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C'est un fait exceptionnel dans l'histoire de l'éducation nationale. Sur demande de l'Elysée, quelques étudiants juifs pratiquants vont pouvoir passer dans la seconde quinzaine du mois d'avril les concours d'entrée à plusieurs grandes écoles, ceux des Mines, des Ponts, de Centrale et de Supélec, pour partie en dehors des sessions normales d'examen. Des sessions secrètes de nuit ont été prévues, avec un confinement préalable des candidats concernés plusieurs heures avant.
Alors que le chef de l'Etat, relayé par son ministre de l'intérieur Claude Guéant, orchestre depuis des semaines une campagne de stigmatisation ciblant les immigrés d'origine arabe, l'affaire que révèle Mediapart met en évidence que la défense de la laïcité, souvent avancée pour justifier cette politique, n'est en réalité qu'un prétexte. A preuve, le chef de l'Etat n'a pas le moindre scrupule à violer, quand il le veut, le principe de la laïcité.
L'organisation des concours aux grandes écoles suit un processus méticuleux, encadré par la loi et une jurisprudence fournie. Les dates sont choisies de telle sorte qu'elles ne chevauchent naturellement pas les jours fériés, qui recoupent notamment certaines fêtes de la religion catholique. Les organisateurs des concours doivent aussi fixer des dates qui ne chevauchent pas non plus ce qu'il est convenu d'appeler « les dates religieuses protégées ». En clair, chaque année, un arrêté ministériel établit un calendrier fixant les « autorisations d'absence pouvant être accordées à l'occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions ». Les examens publics ou les concours d'entrée aux grandes écoles n'ont donc jamais lieu à ces dates.
Pour l'année 2011, une circulaire en date du 2 décembre 2010, signée par le ministre du budget, François Baroin, et le secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique, Georges Tron, donne ces dates religieuses protégées, qu'il s'agisse des fêtes orthodoxes (6 et 19 janvier, 22 avril, 2 juin), des fêtes arméniennes (6 janvier, 3 mars, 24 avril), des fêtes musulmanes (15 février, 30 août, 6 novembre), des fêtes juives (8 et 9 juin, 29 et 30 septembre, 8 octobre) ou encore de la fête bouddhiste (17 mai).
C'est en quelque sorte le mode d'emploi d'une République laïque, mais tolérante : la vie publique est organisée de telle sorte que chacun puisse pratiquer un culte, s'il le souhaite. Cette circulaire, on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous:
Les dates religieuses protégées
Cette organisation est souvent contestée. Des candidats demandent des exemptions complémentaires mais butent à chaque fois sur une jurisprudence constante du Conseil d'Etat. Car la loi française est très claire. Elle est rappelée par une circulaire de 2004 sur la laïcité signée par François Fillon (il s'agit de la circulaire n°2004-084 du 18.5.2004, JO du 22.5.2004) qui édicte en particulier ceci :
« Des autorisations d'absence doivent pouvoir être accordées aux élèves pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé et dont les dates sont rappelées chaque année par une instruction publiée au B.O. En revanche, les demandes d'absence systématique ou prolongée doivent être refusées dès lors qu'elles sont incompatibles avec l'organisation de la scolarité. L'institution scolaire et universitaire, de son côté, doit prendre les dispositions nécessaires pour qu'aucun examen ni aucune épreuve importante ne soient organisés le jour de ces grandes fêtes religieuses. »
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Sur la sellette, les 20 et 26 avril
Cette jurisprudence est d'ailleurs confortée par un arrêt célèbre du 27 octobre 1972, dit arrêt Vivien Prais, de la Cour de justice des communautés européennes qui a prononcé le rejet d'une requérante demandant à passer un concours des Communautés européennes à une autre date que celle prévue, en raison de ses convictions religieuses.
C'est donc en fonction des dates des fêtes religieuses protégées que les responsables des concours publics doivent arrêter leur propre calendrier. Dans le cas des concours aux grandes écoles d'ingénieurs, c'est ce qui est advenu. En l'occurrence, pour les étudiants en classe préparatoire, il existe à l'issue de « Math-spé » deux grands concours prestigieux, pour devenir ingénieur. Il y a d'abord ce que l'on appelle le « concours commun », qui regroupe les concours d'admission aux Ponts et aux Mines. Et puis, il y a un second concours, celui pour l'admission à l'Ecole Centrale et à Supélec.
