Comme, tu n'as pas l'embarras du choix, alors pour éviter que tes pôtes et toi restiez désoeuvrés tout l'été par manque de matière, et malgré que le théatre ne soit pas mon truc, je t'ai déniché une petite scène de Wilfried Foiriot-Delamothe inédite qui devrait vous permettre de briller sur les planches des mjc et, d'étonner vos amis.
C'est l'acte 2, scène 3 d'une tragi-comédie engagée. Il te faut trois potes dont une fille.
Le moule à clafoutis
ou
( l’engagement lucide)
De Wilfried Foiriot-Delamothe
Inédit (1972)
Personnages :
Fernand : le mari de Justine, fonctionnaire
Tonio : ami de Fernand
Justine : Epouse de Fernand, femme au foyer
L’Intrus
Décors : le salon de Fernand
Fernand entre dans la pièce et referme la porte derrière lui
Fernand ( doucement à lui-même) : - Ah quelle journée !
Fernand retire son pardessus
Fernand ( à haute voix) : - Chérie ? Ou hou ! Chérie c’est moi ! !
Pas de réponse
Lentement, sur la pointe des pieds, il se dirige vers l’armoire du salon, dont, brusquement, il ouvre la porte.
Fernand (étonné) : - Tonio ? Justine ? Mais que faites-vous là ?
Justine dévisage Fernand puis sort de l’armoire. Tonio reste recroquevillé dans un coin, vêtu d’une tenue de plongeur.
Tonio ( calmement) : - ‘e ‘e ‘apo’ ‘e ‘ouelle ‘uba ‘ioui (il retire le tuba de sa bouche )- Je reviens de Cuba et je te rapporte des nouvelles de Youri.
Fernand : - Youri ?….mon vieux Youri.
L’ampoule au plafond se met à clignoter, puis s’éteint. Dans l’obscurité, on entend au loin, les chœurs de l’Armée Rouge.
Justine ( effrayée) : - La vie n’est qu’un tremplin !
Tonio (solennel) : - Que le présent soit …
Fernand ( chuchotant) : Ecoutez ! quelqu’un vient d’entrer dans la pièce !
Bruit de la porte qui se referme.
La lumière revient et l’Intrus est là devant les trois personnages.
L’Intrus ( d’une voix forte, les bras levés) : - Dans l’ombre de l’abîme, l’espoir transparaît… turgescent !
Tonio sort de l’armoire, se dirige vers l’intrus et lui tends son masque de plongée.
Tonio : - Prends-le, à travers j’ai vu le fond de la Mer Noire.
Tonio s’accroupit et fixe l’horizon.
L’Intrus regarde le masque entre ses mains
L’Intrus ( s’abaissant) : - Au travers, il a vu…
Tonio ( se relevant) : - …le fond de la Mer Noire !
L’Intrus ( se relevant ) : - Au travers, il a vu…
Tonio (s’abaissant) : -… le fond de la Mer Noire… !
Fernand monte sur la chaise et, lentement, étend ses bras tandis que Justine, l’avant-bras gauche plaqué sur son front, se renverse en tendant le bras droit au ciel.
Fernand ( d’une voix grave et profonde) : - Gooooo…éééééé….laaaannnnd !
Justine ( rapidement d’un seul trait ) : - Mouette ! Mouette ! Mouette !
Fernand : - Gooooo…éééééé….laaaannnnd ! Gooooo…éééééé….laaaannnnd !
Justine : - Mouette ! Mouette ! Mouette !
L’intrus : - Arrêtez ! ! !
Tonio, Fernand et Justine s’immobilisent et regarde l’intrus
L’intrus pivote sur lui-même et fixe le mur.
L’intrus : - Demain les soldats seront de retour dans leur foyer.
Fernand (s’adressant au public) : Sur les routes les fonctionnaires...les imposteurs…Déstructurons le consensus.
Justine : - Un bol de soupe, un croûton de pain, une soupape, un chancre mou…une main tendue…
Tonio s’effondre en se prenant la tête entre les mains et se replie en position fœtale
Tonio ( en pleurs) : -Mais pourquoi ?
Fernand se rapproche, lui pose une main sur l’épaule
Fernand : -Parce que…
L’intrus fixe intensément Tonio et le pointe du doigt
L’Intrus ( accusateur) : - Misérable, tu as failli…
Justine et Fernand à leur tour fixent Tonio
Justine et Fernand : - Malheureux ! Qu’as tu fais ?
L’intrus, Justine et Fernand marchent ensemble vers Tonio qui doucement s’est relevé
Tonio ( qui a cessé de pleurer, résigné) : Claquemurez-moi !
Justine : - Que dit-il ?
Fernand : - Il veut qu’on le claquemure.
L’intrus, Fernand et Justine : - Claquemurons-le
(Le public : Claquemurez-le ! ! claquemurez-le ! !)
Les trois s’avancent vers Tonio, qui recule doucement, jusqu’à retourner dans l’armoire.
L’intrus verrouille la porte.
L’Intrus ( regardant la clé de l’armoire) : - Demain, il fera bon.
Fernand : - Demain, j’écrirai à Youri.
Justine : - Demain, je ferai un clafoutis.
La lumière sur la scène diminue progressivement jusqu’à l’obscurité totale, le rideau tombe.