Le Sénat veut réduire la portée de deux mesures contre l'obésité
 
LE MONDE | 09.07.04 | 14h16  
 
 
Bien que le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, se dise préoccupé par la progression de ce fléau chez les jeunes, la suppression des distributeurs automatiques dans les écoles et l'encadrement strict des publicités destinées aux enfants, initialement prévues, pourraient être aménagées.
Les intérêts économiques de l'industrie agroalimentaire auront-ils raison des enjeux de santé publique dans la lutte contre l'obésité ? Alors que les sénateurs devaient examiner en deuxième lecture, vendredi 9 juillet, le projet de loi sur la santé publique, la commission des affaires sociales du Sénat, avec le soutien du gouvernement, a largement remanié les deux articles "anti-obésité" adoptés en avril par l'Assemblée nationale.  
 
 
 
 
Le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, a beau assurer qu'il se préoccupe du problème -"l'obésité et le surpoids des enfants ont triplé en vingt ans en France pour atteindre 16 % des enfants", rappelle-t-il -, il apparaît clairement que cette question a donné lieu à de véritables jeux d'influence.
 
Ainsi, bien que les députés et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) s'y fussent déclarés favorables, il ne devrait plus être question d'interdire les distributeurs automatiques dans les collèges et les lycées, mais uniquement de réglementer leur contenu. "Ce type d'équipement participe de la mission éducative de l'établissement scolaire, en contribuant à en faire un lieu de sociabilité et en incitant les élèves à rester dans l'établissement durant les périodes d'interclasses", n'hésitent pas à argumenter les sénateurs (UMP) Francis Giraud et Jean-Louis Lorrain, rapporteurs de la commission des affaires sociales. Ce à quoi l'organisation de défense des consommateurs UFC-Que choisir, stupéfaite de cette volte-face, rétorque : "Dès lors, pourquoi ne pas installer dans les écoles des distributeurs de tabac ou d'alcool ?"
 
 
LES CAISSES DES ÉCOLES
 
"L'interdiction est une mesure idiote ; l'important, c'est ce qu'il y a dans les distributeurs", fait valoir Nicolas About, président de cette commission. "Interdire, c'est ringard", explique au Monde Philippe Douste-Blazy. En revanche, le ministre de la santé défendra un amendement gouvernemental pour interdire, "à compter du 1er septembre 2005", la présence "des boissons avec ajout de sucre et les aliments trop riches en sucre, en graisse ou en sel dans tous les établissements scolaires". Les barres chocolatées et autres boissons gazeuses seraient donc susceptibles d'être remplacées par des bouteilles d'eau et... des pommes ? En "sauvant" les distributeurs, les sénateurs et le gouvernement calment les professionnels du secteur et maintiennent une source de revenus pour les établissements scolaires - qui touchent une redevance sur le produit des ventes, permettant ainsi d'alimenter les caisses des écoles. Mais il restera à établir, par décret, la liste des produits autorisés et à s'assurer de son respect.
 
La commission sénatoriale entend également revoir à la baisse l'encadrement de la publicité télévisée de produits alimentaires destinés aux enfants. En première lecture, le Sénat avait adopté un amendement obligeant les annonceurs à accompagner chacun des spots d'un message sanitaire ou, à défaut, d'en financer un, sous la responsabilité de l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé (Inpes), sur la même chaîne et dans les mêmes conditions horaires. En avril, les députés ont quelque peu modifié le texte, en permettant aux annonceurs de se regrouper pour réaliser et diffuser un message d'information nutritionnel commun. L'industrie agroalimentaire a immédiatement fait un tir de barrage. Au lendemain du vote des députés, l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) qualifiait l'amendement sur la publicité télévisuelle d'"inefficace et inapplicable". Le lobby des chaînes de télévision, inquiet d'une éventuelle baisse de la manne de l'industrie agroalimentaire, a également fait son œuvre.
 
