On signalait une dépression au dessus de l’atlantique depuis plusieurs semaines. A priori, elle était arrivée sur la Bretagne vu les commentaires de l’animateur de RTL. Soudain, le haut parleur se met à grésiller. Olivier ouvre un œil, éteint la radio. De tout’ façon ça veut dire quoi une « dépression » ? Y peuvent pas dire qu’y va pleuvoir comme tout le monde ? Bande de cons tiens. Olivier s’étire, baille une première fois puis une seconde. Encore une journée de merde qui commence, comme tous les jours, comme toutes les semaines, comme tous les mois depuis quatre ans.
On est Lundi. Olivier n’a jamais aimé les lundis. Chaque semaine c’est le même rituel : des pâtes à l’appart, l’après midi à l’ANPE et le soir au bar avec des potes pour écluser une bière ou deux. Et finir bourré après en avoir finalement ingurgitées sept.
Bon, première étape : faut commencer par se trainer jusqu’à la salle de bain. Olivier observe son visage dans le miroir. Il y a quelques années il en était assez fier, surtout avec sa fine moustache brune. Aujourd’hui l’appendice capillaire est devenu gris et des rides sont apparues un peu partout. Une douche rapide plus tard, un coup de déodorant, une noisette de gel dans les cheveux et c’est parti.
Dans la salle d’attente de l’ANPE, Olivier retrouve quelques vieilles connaissances. Y’a Loïc qui galère depuis cinq ans, André, deux ans seulement. Ils sont bien obligés de venir ici, sinon ils ne recevront pas les aides de l’état le mois prochain. Au moins ils savent qu’ils pourront aller boire un verre ensemble une fois cette corvée terminée, ça aide à supporter la litanie de l’employée derrière son bureau. C’te vieille aigrie qui s’croit plus intelligente que tout l’monde, j’aimerais bien la voir à not’place tiens.
Mardi. Réveil. Onze heures. Mal aux cheveux, mal aux dents. Trop de bières la veille … Comme d’hab’ quoi. ’Tain font chier, y pourraient inventer un truc contre la gueule de bois. Sur qu’avec ça l’monde irait mieux tiens. Se Lever. Tituber jusqu’à la salle de bain. Boire de l’eau … Vomir. Merde, j’suis mal ‘tain. 2 dolipranes. Se recoucher.
13h30. Fin du journal télévisé, météo. « La dépression gagne le nord de la France ». ‘Tain sont lourds avec leur histoire de dépression… Olivier zappe sur la deux. Des chiffres et des lettres. « 7 lettres : Bauxite ». ‘Tain ça veut dire quoi ça encore ? Font chier avec leur émission pour intellos. Encore mal à la tête. Télé allumée, Olivier s’endort sur le canapé. Il rêve qu’il est joueur de foot, une superstar, il marque un but en finale de coupe du monde, puis deux puis trois ! Soudain des Ottomans envahissent le terrain avec des casques pointus et des lances, Olivier doit courir, courir, courir… C’est le 100m haies mais les haies sont vivantes, elles veulent le manger ! Heureusement il a une perche pour sauter plus haut, il gagne ! Vite, il s’engage dans le tunnel des vestiaires pour échapper aux Ottomans qui, entre temps, se sont transformés en légionnaires romains. Il est dans un couloir, il court toujours ; tout devient noir, noir, noir…
Le Mercredi est un jour qui ne sert à rien. Souvent Olivier en profite pour se balader dans les rues de Dunkerque. Il aime bien se balader vers le port, la mer a toujours eu un effet apaisant sur lui. Un journal est abandonné sur un banc le long du quai, Olivier s’assoit et commence à le feuilleter. Il ne jette même plus un œil sur la liste des petites annonces. Il l’a fait pendant plus de trois ans, sans jamais aucun résultat. Les nouvelles ne sont ni bonnes ni mauvaises. En fait Olivier s’en fout. Il ne lit mêmes pas les articles, se contentant des gros titres et des légendes sous les images. Une femme passe à côté ; elle tient une petite fille par la main. « Ne regarde pas le monsieur, dépêche toi ! » Olivier en éprouve une certaine tristesse, il a donc si mauvaise mine que ça ? Peut-être l’a-t’elle pris pour un SDF… Elle s’croit maligne ? ‘Tain elle a l’air coincée oui, la p’tite bourgeoise, j’préfère encore me branler que d’sortir avec ça.
Olivier retourne à son journal. Un titre l’attire : « Désespéré, il s’immole dans son bureau ». Pov’ gars tiens. R’marque autant rien foutre de ses journée, hein, ça vaut mieux qu’être obligé d’se lever tous les matins pour bosser pour un connard de patron et finir par se tuer comme ça. Cette idée ne réjouit pas Olivier pour autant.
