Citation :
C'est bien connu, la Nausée est un texte philosophique... Avez-vous seulement entendu parler de la Critique de la raison critique ? Soyons indulgents : l'Existentialisme est un humanisme ?
J'ai beau essayer de vous faire comprendre... cela ne semble pas vouloir passer... L'objectif de la Critique de la raison critique est la pensée d'une articulation des "conditions et des conditionnnements", concepts typiquement marxistes, avec la liberté, pensée avec Kierkegaard. Je vous renvoie à Craintes et tremblements que vous ignorez vraisemblablement : vous verrez bien s'il n'est pas question d'une dimension metaphysique de la liberté.
Pour votre gouverne, je ne suis pas particulièrement fan de Sartre ; j'emploie même mon temps à le réfuter... J'essaie néanmoins de comprendre ce que je réfute, contrairement à vous...
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Décidément vous refusez de comprendre ce qui est en jeu ici ! J?imagine que c?est à moi maintenant de me montrer indulgent? D?abord, tout ceci reste beaucoup trop programmatique pour être éclairant ! J?ai même la très désagréable impression de lire une (trop) rapide présentation générale de la philosophie de Sartre. Il aurait fallu préciser que les références à Marx et Kierkegaard signifient l?union (toujours problématique) en l?homme de la facticité (être un corps au milieu du monde, ayant un passé et sous l?omniprésence du regard d?autrui) et de la liberté (échapper à soi-même, se projeter dans l?avenir et le possible, être au-delà de toute condition donnée de son existence). Mais alors, je ne vois pas la différence avec ce que j?essaye moi-même de montrer dans mes deux développements consacrés au rapport de la volonté et de la liberté dans la philosophie de Sartre (qui réfute ici ?). Mais la vraie question n?est pas là ! Il est nettement plus intéressant d?un point de vue philosophique (et non plus seulement historique...) de montrer comment Sartre parvient à dépasser l?une des difficultés de la liberté morale chez Kant (cf. deuxième partie de mon premier post) et d?une façon générale l?erreur commune aux partisans du choix rationnel (Kant) et aux adeptes de la liberté-refus (Descartes). Et il n?est nullement nécessaire pour cela de s?inspirer des textes consacrés aux relations entre l?existentialisme et le marxisme (un texte fondateur comme L?être et le néant est bien plus éclairant).
En effet, la position kantienne maintient sur deux plans le déterminisme (naturel, social, historique) et la liberté humaine. Ainsi, un vol peut être abordé de deux manières différentes. En tant que produit de ma sensibilité, son explication relève du déterminisme scientifique : il peut être la conséquence d?une habitude délinquante bien ancrée, répondre à des besoins impérieux pour lesquels le voleur n?a pas trouvé de meilleure solution ; on peut remonter au passé du voleur, à son milieu social, à son éducation, à ses parents, à l?éducation de ses parents... Mais, d?un autre côté, ce même vol découle immédiatement de la libre volonté du voleur : il savait qu?il ne devait pas voler, il a volé quand même, il a fait librement passer la recherche de son intérêt avant le respect de la loi morale. Mais une telle conception fait apparaître une contradiction inévitable dès qu?on veut poser sur le même plan le déterminisme et la liberté : il y a, en effet, une contradiction fondamentale à juger qu?un homme a été méchant parce qu?il a manqué de volonté pour faire le bien (sous l?effet des passions, mobilisé par la réalisation de son bonheur), et à considérer qu?il a cependant commis le mal volontairement et librement. En un mot, l?homme a-t-il la libre volonté que sa volonté succombe au mal ? Si le mal doit être voulu pour qu?il nous soit imputable, peut-il être cependant voulu librement puisqu?il va à l?encontre de la raison et donc de notre liberté ? la vraie liberté pour Kant relève d?une action autonome (lorsque je suis sujet et auteur de la loi morale). Mais chez lui l?articulation entre déterminisme et liberté n?est pas compréhensible : La " volonté " du mal n?est qu?un échec de la raison. Comment la liberté pourrait-elle résider dans une volonté opposée à la raison ?
