isadora | Donc, voila, comme je disait, c'est bâclé malgré le délai, ça hésite entre les styles, c'est probablement trop long, mais c'est fait. Spoiler :
On signalait une dépression au-dessus de l’Atlantique. Mais ça me faisait une belle jambe, sur la côte Ionienne, en octobre comme en juillet, le soleil était de plomb et la mer restait calme comme le chaos qui peut se saisir de vous sans que personne ne s’en aperçoive. Je baillais une fois de plus en lisant une fois encore la liste que j’avais sous le nez. Toutes les lignes en étaient biffées, sauf deux. D’un geste automatique, je rajustais ma capeline en y réfléchissant… Je ne voyais pas comment trouver d’issue vraisembable.
J’avisais le serveur qui passait entre les transats, ahanant comme un mineur de bauxite, et lui commandais une brasilena glacée. Une longue fille brune ondulait vers la mer, dans un bikini à pois dangereusement trop petit. Elle gloussait en tentant de garder un semblant d’équilibre, secouant sa chevelure chocolat sous le regard amusé d’un grand type à moustache, qui rappelait un acteur de célèbre, dans l’eau jusqu’à la taille... Vous vous souvenez, ce type avec une Ferrari ? Bref. Il l’encourageait à le rejoindre dans l’eau. Et qui pourrait résister à un homme à la mer, avec une allure pareille ?
Mais assez d’égarement, je devais me concentrer sur une toute autre affaire. Il me fallait à tout prix trouver le moyen d’obtenir un rendez-vous avec Ciccio Rossi, et il allait me falloir trouver une solution assez intelligente pour ne pas tester moi-même les effets de la théorie de la nature des corps froids.
C’était la fin de la matinée, l’heure où le commun des plagistes commence à plier serviette pour rentrer déjeuner. Une mère au joli ventre en brioche tentait de rassembler sa marmaille fort occupée, qui avec son cerf-volant dont on se demandait bien ce qu’il pouvait en faire par ce temps où le moindre souffle d’air était aussi précieux qu’une adresse de bon dentiste pour une victime de mal aux dents chronique, qui à plonger et replonger avec tuba et lunettes. Ça braillait, ça piaillait et ça vociférait en dialecte. Dans une bonne humeur étonnante pour mon fonctionnement de française. La mère rassemblait son paquetage et avançait sans ciller pieds nus sur le sable brûlant pendant que son équipe sautillait comme une volée de moineaux pour atteindre la rampe qui remontait vers le front de mer.
La mer luisait de soleil, je faisais tourner mes glaçons à moitié fondus dans le verre avec ma paille. J’avalais une gorgée de liquide brun et frais et je me disais qu’il ne me restait pas beaucoup de temps pour trouver une idée. Autant mon imagination avait été fertile jusqu’à présent pour approcher mes cibles, autant pour le signor Rossi, il me fallait la jouer plus fine. D’autant qu’il avait peut-être entendu parler de moi. Directement ou pas.
J’avais faim. J’éclusais la fin de mon verre en passant en revue une fois de plus les options qui s’offraient à moi. Soit je réussissais l’opération séduction, soit je rentrais fissa à Paris. Après la phase de prise de repérage et d’approche faite, la première partie s’était déroulée sans encombre. Tonino Cimino avait été facile à rencontrer, et en bon mâle sensible à la flatterie, je n’avais eu aucun souci pour attirer son attention. J’avais hésité à jouer la cruche, la française qui comprend à peine l’italien, perdue sur ces plages du bout de l’Europe, seyante dans l’endroit le sont comme des bretelles à un lapin. De cette manière, je pouvais ignorer les coutumes du coin sans risque. Mais j’avais choisi la difficulté, la voie du retour aux sources, mais en cachant soigneusement lesquelles. Mon frère avait payé assez cher pour avoir joué le jeu lorsqu’il avait senti l’appel des racines. Pas question de me retrouver immolée à mon tour.
Tonino, c’est un grand type qui parle un italien très recherché, mais avec un accent à couper au couteau, curieux pour un notaire. Dès mon arrivée, j’ai sorti mon accent le plus travaillé, et j’ai pris rendez-vous dans son cabinet, pour acheter une maison de vacances. J’avais préparé un baratin sans faille pour que mon coup de cœur pour cette région où seuls les gens qui vivent à moins de cinquante kilomètres viennent en vacances soit crédible. Dans la salle d’attente de son cabinet, je prenais un air absorbé pour feuilleter une revue qui parlait des dernières frasques du cavaliere quand sa secrétaire est venue me chercher. Elle boita un peu dans un long couloir sombre et frais, puis m’ouvrit une lourde porte de chêne ouvragée et s’effaça pour me laisser entrer. Il était assis derrière un bureau bien rangé, une cigarette à la main, et me regarda traverser l’épais tapis ottoman. C’est donc toi…
Il souriait d’un air content de lui, de l’ostentation de l’endroit. D’autant plus content de me le montrer, à moi, revenue ici. Une sorte de revanche de ceux qui sont restés contre ceux qui sont partis chercher mieux ailleurs avant de revenir dans le regard.
As-tu osé croiser son regard à lui dans les derniers moments ?
Puisqu’il était si heureux de lui, si sûr de ce qu’il dégageait, j’en rajoutais un peu dans le chaloupement de la démarche, et dans les battements de cil quand il m’a invitée à m’asseoir en face de lui. Dans les jours qui ont suivi, nous avons enchaîné les visites de maisons, celles qui donnaient sur la plage, celles de l’arrière-pays, avec piscine, avec terrain… Il tenait à me montrer lui-même la beauté de l’endroit et m’aider à faire le meilleur choix. La réputation de la région à l’étranger était en jeu, son honneur à lui aussi. Au bout de quelques jours, comment aurais-je pu résister au charme de don Tonino ? Je lui demandais de n’en parler à personne, pour ne pas attirer les jalousies, lui ai-je dit, et surtout pour préserver ma réputation.