Le soleil commence à baisser. Il va falloir songer à trouver quelque chose à manger. Heureusement il y a un Monoprix pas très loin. Depuis le temps qu’il n’a plus assez d’argent pour manger à sa faim, Olivier a appris à voler pour se nourrir. Ne jamais retourner plusieurs fois par semaine dans le même magasin. Laisser les poches du blouson ouvertes pour pouvoir y glisser rapidement ce qu’on prend dans les rayons. Olivier choisit souvent des boites de conserve, on peut faire plusieurs repas avec une seule. Surtout, ressortir l’air de rien, il n’y a jamais d’anti vol sur des conserves. Ce soir ce sera ravioli.
Jeudi. Il est onze heure, le petit déjeuner tiendra lieu de déjeuner même s’il n’a rien de grand : un bout de brioche avec une tasse de café lyophilisé dégueulasse. Dehors il pleut. Ca doit être ça la dépression tant annoncée. Remarque le nom est pas con, hein, c’est déprimant c’te pluie.
Olivier se revoit il y a quatre ans. Sa démission pour un job mieux payé, puis son licenciement en période d’essai … Y m’ont bien niqué tiens. Et puis quatre longues années à survivre comme il pouvait, avec les aides de l’état et quelques boulots minables à droite à gauche. Où en est-il depuis quatre ans ? Toujours au même point… ‘tain, toutes ces années perdues… La nostalgie envahie Olivier d’un coup. Lui qui rêvait d’un pavillon en banlieue avec une femme pour lui préparer des bons petits plats, un boulot pas trop chiant. Il aurait pu amener le gamin au stade les weekends… Mais il n’y a jamais eu de femme, encore moins d’enfant. Il n’a pas vraiment de rancœur envers les occasions ratées, ses rêves et ses illusions sont parties, tout simplement. Olivier se rend compte qu’il n’attend plus grand-chose de la vie. Son seul plaisir encore intact : une bière en soirée en regardant un match de foot avec des potes. Ah, si tous les soirs pouvaient être des samedis…
Vendredi c’est le jour des prospectus dans la boite aux lettres. Surement pour pousser les ménagères à bien consommer le samedi lors des courses hebdomadaires... Aujourd’hui, il y a une montagne de pub mais ça ne dérange pas Olivier, il feuillette toujours les prospectus. Il rêvasse devant les nouveautés hi-tech, il est incollable sur les TV LCD et les chaines hi-fi même si au fond de lui il sait qu’il ne pourra jamais acheter les objets dont il rêve. Il y a deux lettres dans le courrier. Une relance d’EDF pour impayé. Une facture de téléphone. ‘Tain toujours à réclamer de la thune eux.
Olivier jette les factures et allume la télé. Y’a plus rien à manger à l’appartement à part quelques tranches de pain de mie. Elles sont un peu rances alors Olivier les passe au grille pain. Ce soir y’a Arthur à la télé.
Le samedi, C’est sacré, c’est jour de match. Olivier doit retrouver Loïc et André chez ce dernier ce soir pour regarder le LOSC jouer contre Saint-Etienne. Les huissiers ont pas encore saisi la télé 16/9 d’André alors faut en profiter. Le déjeuner se compose d’un reste de flageolets entamés la veille. Après ce repas, olivier part errer en ville. Il ne va jamais à la campagne. En hiver, Olivier déteste la nature. Décors froids, vides, sans vie. Très peu pour lui. Et puis au moins en ville y’a des bars pour boire une bière.
L’après midi passe, morose. Retour à l’appartement, vaisselle, coup de balai. Se faire chier devant la télé. Olivier passe au Franprix du coin, histoire de voler un paquet de chips et une bouteille de bière avant de rejoindre ses amis. André a acheté un saucisson, Loïc a volé une boîte de choucroute. La soirée s’annonce bien.
Dimanche. Olivier a mis un pantalon en toile bleue, une chemise blanche avec des rayures qui furent rouges il y a longtemps et des souliers en cuirs. Il se sent déguisé, mal à l’aise. Tous ces vêtements sont un peu incongrus sur lui. Comme des bretelles à un lapin.
Ce matin le ciel est maussade, il ne pleut pas mais c’est limite pire avec le vent et le froid qui vous glace les os. Olivier se rend au port. Il a volé une bouteille de bière. Même avec les deux qu’il a bues ce matin, il continue à sentir le froid de ce dimanche printanier. L’été est encore loin.
Sur la jetée, un gosse déguisé en indien joue avec un cerf volant. L’enfant s’amuse à le faire pivoter dans les airs sous le regard amusé de ses parents. Le côté misérable de sa vie surgit dans la tête d’Olivier. J’serai jamais comme eux. Ils ont l’air heureux… Olivier n’arrive même pas à se représenter la sensation que ça doit faire. Merde, j’serai jamais comme eux…
L’eau l’appelle. Elle bouillonne en bas contre la jetée. Ce serait tellement plus simple… pas d’enfant, pas de femme, personne pour le regretter. En plus le LOSC a perdu hier. Une dernière gorgée de bière.
Le choc avec l’eau froide l’engourdi. Olivier se demande soudain dans un éclair de conscience s’il va souffrir … Mais il n’a pas vraiment le temps de s’en inquiéter, seulement celui d’entendre « un homme à la mer ! » avant de perdre connaissance…