Le concours commun (Mines-Pont) doit ainsi avoir lieu les 20, 21 et 22 avril prochains. Et le concours à Centrale et Supélec doit avoir lieu quelques jours plus tard, les 26, 27, 28 et 29 avril prochain. Ce calendrier peut être consulté sur le site Internet du Service de concours aux écoles d'ingénieurs. On trouvera ci-dessous le calendrier de ces concours :
Cliquer sur ce tableau pour l'agrandir
Or, cette année, un séisme est venu ébranler cette procédure rodée : un oukase en provenance de l'Elysée a exigé que deux séances de nuit soient organisées dans le plus grand secret pour certains étudiants juifs. Comment violer aussi ouvertement les principes de la laïcité sans que cela se sache ? Pour l'organisation de ces deux séances secrètes, il a fallu mettre dans la confidence quelques hauts fonctionnaires, notamment au ministère de l'enseignement supérieur. Et, dans cette maison, cela a suscité une si vive émotion, que Mediapart a fini par en être alerté. Découvrant le projet, nous n'avons eu ensuite guère de difficultés à vérifier les détails du plan de l'Elysée. Mediapart a eu connaissance en particulier des documents préparatoires qui ont conduit à l'invention de ces séances secrètes.
Les organisateurs des deux concours ont ainsi appris en début d'année que le chef de l'Etat souhaitait un dispositif secret et hors norme. La demande était la suivante. Les fêtes de la Pâque juive (la fête de Pessah) durent du 18 avril au soir jusqu'au 26 avril. Le chef de l'Etat a fait valoir qu'il aimerait qu'une solution soit trouvée pour que les étudiants juifs pratiquants qui le souhaitent n'aient pas à concourir dans la journée du 20 avril, dans le cas du concours commun, et dans la journée du 26 avril, pour Centrale et Supélec.
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Confinement pendant 14 heures
Le bon fonctionnement républicain aurait voulu que l'Elysée ne défende pas une telle position. Ces dates ne figurent pas en effet dans la circulaire qui fixe les dates religieuses réservées. En Israël, ces deux dates ne sont pas plus fériées : seul, le premier jour de la Pâque juive est férié, soit le 19, mais pas le second, le 20 avril (début du concours commun), et pas plus le 26 avril. Si une telle demande avait été adressée au chef de l'Etat, l'Elysée aurait donc pu faire valoir que c'était strictement impossible. D'autant que les dates de ces concours chevauchent aussi d'autres dates religieuses symboliques, pour d'autres cultes : le concours commun se déroule ainsi jusqu'au 22 avril, qui correspond pour les catholiques au vendredi saint ; lequel vendredi est aussi chaque semaine un jour de prière important pour les musulmans.
Malgré tout, l'Elysée a voulu passer en force. En début d'année, les organisateurs des deux concours ont reçu l'ordre de prévoir un dispositif exceptionnel. Pour le concours commun, il a été prévu que les étudiants concernés seront confinés, sans doute dans un hôtel parisien, quand l'épreuve commencera, le 20 avril à 8 heures du matin. Fouillés, surveillés en permanence jusque dans les toilettes, les candidats seront en quelque sorte tenus au secret, dans l'impossibilité d'être en relation avec le monde extérieur. Et ils ne commenceront l'épreuve que quatorze heures plus tard, la nuit suivante, à 22 heures, et composeront jusqu'à 2 heures du matin. Un système identique a été mis au point pour la journée du 26 avril, pour l'autre concours.
C'est donc un système ahurissant qui a été mis au point à la demande de l'Elysée. Ahurissant, d'abord pour les étudiants concernés et qui pourtant le demandent – on parle d'une petite dizaine tout au plus. Car, épuisés après avoir travaillé jusqu'à 2 heures du matin, ils n'en devront pas moins, six petites heures plus tard, commencer dès 8 heures du matin l'épreuve prévue pour le deuxième jour du concours. Le dispositif joue donc contre leurs intérêts, car ils passeront leur concours dans une situation d'épuisement.
