Prends cette rose, aimable comme toi
Qui sers de rose aux roses les plus belles,
Qui sert de fleur aux fleurs les plus nouvelles,
Dont la senteur me ravit tout de moi.
Prends cette rose, et ensemble reçois
Dedans ton sein mon c?ur qui n?a point d?ailes,
Il est constant, et cent plaies cruelles
N?ont empêché qu?il ne gardât sa foi.
La rose et moi différons d?une chose
Un soleil voit naître et mourir la rose,
Mille soleils ont vu naître m?amour.
Ah ! je voudrais que telle amour éclose
Dedans mon c?ur qui jamais ne repose,
Comme une fleur, ne m?eût duré qu?un jour.
Marie, levez-vous, vous êtes paresseuse,
Jà la gaie alouette au ciel a fredonné,
Et jà le rossignol doucement jargonné
Dessus l?épine assis sa complainte amoureuse.
Sus debout ! allons voir l?herbelette perleuse.
Et sur votre beau rosier de boutons couronné,
Et vos ?illets mignons auxquels aviez donné
Hier au soir de l?eau d?une main si soigneuse.
Harsoir en vous couchant vous jurâtes vos yeux
D?être plus tôt que moi ce matin éveillée :
Mais le dormir que l?Aube aux filles gracieux
Vous tient d?un doux sommeil encor les yeux sillée,
Ça, ça ! que je les baise et votre beau tetin
Cent fois pour vous apprendre à vous lever matin.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, devisant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant,
Ronsard me célébrait du temps que j?étais belle.
Lors vous n?aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s?aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain :
Vivez, si m?en croyez, n?attendez pas demain :
Cueillez dès aujourd?hui les roses de la vie.
Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l?aube de ses pleurs au point du jour l?arrose :
La grâce dans sa feuille, et l?amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d?odeur ;
Mais battue ou de pluie ou d?excessive ardeur,
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose.
Ainsin en ta première et jeune nouveauté,
Quand le ciel et la terre honoraient ta beauté,
La Parque t?a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
RONSARD