Alain Bombard, le "naufragé volontaire", est mort  
 
TOULON (AP) - Alain Bombard est parti pour sa dernière traversée, sans espoir de retour. Le médecin et biologiste français, célèbre pour son expérience de naufragé volontaire en 1952, est mort mardi à l'hôpital militaire de Toulon à l'âge de 80 ans.
 
La direction de l'établissement n'a pas précisé les causes du décès d'Alain Bombard, hospitalisé il y a près d'un mois en raison de la dégradation de son état de santé.
 
Né le 27 octobre 1924 à Paris, docteur de médecine, Alain Bombard a été interne de 1949 à 1951 à l'hôpital de Boulogne-sur-Mer, où le secours aux naufragés l'a amené à s'intéresser aux questions de survie en mer.
 
Chercheur au Musée océanographique de Monaco en 1952, il décide de prouver qu'il est possible de survivre à bord d'un canot pneumatique, sans autre ressources que le plancton et l'eau de mer. Malgré les dangers de l'entreprise, il passera 64 jours cette année-là seul à bord d'un canot pneumatique, l'"Hérétique", sans vivres ni eau.
 
Cette traversée de l'Atlantique, entre Las Palmas (Canaries) et La Barbade, dans les Caraïbes, mettra sa santé à rude épreuve et il devra être hospitalisé. Le récit de cette aventure, "Naufragé volontaire", publié en 1958, lui a valu une renommée mondiale.
 
"En son temps, c'était une traversée extraordinaire, immense, parce qu'il n'y avait pas de moyens de communications et surtout (...) c'était une traversée qui était une démonstration d'une théorie qu'il avait que l'homme peut survivre avec l'océan", a souligné sur France Info le navigateur français Gérard d'Aboville, qui traversa le Pacifique à la rame en 1991.
 
La théorie d'Alain Bombard, rappelle-t-il, était "très controversée", "tellement controversée que son bateau s'appelait "L'Hérétique". "Son principe d'ailleurs n'était pas, contrairement à ce qu'on a pu dire, que l'on buvait de l'eau de mer, point. Terminé", a-t-il expliqué. "Il disait qu'en buvant de l'eau de mer dans une petite proportion, à peu près 30% d'eau (...), on peut retarder le moment où on va mourir de soif."
 
Alain Bombard, poursuit Gérard d'Aboville, expliquait aussi qu'il "fallait boire de l'eau douce", notamment "de la pluie", et l'eau "des poissons qu'il pêchait et qu'il pressait tout simplement". "Et dans un poisson comme dans le corps humain, il y a beaucoup d'eau et de l'eau douce", a-t-il précisé.
 
Alain Bombard a par la suite créé un laboratoire marin, le Coryphène, pour l'étude de la physio-pathologie du marin (1959-1964), avant d'occuper les fonctions de délégué général du laboratoire de biologie marine-Observatoire de la mer (fondation océanographique Ricard) de 1967 à 1985.
 
Entré entre temps en politique, il a été délégué national à la Mer du Parti socialiste et a été brièvement secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Environnement dans le premier gouvernement du Premier ministre socialiste Pierre Mauroy, du 22 mai au 24 juin 1981. Il a ensuite été député européen jusqu'en 1994. "Il faisait partie des députés européens qui travaillaient, et notamment sur les questions de l'environnement, on se souvenait de lui comme quelqu'un qui avait vraiment des choses pertinentes à dire", selon Gérard d'Aboville.
 
Marié et père de cinq enfants, officier de la Légion d'honneur et du Mérite maritime, Alain Bombard était également l'auteur de plusieurs ouvrages, dont "Naufragé volontaire" (1958), "La dernière exploration" (1974), "Les grands navigateurs" (1976), "La Mer et l'homme" (1980), "Aventurier de la mer" (1998). AP
 

petite phrase qui prête à confusion    

Etel (près de Quiberon pour ceux qui ne connaissent pas)n'a pas pardonné à Alain Bombard
Lors d'un essai de son radeau, neuf personnes avaient trouvé la mort en 1958
 
Michel Le Leuch, Louis Le Guézel et Claude Prépin avec le bossoir du canot de sauvetage qui s'est retourné en intervention.Ouest-France  
 
 
 
 
La mort d'Alain Bombard a réveillé des blessures cruelles dans le coeur des Étellois. Plus d'un demi-siècle après, ils parlent encore du drame qui a coûté la vie à neuf personnes, lors d'un test très risqué. Peu d'entre eux ont pardonné à celui qui a pris des vies, avant d'en sauver des milliers. Alain Bombard n'avait pas présenté d'excuses aux marins, et cela, personne ne l'a oublié.
« Il y a encore des gens ici qui n'ont pas fait leur deuil de ce drame », lâche Jean-Claude Le Port, président de la station de sauvetage d'Étel. « Cela reste une plaie vive. On ne comprend pas que l'on ait pu faire des essais par un temps pareil. C'était de la folie. Il aurait mieux fait de mettre son radeau sous un marteau-pilon, cela aurait été pareil, car il n'a pas tenu le choc. »
 