Pour Sartre, il s?agit bien là d?un manichéisme psychologique (il faut penser un homme à la fois lié aux passions assujettissantes et à une volonté autonome) : tenir les deux bouts de cette ficelle philosophique n?est pas une gageure mais plus simplement une illusion ! Une liberté pas (toujours) libre est une contradiction dans les termes. Cette liberté, il faut la concevoir comme le pouvoir qu?a la conscience de néantiser les données et les faits. La réalité humaine par excellence, c?est la conscience, une conscience constamment ouverte sur autre chose qu?elle (sur le monde), " positionnelle d?objets ", est en même temps présence non réfléchie à soi par quoi elle sait qu?elle existe sans jamais savoir ce qu?elle est. La conscience comme conscience (en acte pourrait-on dire) n?est rien en elle-même : en elle-même, elle n?est qu?un néant d?être. En ce sens, si je suis, si j'existe dans un ici et un maintenant (j?ai pris ma place dans une certaine société à une certaine époque, j?ai un corps que je n?ai pas choisi, j?ai un passé que je ne peux effacer, j?existe dans un environnement objectif, ma liberté se heurte aux autres libertés, tous ces faits s?imposent à moi, m?engagent dans des situations dont toujours une partie ne dépend pas de moi) je m'en échappe par le seul fait de le savoir, par le mouvement même de visée et de saisie qui constitue mon existence consciente. Ainsi, si je me regarde, j'ai conscience d'un moi empirique (une chose déterminable : moi psychologique, social, personnage, personnalité, etc...) qui n'est pas moi, que je place à distance dans un acte de transcendance. Ces moi multiples ne m'appartiennent que de l'extérieur comme des vêtements plus ou moins bien ajustés (comme facticité je suis pour autrui, produit de son regard). D?où l?angoisse (qui n?est pas la peur) de se retrouver seul avec sa liberté fondatrice elle-même fondée sur rien : moi seul peut décider de moi-même, soit en assumant mon inconsistance essentielle (nul espoir de coïncider avec soi-même comme une chose : exister, c?est fuir en avant vers le possible et l?avenir), l?absence de justification transcendante (la liberté s?auto-détermine, non selon des valeurs pré-existantes ou des raisons objectives, mais d?après sa propre logique nécessairement subjective) et mon objectivation ou aliénation par le jugement d?autrui (sous le regard d?autrui nous jouons à être et le reconnaître est sans doute la première marque d?authenticité), soit, au contraire, en sombrant dans la " mauvaise foi " c?est-à-dire en éprouvant l?exigence d?avoir foi en soi-même objectivé en ceci ou en cela afin de justifier intégralement son existence, de lui donner un sens définitif (votre référence au bovarisme...).
Pour un être conscient, la liberté est inventive, elle est toujours choix de soi par soi, création du sens de sa propre vie. Elle s?exprime donc dans des réalisations concrètes même si celles-ci ne sont pas toujours positives. Car la liberté est libre pour le mal comme pour le bien. En ce sens, l?humanité a son contraire, ou plutôt son opposé, non dans l?animalité et sa dépendance à l?égard de la nature, mais dans l?inhumanité. Non dans une sensibilité pathologique mais dans une déraison. Non dans une faiblesse passagère mais dans une folie essentielle qui consiste, non pas simplement à faire passer son bien (ou son bonheur) avant le respect de la loi morale par ignorance de son bien véritable, mais à nier l?humanité de l?autre, en attentant à sa liberté et à sa dignité, et par là même à sa propre dignité. Que vaudrait en effet la liberté humaine si elle n?était confrontée sans cesse à la possibilité de sa négation ? à la possibilité de son auto-négation ?
Message édité par l'Antichrist le 02-03-2003 à 07:16:23