L'Antichrist a écrit :
Pour ceux que cela intéresse et pour faire simple (comme toujours sur un tel forum), le cynisme antique part d'une quête de l'identité comme le stoïcisme impérial. Le souci de la vie honnête est le souci de la bonne conduite à tenir, ce qui est corollaire de la connaissance de l'essence de l'homme. Quel est le devoir qu'un homme a envers lui-même ? Cette question en appelle une autre : qu'est-ce que mon Moi, c'est-à-dire quelle est mon humanité ? Il s'agit de connaître ce qui est soi (et pas seulement à soi) afin de mener une vie bonne. La connaissance de l'essence humaine est ce qui donne la règle pour vivre une vie honnête. Que nous apprend la connaissance de l'essence humaine ? Elle nous apprend que c'est dans la connaissance de notre véritable moi que nous pouvons atteindre notre nature d'homme. Tel est le fondement de la fameuse différence entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Mon moi, ma véritable humanité, ne réside pas dans la contingence des circonstances extérieures. Par conséquent, on peut faire la différence entre ce qui est indispensable à une vie proprement humaine et tout le reste qui est de l'ordre du superfu. Notre véritable identité réside précisément dans le strict nécessaire. Je ne suis moi-même que dans le maintien de mes conditions naturelles. Pour conquérir mon identité je ne dois pas me soumettre à ce qui ne dépend pas de ma nature : la richesse, les honneurs, la crainte de la mort, etc... En ce sens, les cyniques, comme les stoïciens, ne reconnaissent pas le bonheur dans la communauté des égos qui cherchent toujours inlassablement ce qu'ils appellent " bonheur " dans un monde de compétition permanente qui promet l'apothéose du moi (ex. leur haine de la mode). On peut considérer le cynisme comme une philosophie du bonheur et non une idéologie du bonheur. Il ne flatte pas la richesse, la force physique ou la beauté du corps : toutes ces choses ne dépendent pas de nous. Et c'est pourquoi les cyniques (surtout Antisthène) critiquent si sévèrement la société de leur temps. Celle-ci est celle des hommes qui ressemblent plus à des bêtes féroces qui luttent inlassablement pour le pouvoir, pour la gloire, pour la reconnaissance. Les hommes grouillent et se débattent dans la logique de l'avoir. Comment considérer " heureux " des êtres qui vivent dans la fuite permanente d'eux-mêmes ? Il n'y a pas d'hommes dans cette société où chacun vit prisonnier du regard d'autrui (cf. l'épisode de Diogène qui se promène de jour une lanterne allumée en disant " je cherche un homme " ). Aux yeux des cyniques, les hommes forment un asile de fous ou une réunion d'ignorants. Ils sont un ensemble d'esclaves qui ignorent leurs chaînes et qui aiment ce qu'ils détesteraient s'ils étaient conscients de leur état (d'où la figure de la lumière qui éclaire). Ils vivent donc dans un monde d'illusions. Mais jamais un éclair de lucidité ne pourra les effleurer parce que l'organisation de la communauté entretient cette illusion. Cela appelle deux questions : qu'est-ce que la société et pourquoi entretient-elle cette illusion ? La civilisation n'est que la forme monstrueuse des vices hypostasiés en habitudes collectives. En elle tout nous éloigne de la raison comme critère déterminant l'humanité : la culture n'est qu'une culture d'extérieur, d'apparence et d'apparat. Cette culture entretient l'illusion selon laquelle le plaisir et la peine sont constitutifs de l'essence humaine. Tout concourt à cette croyance et peut déboucher sur des constructions théoriques dont le point de départ est faux, comme l'épicurisme, ou des systèmes de pensée qui accordent une part trop importante au plaisir et à la peine, comme l'aristotélisme. Mais cela est une autre histoire... Qui a dit que la critique cynique de la société était encore, plus que jamais, d'actalité ?
Mais en même temps j'aimerai signaler les dangers et les excès de l'attitude cynique qui, refusant l'esclavage de la richesse, des lois et des conventions, sombre souvent dans la moquerie permanente envers la totalité de la civilisation. Il n'y a alors qu'un pas pour sombrer dans l'amoralisme, ce qui n'est certes pas le cas du stoïcisme !
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