En même temps, je cherchais le moyen de faire connaissance avec don Ciccio, puisqu’il dirigeait tout. Il faudrait que je gagne sa confiance, pour qu’il soit de mon côté quand je déciderais de jeter Tonino dans ses pattes. Pas si simple. J’optai pour l’approche familiale. Par chance, il avait un vague neveu qui avait été un temps basketteur professionnel et avait été pivot à Limoges un an ou deux avant d’être renvoyé dans ses pénates. Un matin où je passais prendre mon café au rad du coin, Mariangela, la serveuse, me le présenta. « Amalia, c’est Mimmo, notre star internationale ! Il parle français ! »
Un grand garçon m’adressa un petit sourire. Il avait l’air très calme, presque timide, mais pas du tout gauche pour quelqu’un de sa taille. Il me dit bonjour en français, d’une voix très douce. Ses yeux noisette, ironiques et doux, étaient mon billet de loterie gagnant. Je répondis à son salut et finis mon café. Je me levais pour sortir, et quand je passais à côté de lui, il me dit simplement qu’il partait travailler, mais qu’il venait ici tous les matins, et que si j’avais besoin d’une aide pour quoi que ce soit, je l’y trouverai. Je l’ai pris au mot, en prenant soin de ne pas risquer de tomber sur Tonino avec Mimmo. Mais Mimmo ne fréquentait que peu de monde, principalement sa famille. Qui se trouvait être celle de don Ciccio, les choses étant bien faites. Mais lui, le don, on ne le voyait pas. Il n’apparassait en public qu’aux fêtes de famille. Sinon, il faut obtenir une audience, donc aucune raison pour moi de le voir. Il me faudrait attendre ferragosto, quand la famille se réunirait pour le repas du 15 août. Je prenais donc mon mal en patience. Avec Tonino. Parce que rencontrer Mimmo n’était pas le même pensum que de devoir faire mine de m’intéresser à la vie d’apparat du notaire. Alors pour occuper nos rencontres et répondre à ses interrogations, je brodais sur ma vie en France, sur les tristes raisons de mon isolement et sur toutes ces années perdues dans mon célibat tardif jusqu’à notre rencontre. Quelle chance j’avais d’avoir croisé un notable qui s’intéresse enfin un mois.
Savais-tu qu’il avait une sœur ?
Ferragosto arriva enfin et à ma demi-surprise, don Ciccio en savait déjà long sur moi. Je restai silencieuse et les yeux baissés en sa compagnie, mais il voulait parler avec moi. J’essayais d’en dire le moins possible, je savais trop bien ce qui l’avait opposé mon grand-père et qui avait signé le départ de ma famille et je ne voulais surtout pas que cela remonte à la surface. Il avait l’air de se douter de quelque chose, mais n’en disait jamais rien. Par la suite, il fit venir Mimmo plusieurs fois pour des diners chez lui, en lui demandant toujours de m’amener. Je gardais le silence, le plus possible. C’était à lui d’avoir le sentiment de m’apprivoiser si je voulais avoir une chance de casser le lien entre son clan et celui de Tonino. Je n’aurai jamais aucune chance sinon.
Mois après mois, je le laissais approcher petit à petit. A vrai dire, cela me demandait peu d’efforts. Je me sentais enfin chez moi dans cette petite ville écrasée de soleil et de mer, où on parle beaucoup, mais où le plus important se dit en silence. A Noël, je faisais partie des invités de don Ciccio. C’était le grand jour. Lorsque Tonino est entré dans la salle de réception, je suis restée à l’écart, près de la fenêtre. Je l’ai vu, fidèle à lui-même, avancer d’un air important, avant de s’incliner avec une déférence travaillée sur la main de don Ciccio. Il ne m’a pas vue tout de suite, mais quand ça a été le cas, il a attendu de se trouver à mes côtés pour me parler. C’était le moment.
Maintenant souviens-toi
J’ai sursauté et poussé un cri étouffé, que j’avais beaucoup travaillé soir après soir en attendant ce jour. Mimmo l’avait déjà éjecté à quelques mètres de moi. Ça paraissait presque trop facile. Don Ciccio a froncé le sourcil, levé la main de quelques centimètres à peine. Ses deux gardes du corps ont immédiatement évacué Tonino hors de la pièce. Je suis sûre que certains n’ont même rien vu. Il m’a fait un autre signe de main et s’est dirigé vers la terrasse. Je l’ai suivi, en restant 3 pas derrière lui, Mimmo à mes côtés.
Quand il s’est tourné vers moi, don Ciccio souriait. « Je t’ai attendue longtemps, Amalia. Ton frère a souffert pour une histoire qui n’était pas la sienne. Il fallait que quelqu’un le venge, et personne ne pouvait le faire, ici. Il fallait que tu viennes. »
Je restais imperturbable, je ne voulais pas qu’il me voit déstabilisée. Je me demandais dans quelle crevasse de l’Aspromonte allait finir Tonino, et ce que ça changerait entre les clans. Et pourquoi don Ciccio faisait ça pour moi. Il a juste dit, en partant rejoindre ses invités : « Il faudra qu’on se voit pour la succession de ton grand-père. » |
Message édité par isadora le 13-06-2011 à 22:28:28
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