Désolé pour ceux que la réflexion indispose, mais il me semble qu'il est possible de faire comprendre la nature et la portée des désirs de Wanda en adoptant un langage certes un peu théorique mais plus universel et donc plus clair.
Wanda peut-elle désirer ce qu'au fond elle ne veut pas ? Peut-on réduire le désir d'une femme à la volonté raisonnable ? n?est-ce pas trahir la vraie nature de ce désir qui, parce qu?il est désir de l?interdit, ne relève pas d?un manque ?
En effet, désirer c'est tendre vers l'inaccessible, c'est se livrer à un désir qui ne se limite pas aux êtres présents autour de nous mais qui concerne d'abord ce que notre esprit conçoit ou imagine. C'est donc un désir qui ne s'impose pas à nous (par le manque objectif qui l?engendre : manque d'attention chez le conjoint, par exemple) mais auquel on choisit de se prêter et que l'on alimente par l'imagination (les fantasmes).
Vouloir faire dépendre le désir amoureux (très différent d'aimer) de Wanda de la volonté raisonnable, c?est finalement réduire ce désir-manque au besoin : le besoin sexuel n'est pas le désir amoureux car ce désir n?est pas déterminé par le manque objectif du plaisir sensuel. Ainsi, la volonté raisonnable et morale tend à prendre le pas sur le pur désir amoureux car elle s?exerce toujours par rapport à ce qui est " bon " pour nous (d'un point de vue social, moral, religieux...), par rapport à la représentation d?une valeur objective (appartenant à la chose ou présupposé tel) et nécessaire du point de vue de ma nature (biologique : se marier pour avoir un enfant, ou sociale : rester fidèle parce que la fidélité est une valeur clef de notre société judéo-chrétienne). En ce sens, la logique du désir-manque (autre nom du besoin sexuel que la volonté raisonnable vient épauler, guider, réglementer) est celle de l?avoir et non de l?être.
Or, la logique de l?avoir ne convient pas au désir amoureux. Le désir est fondamentalement un manque d?être. Or, l?opposé de l?être qui manque est l?être en excès. Eros est la procréation c?est-à-dire une manière de se jeter au dehors. Il faut rejeter le désir comme manque au nom de la puissance, de la procréation, de l?excès, du débordement. Ainsi, le désir amoureux n?est pas seulement posséder l?autre (l?amour comme désir d?union charnelle a une dimension narcissique) mais aussi sauvegarder dans ce corps son identité, sa conscience, sa liberté (respecter l?autre en tant qu?autre par l'honnêteté et la sincérité). L?amour n?est pas la convoitise. Il ne s?agit pas de se désoler de la possession impossible de l?autre ou de la perte d'une possession exclusive, mais de se réjouir de sa seule existence fut-ce au risque de le/la perdre, de le/la laisser partir par amour.
Et c?est pourquoi justement le désir est toujours désir de l?interdit (le contradictoire de la volonté raisonnable). Désirer l?objet interdit, c?est désirer le mal. Mais qu?est-ce que le mal ou le bien ? D?abord des interdits justement ! Interdits sociaux et moraux (qui relèvent autant des moeurs que de la morale) transmis de génération en génération et qui fondent une civilisation. Des interdits entourés de sacré. Interdits qui, selon G. Bataille, canalisent la violence que porte en lui-même le couple formé par la sexualité et par la mort. Mais ces interdits signifient en même temps la violence qu?ils inhibent. L?interdit, nécessaire pour la vie en communauté, indique ce qu?il veut cacher, valorise ce qu?il condamne. L?ambiguïté de tout interdit moral est fondamentale. Les interdits sexuels signifient à la fois notre répulsion et notre fascination pour ce qu?ils interdisent (donc notre désir de...). Fascination-répulsion que nous retrouvons autour du sacré. Ainsi ce n?est pas tant dieu qui fonde la morale, que nos interdits moraux qui sont à l?origine de notre fascination - comme de notre répulsion - pour Dieu, ou de ce qui revient au même, de notre répulsion - ou de notre fascination - pour le Diable.
Mieux l?interdit appelle nécessairement sa transgression. L?expérience de l?érotisme, selon Bataille, est l?expérience même de la transgression d?un interdit. " L?expérience intérieure de l?érotisme demande de celui qui la fonde une sensibilité non moins grande à l?angoisse fondant l?interdit, qu?au désir menant à l?enfreindre. C?est la sensibilité religieuse qui lie toujours étroitement le désir et l?effroi, le plaisir intense et l?angoisse " dit Bataille. Les transgressions des interdits peuvent même être organisées rituellement dans de nombreuses sociétés, lors de fêtes ou de carnavals aux débordements sans limite (aujourd'hui les clubs échangistes).
Message édité par l'Antichrist le 26-06-2003 à 12:40:20