"C'était abusif de vouloir imposer aux industriels de dénoncer leurs produits. Il faut des messages de santé publique, mais aussi responsabiliser les parents et les enseignants", explique M. About. Cette fois, le texte soumis au vote des sénateurs et soutenu par le gouvernement stipule que les annonceurs peuvent déroger à l'obligation d'assortir leur spot d'un message sanitaire en versant une contribution à l'Inpes égale à 1,5 % des sommes totales investies dans la diffusion des spots - une disposition financièrement beaucoup moins contraignante que celle votée auparavant.
 
"Ce fonds de 13 à 15 millions d'euros par an - ce qui est considérable - ira directement à l'Inpes et permettra de financer et de développer enfin une politique d'éducation à la santé dans les médias", se félicite M. Douste-Blazy. Le montant prévu est confirmé par Jean-René Buisson, président de l'ANIA, mais ce dernier précise : "Nous sommes d'accord avec le fait de diffuser des messages sanitaires, à condition qu'ils soient positifs. De plus, nous souhaiterions que la taxe soit versée à une fondation dans laquelle nous serions représentés."
 
"MAÎTRISER LA COMMUNICATION"
 
Or un amendement préconisant la création de cette Fondation et épousant donc au mieux la thèse de l'ANIA a été déposé le 6 juillet par l'UMP. "Si cela se traduit par la légitimation d'une Fondation de l'agroalimentaire, les messages sanitaires seront plutôt assimilables à de la propagande. Soit ils sont faits par les pouvoirs publics, soit c'est une nouvelle manière pour l'industrie de maîtriser la communication", s'inquiète Martin Hirsch, directeur général de l'Afssa. "Ce serait la mort du Plan national nutrition santé (PNNS)", redoute un proche du dossier.
 
On est bien loin de la recommandation faite, mercredi 7 juillet, par l'Afssa : "L'interdiction de la publicité alimentaire à destination des enfants est une mesure cohérente et proportionnée", estime-t-elle. Selon cette agence, "il est impératif que les enfants soient protégés de façon efficace et durable et il est illusoire de croire que leur sens critique les protège".
 
Les sénateurs de l'opposition entendent relayer cette prise de position. "L'Afssa, agence qui dépend de l'Etat, est là pour nous éclairer. Si l'on va contre son avis, cela signifie que cette agence ne sert à rien, souligne Gilbert Chabroux (PS). Le Sénat a été inondé de courriers, le lobby agroalimentaire est en train de reprendre la main." Philippe Douste-Blazy dit "comprendre l'Afssa" mais considère qu'il est préférable "d'informer plutôt que d'interdire".
 
Sandrine Blanchard et Laurence Girard
 
 
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Lobbying actif pour les distributeurs
 
 
Dès l'adoption par les députés, le 8 avril, de l'amendement réclamant l'interdiction des distributeurs de boissons et confiseries dans les établissements scolaires, la Chambre syndicale nationale de vente et services automatiques (Navsa) a lancé sa contre-attaque. Le plan est décrit par le menu sur son site Internet : recrutement d'un cabinet de lobbying politique, envoi d'un communiqué et analyse des retombées presse, conseils mis à disposition des gestionnaires de distributeurs pour convaincre les élus, argumentaire diffusé auprès du ministère de l'éducation nationale. Tout a été tenté pour faire passer les messages.
 
 
 
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Les dangers des spots alimentaires pour enfants
 
 
Selon l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), le lien entre la progression de l'obésité infantile et la proportion de spots alimentaires destinés aux enfants diffusés sur le petit écran ne peut être nié. Elle cite l'exemple des Etats-Unis, où le nombre de publicités alimentaires pour enfants à la télévision est passé de 22 000 dans les années 1970 à 40 000 dans les années 1990, dont près de 80 % concernent des aliments qualifiés de "junk food" (mal-bouffe). Dans le même temps, la courbe pondérale des plus jeunes a suivi, elle aussi, une pente ascendante.
 
En France, une étude citée par l'Afssa montre que près de la moitié des spots destinés aux enfants font la promotion de produits sucrés ou chocolatés, boissons, bonbons, biscuits ou autres desserts. De plus, cet organisme souligne que le temps passé devant la télévision contribue à la sédentarité des enfants, et donc augmente d'autant le risque d'obésité. "Plus de 70 % du risque d'obésité provient du mode de vie", indique l'Afssa.
 
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.07.04