Le défi des Étellois
 
« La mort de Bombard ravive des souvenirs qui n'ont rien d'agréable », ajoute Jean-Claude, qui avait 15 ans à l'époque des faits. « Ici, on n'en parle pas », glisse Rémy Broudic, président de l'association pour la préservation du canot de sauvetage Émile-Daniel, du nom du patron du canot naufragé de 1958. « Après, ses radeaux ont fait du bien », admet-il, « mais le canot SNSM d'Étel a été longtemps le seul à ne pas en avoir, tant qu'il y avait des survivants à bord ».
 
Au musée des Thoniers d'Étel on apprend qu'en août 1958 : « Le Dr Alain Bombard expérimente un canot de survie de sa conception sur la barre d'Étel. La tentative est un succès, mais les conditions de mer sont trop clémentes pour valider l'expérience. » Intéressés, les marins étellois sont un peu goguenards. « Sur une mer d'huile, c'est facile, mais par une marée d'Équinoxe · », lui auraient-ils lancé comme un défi. Il semble que des impératifs industriels aient conduit la société commanditaire à presser le mouvement. Le 3 octobre, le défi, qui s'avérera meurtrier, est relevé.
 
Bombard embarque avec des volontaires, sous la surveillance du canot de sauvetage Vice-amiral-Shwerer. Le radeau attaque « la barre de l'intérieur ». Par gros temps. Erreur fatale, il se retourne. Le canot de sauvetage réussit à repêcher les naufragés, sauf un, et c'est en voulant ramener l'intégralité de l'expédition saine et sauve qu'il se retournera sur un terrible rouleau, alors qu'une aussière est prise dans son hélice. Il y aura huit noyés, et une neuvième victime, un mécano à bord de l'hélicoptère venu en secours. Les rescapés seront recueillis par le remorqueur Ville-d'Étel. « Ils n'auraient pas dû sortir, mais il y avait beaucoup de volontaires. Un seul disait qu'il ne fallait pas, c'était Alfred Morvan, un armateur », détaille-t-on au Musée des Thoniers où est conservée la dernière pièce du Vice-amiral-Schwerer, son bossoir. « L'Océan : revanche sur Bombard », annonce Paris-Match, « Dramatique expérience Bombard », titre Ouest-France des 4 et 5 octobre. Pas un mot d'excuses du « héros ».
 
Amertume au bord des lèvres
 
Hier, à deux pas du canot SNSM, les mots restent durs, mais pas vindicatifs à l'égard du spécialiste du sauvetage. Bombard a laissé ici de l'amertume au bord des lèvres dès que l'on cite son nom. Quand il y a une cérémonie de souvenir, elle est toujours religieuse... et ponctuée de silences lourds de chagrins. « Ici, tout le monde y a perdu un père, oncle, un frère, un cousin. » Devant la plaque commémorative, et des photos de l'équipage d'alors, Jean Burguin, 75 ans, éclate en sanglots. « J'étais embarqué sur un bateau de pêche d'Émile Daniel, je n'étais donc pas là. Mais je les connaissais tous, ces gars-là. » Il retrouve Pierre Mallet. « J'étais en train de travailler avec le chef-mécanicien à côté, il m'a dit qu'il allait faire des essais avec Bombard, mais qu'il ne pouvait pas m'amener cette fois, car il y avait des officiels. Il m'a donc sauvé la vie ». L'un des derniers survivants, Alexandre Le Formal est décédé voilà peu. « Il ne voulait pas en parler ». Reste Bernard Trahan, vivant entre Irlande et Bretagne. La dernière mémoire du drame.
 
Les corps sous les couvertures
 
Jeune paysan de 17 ans, Aimé Kerguéris, aujourd'hui député, travaillait dans les champs à Kervégant, au Magouer, de l'autre côté de la ria. « Vers 17 h, ce jour-là, un artisan qui avait couru au moins trois kilomètres sur la dune nous a demandé d'aller avec nos petits tracteurs, le mien, celui d'Étienne Philippe et de Rémy Candalh pour tenter de retourner le canot renversé au bord du rivage. Mais dans le sable, on n'a jamais pu raidir le câble. Un engin avec treuil est venu du Polygone de tir de Gâvres. Le canot a été retourné, mais il n'y avait plus personne à l'intérieur. Plus loin, à côté du sémaphore d'aujourd'hui, les corps des victimes étaient allongés sous des couvertures. Personne ne disait rien. » De rage, les Étellois, qui faillirent lyncher Alain Bombard à son retour au quai, heureusement protégé par le maire d'alors et deux gendarmes, détruisirent les vestiges du Vice-amiral-Schwerer, pour ne plus en supporter la vue.