Ahurissant aussi, parce que le système contrevient aux principes de la laïcité et de l'égalité des candidats. Dans toutes les écoles concernées, cela a été un tollé d'indignation. Et, selon nos informations, tous les organisateurs des concours n'ont accepté de mettre ce dispositif en place qu'à la condition d'en recevoir l'ordre écrit.
Car qui pourra accéder à cet examen en pleine nuit ? Pour garantir l'égalité des candidats, il aurait fallu que cette possibilité soit ouverte à tous les candidats au concours – et ils sont nombreux : plus de 13.000, pour ne parler que de Centrale et Supélec. Mais dans ce cas, il aurait fallu aussi qu'une publicité soit faite autour de ce dispositif. Ce qui aurait eu deux effets pervers : d'abord, l'Elysée n'aurait pas échappé à une tempête de critiques. Et puis, par avance, des référés auraient pu intervenir devant la juridiction administrative et l'Elysée aurait encouru un second camouflet, avec la possible annulation de ce concours bizarroïde.
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Deux consultations juridiques très critiques
Du coup, des tractations ont été menées dans les sommets du pouvoir. Selon nos informations, c'est Bernard Belloc, conseiller à l'Elysée pour l'enseignement supérieur et la recherche, qui a été chargé de mettre en œuvre le plan du chef de l'Etat. Dans d'autres cabinets ministériels, d'autres hauts fonctionnaires ont été mis dans la confidence : évidemment, Olivier Pagezy, le directeur de cabinet de Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur; mais aussi, Alexandre de Juniac, le directeur de cabinet de la ministre des finances ; ou encore Frank Supplisson, le directeur de cabinet du ministre de l'industrie. Et finalement, il a été décidé que ces deux jours d'épreuves de nuit soient tenus secrets.
Le secret voulu par l'Elysée fragilise encore plus ce concours. Non pas à cause du confinement auquel seront contraints les candidats, car cette pratique est admise dans l'éducation nationale. Notamment, les étudiants de Martinique et de Guadeloupe peuvent être contraints à un confinement de quelques heures, pour passer les mêmes examens ou concours qu'en métropole, mais en tenant compte du décalage horaire. Mais parce que dans le cas présent, la mise au secret va durer quatorze heures, avant que les candidats ne commencent l'épreuve, ce qui à l'heure d'Internet et des smartphones est un temps exceptionnellement long. Et ce qui pourra alimenter d'innombrables contestations...
Plus grave, comment et par qui seront prévenus les candidats susceptibles de concourir la nuit ? Comme le ministère de l'enseignement supérieur ne dispose évidemment pas d'un fichier des étudiants juifs, qui alertera confidentiellement quelques étudiants de cette possibilité ? Et pourquoi d'autres étudiants, qui pourraient préférer, pour une raison ou une autre, passer cette séance ne seraient pas mis dans la confidence ?
Quoi qu'il en soit, c'est un engrenage que le chef de l'Etat a enclenché. D'abord, parce qu'il n'évitera pas les controverses. Deuxio, les risques de recours devant le Conseil d'Etat seront d'autant plus forts. C'est le diagnostic des juristes qui ont été consultés par le ministère de l'enseignement supérieur : en cas de contestation devant le Conseil d'Etat, les risques d'annulation de l'épreuve sont très forts. En quelque sorte, c'est toute une année de travail de milliers et de milliers d'étudiants en classe préparatoire qui pourrait alors être mise en cause, du fait d'un caprice de l'Elysée.
Mediapart a cherché à interroger toutes les personnes qui, à un titre ou à un autre, ont été informées de ce dispositif ou ont contribué à le mettre en place. Au ministère de l'enseignement supérieur, nous avons obtenu les explications suivantes d'un collaborateur de la ministre Valérie Pécresse : ces dates des 20 et 26 avril ont été oubliées, lors de la mise au point de la circulaire fixant les dates religieuses protégées pour 2001 ; pour réparer cette omission, une première solution a été explorée, visant à changer les dates des concours, mais cela s'est avéré impossible ; c'est alors que l'autre piste, celle d'une composition décalée, a été choisie, à l'instar des dispositifs souvent retenus pour les concours passés par des étudiants ultramarins.
