Citation :
La conscience dun cracker
par King Fischer
Mise en ligne le vendredi 29 octobre 2004
Ils disent quun nihiliste est une personne qui renie les valeurs. Ce nest pas tout à fait vrai. Un nihiliste est quelquun qui renie certaines valeurs, et en construit de nouvelles. Quelquun qui ne fait que renier les valeurs, et ne veut que détruire la société, est plutôt un anarchiste, ou un pur et simple vandale, un prophète de labsence de valeurs. Pour moi, je préfère me dire adhérent de la philosophie Zen, le faillibilisme, ou tout simplement : une personne qui croit quil ny a pas dentités fixes telles que le « Bien », le « Mal » ou la « Propriété Privée », tous concepts qui ne sont que des constructions momentanées de lesprit humain. Je suis du côté de Nietzsche, en un sens, mais je veux aller au-delà de Nietzsche, car le nihilisme est toujours créatif.
Ils disent que les crackers sont des cafards maléfiques qui veulent ruiner les compagnies de logiciels et voler les sous qui reviennent aux malheureux programmeurs. Moi, ce que je dis, cest que linformation est à tout le monde, comme lair qui nous entoure, et que personne na le droit de la mettre derrière des murs. Si vous pensez que les crackers ne sont quune bande danarchistes prêts à tout mettre à feu et à sang parce que ça les amuse, vous vous trompez du tout au tout. Nous sommes en fait bien pires que ça.
Nous mettons à bas, oui, mais nous en sommes fiers, et nous le faisons parce que nous devons le faire. Quelquun doit libérer linformation. Je ne hack pas parce que je hais la société, mais parce que je laime et que je souhaite quelle évolue. Je considère le hack comme une action hautement politique, et je suis fermement convaincu quil est JUSTE de hacker !
Maintenant vous êtes troublés. Laissez-moi encore vous expliquer.
Cette année, en 1995, je peux entrer dans nimporte quelle bibliothèque, prendre NIMPORTE QUEL livre, aller à la photocopieuse et copier toutes les pages si je le souhaite. Tout ceci est parfaitement légal, au moins ici en Suède. LEtat suédois (comme beaucoup dautres) a décidé que ses citoyens avaient le droit de copier des livres.
Maintenant, je rentre à la maison. Je regarde mon lecteur de CD. Je nai pas le droit de me faire une cassette de mes morceaux favoris. Cest illégal. Je regarde mes cassettes vidéo. Je nai pas le droit de les copier. Cest illégal. Je regarde mes boîtes de disquettes qui contiennent des logiciels Microsoft que jai achetés. Eh bien, jai le droit de me faire des copies de sauvegarde, mais pas de les donner à mes amis. Cest illégal.
Ça me rend malade ! Quelle différence entre des logiciels, des CD, des cassettes vidéo et les livres que jemprunte à la bibliothèque du quartier ? Tout cela est de linformation, grands dieux ! Le problème dans ce cas nest pas linformation en elle-même. Le problème est que cette société ma conditionné à croire quon avait le droit de posséder linformation, comme la terre ou largent, ou comme les Grecs ou les éleveurs de coton sudistes purent croire quon avait le droit de posséder DES GENS. Ils appelaient ça lesclavage. Je réalise que je suis un esclave de la société qui contrôle linformation. Parce que cest de cela dont il est question. De contrôle. Complet, absolu et indiscutable contrôle.
Je ne suis pas en train de vous dire que je veux que les lois sur les droits dauteur soient remplacées par le chaos. Si je souhaitais le chaos, je serais une bête destructrice et pas un citoyen constructif. Jaime notre société, et je pense quelle est une des meilleures au monde. Jaime encore plus les communautés du cyberspace comme la Scène ou Usenet, parce quelles sont internationales et multiculturelles. Cest pourquoi je veux dire à la société quil y a quelque chose qui ne va pas. Je veux souffler dans mon sifflet pendant quil est encore temps.
Je nai rien contre les compagnies de logiciels et je ne les hais pas. En fait, je veux quil existe des compagnies de logiciels. Ce que je naime pas, cest la structure sociale et le cadre économique qui gouvernent les gens comme les entreprises, et auxquelles ils doivent obéir. Je crois les entreprises et les gens également prisonniers de ce système. Vous dîtes que quelquun doit payer. Pourquoi ? En quoi consiste ce paiement, de toute façon ? Quest-ce que le savoir « sous licence » et le savoir « dans le domaine public » ? Ou, pour utiliser le langage lui-même de lautorité : en quoi consiste cette arnaque de la « propriété intellectuelle » autour de laquelle vous faites tant de bruit ? Quelle information ai-je le droit de posséder ? Quelle information ai-je le droit de transporter dans ma tête ?
Pour les partisans de léconomie post-moderne, la propriété et le droit sur linformation sont une religion. Ils suivent les dieux de léconomie et pensent quils seront au paradis le jour où ils deviendront des yuppies avec la cravate et le costume. Pour eux, le gars qui mourra en laissant le plus de voitures et de gadgets électroniques derrière lui aura été le plus malin de la bande. Mon dieu, je déteste ces demi-dieux. Il ny a rien qui ne soit de linformation, yuppies à la tête carrée. William Gibson a peut-être été le premier à le réaliser en 1982. Pourtant, bien peu de gens ont compris ce quil voulait vraiment dire. Peut-être nen était-il pas tout à fait conscient lui-même ?
Le changement nécessaire dans cette société, cest darracher le savoir du contrôle des grandes compagnies et de lEtat pour le rendre aux gens à qui il appartient, faute de quoi le monde a toutes les chances de ressembler à celui que décrivait Gibson dans Neuromancien.
Cest pourquoi nous prenons le nom de cyberpunks. Nous sommes des hors la loi, branchés et connectés. Nous ferons naître une ère nouvelle. À nos yeux, linformation électronique nest pas un symbole ou un statut, ou une façon de gagner de largent et la considération générale, mais une extension de lesprit humain. Cest pourquoi Timothy Leary a appelé le micro-ordinateur le LSD des années quatre-vingt-dix - les ordinateurs semblent élargir le champ de vision des gens.
Nous ne voulons pas voler les entreprises. Diable non. Nous voulons juste quon nous rende nos droits de citoyens. Si je possède un bout dinformation, je veux avoir le droit de le copier. Et si vous essayez de men empêcher, cest sûr que je vais mordre. Ne touchez pas ma vie privée ! Foutez le camp de ma vie !
Mon idéologie brûle pour moi comme une lanterne dans la nuit. Ce nest pas une idéologie de libéralisme, ni le socialisme, ni le conservatisme, ni le communisme ou toutes ces idéologies quon vous apprend à lécole. Mon idéologie sappelle Cyberpunk.
Les maffias qui saccaparent la terre, les pirates qui gagnent des fortunes en vendant des jeux à des pauvres dingues de lordinateur, ceux qui gagnent leur vie en parasites de la société, tous ceux-là, vous pouvez les pourchasser et les tuer si ça vous plaît. Personne ne les regrettera. Mais ne touchez pas les crackers et les swappers, car ceux-ci ne sont pas vos ennemis. Un vrai cyberpunk ne ferait jamais payer une information. Il échange seulement, et je pense quil en a le droit. Dautres ne le pensent pas.
Je ne veux pas détruire. Je veux créer.
Ainsi parlait King Fisher.
Bien sûr, vous pouvez me joindre pour des commentaires ou des additions : E-mail : triad@df.lth.se ou linus.walleij@microbus.se Linus Walleij aka King Fisher/Triad : http://www.df.lth.se/ triad
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