles. Ces «inflexions» visent toutes à permettre plus de «souplesse». Devant les députés de la Commission de la défense, Michèle Alliot-Marie expliquait, le 25 janvier, qu'«un adversaire potentiel pourrait penser que la France, compte tenu de ses principes, hésiterait à utiliser l'entière puissance de son arsenal nucléaire contre des populations civiles. Notre pays a assoupli ses capacités d'action et a désormais la possibilité de cibler les centres de décision d'un éventuel agresseur». C'est-à-dire de «décapiter» un régime et son armée, plutôt que de vitrifier des millions d'innocents. La France ne s'engage pourtant pas dans les armes miniaturisées (mininukes), utilisables par les militaires sur le champ de bataille. Le chef de l'Etat a ainsi fixé un seuil minimal en dessous duquel la production de telles armes par le CEA est interdite. Mais ce seuil reste strictement confidentiel.
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