De l'entourage de la ministre, Mediapart n'est toutefois pas parvenu à obtenir d'explication sur le caractère secret de ce dispositif, et sur les risques de recours juridique qui pesaient du même coup sur tous les candidats.
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Clientélisme d'un côté, stigmatisation de l'autre
Mediapart a aussi cherché à entrer en contact avec tous les directeurs des grandes écoles concernées. Sous le sceau de l'anonymat, l'un d'eux nous a confirmé le dispositif et nous a indiqué que tous les directeurs des grandes écoles concernées étaient « vent debout » contre le dispositif et nous a aussi confirmé que l'Elysée en était à l'origine. Il nous a aussi fait savoir qu'au moins deux études juridiques avaient été sollicitées, dont une auprès d'un conseiller d'Etat, et que les deux concluaient à un risque juridique majeur. Notre interlocuteur nous a enfin précisé qu'à sa connaissance, un tel dispositif n'avait été utilisé qu'une seule fois, sous François Mitterrand, voilà environ deux décennies.
Et pourquoi l'Elysée prend-il ce risque ? Ou plutôt pour qui ? Aux organisateurs du concours, il a simplement été répondu que le chef de l'Etat accédait à une demande d'une organisation juive représentative, sans qu'aucun nom ne soit cité. Mais la conviction que partagent beaucoup de hauts fonctionnaires, qui sont choqués par cette initiative, est que la vérité est beaucoup plus simple que cela : aucune organisation juive représentative n'a officiellement formulé une telle demande ; c'est le chef de l'Etat qui, dans un comportement qui lui est familier – tartarinades et hochements de menton ! –, a voulu faire plaisir à un obligé du Palais, sans même réfléchir à la tempête qu'il risquait de déclencher. De la même façon qu'il fait plaisir, dans d'autres circonstances aux plus grandes fortunes dont il est le porte-drapeau... C'est tout bonnement, le sarkozysme ordinaire, la République privatisée au profit de quelques amis, de quelques proches...
Ce faisant, Nicolas Sarkozy joue avec le feu. Rompant avec les règles et les valeurs de la République, et faisant mine d'avantager secrètement une communauté – qui ne lui a rien demandé –, il prend le risque d'alimenter en retour des stigmatisations sinon même l'antisémitisme. Au sens propre comme au sens figuré, il empoisonne la vie publique. Pour plaire à un protégé du Château...
Car Mediapart a aussi interrogé le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), et la réponse que nous avons obtenue est conforme à ce que plusieurs hauts fonctionnaires nous avaient indiqué auparavant : le Crif n'a jamais formulé une demande de ce type. Comme toutes les organisations représentant la communauté juive, il sait qu'il s'agirait d'une demande aux effets pervers. Un cadeau indésirable!
L'onde de choc de ce plan secret de l'Elysée risque d'être violente. Car depuis des mois, Nicolas Sarkozy prétend qu'on lui fait un mauvais procès quand on lui reproche de stigmatiser les populations arabes. La réplique est toujours la même : Non ! C'est la République que le chef de l'Etat défend, et avec elle la laïcité. C'est la petite musique qu'il a, par exemple, fait entendre, le 10 février, lors de son émission sur TF1, face à un panel de neuf Français : « La vérité c'est que dans toutes nos démocraties, on s'est trop préoccupé de l'identité de celui qui arrivait et pas assez de l'identité du pays qui accueillait», s'est-il ce jour-là exclamé.
Avant d'ajouter : « Nous ne voulons pas d'une société dans laquelle les communautés coexistent les unes à côté des autres. Si on vient en France, on accepte de se fondre dans une seule communauté, la communauté nationale. Si on n'accepte pas cela, on ne vient pas en France.» «Nos compatriotes musulmans doivent pouvoir vivre et pratiquer leur religion, comme n'importe quel compatriote» d'autres religions, «mais il ne peut s'agir que d'un islam de France et non pas d'un islam en France», a encore dit Nicolas Sarkozy.
Avec le recul et au vu de cette histoire de concours secret, comment faut-il interpréter ces propos ? Ils sont en vérité assez transparents : le chef de l'Etat a une conception très élastique de la laïcité. Clientélisme d'un côté, stigmatisation de l'autre, l'Elysée instille le venin dans la vie publique.
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We all try. You succeed.
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