"Pandora" (Albert Lewin, 1951).
ça commence très fort. ça se passe en Espagne (je me rappelais plus de ça, c'est même tourné là-bas). On voit au début des pêcheurs sur leur bateau, ils parlent dans un espèce de patois, on comprend rien mais c'est toujours ça de pris. Deux minutes après on est avec l'un des personnages principaux dans son bureau, on entend au loin du chant flamenco, la voix off parle d'une "chanteuse gitane" : on se retrouve illico dans une taverne flamenca, et on suit pendant une bonne minute un numéro de flamenco Rien d'extraordinaire, mais enfin ce sont des vrais (et d'époque), pas des américains déguisés en flamencos (la chanteuse-danseuse est créditée au générique : "La Pinilla" ou qqchose comme ça). A un moment la caméra recule lentement, se tourne vers la gauche : première apparition de Ava Gardner, elle est assise à une petite table, elle écoute puis applaudit (elle occupe tout l'écran, de profil). J'ai jamais vraiment accroché à Ava Gardner mais là véritablement elle dégage (et en plus, d'être là et d'apprécier ce qui se passe : total respect c'est si rare). Une minute après on la retrouve dînant attablée au milieu de son petit cercle, quelqu'un lui demande de chanter quelque chose. Je me dis non c'est pas possible c'est trop beau, mais si elle va s'asseoir à un piano et chante une chanson : c'est (ça enfonce facilement et à tous points de vue Laureen Bacall dans je sais plus quel Bogard, et même Ida Lupino dans "La femme aux cigarettes" ; cette même chanson de Ava sera reprise par Woody Allen dans "Annie Hall" : c'est celle-là que chante Diane Keaton dans son bar). Enfin tout ça en même pas 10 minutes
Ensuite ça baisse un peu, mais il y a d'excellents moments. Tout ce qui se passe avec le torero n'est pas mal, même si le personnage est une sorte de caricature (mais l'acteur est parfait, jusque dans la raideur un peu gauche du maintien - car ce torero, sorte de légende vivante, n'est pas né sur la moquette). Son numéro dans l'arène la nuit pour faire impression sur Ava est une pure torchonnade (Hemingway a du râler en voyant ça), mais la scène chez sa mère gitane qui tire les cartes est très bien, surtout quand la mère se mure dans le silence après avoir tiré les cartes au Hollandais Volant. Là le torero s'énerve, il balance à sa mère plusieurs phrases en espagnol, non sous-titrées : j'ai tout pigé (pourtant y causait vite)
Quand Ava craque pour le Hollandais Volant la pression remonte. Lorsqu'elle lui fait sa déclaration et que lui surenchérit, disant qu'il serait prêt à lui sacrifier son salut (selon l'adage "la mesure de l'amour, c'est ce qu'on est prêt à sacrifier pour lui" ), c'est
Extrait :
"Il y a quelque chose d'inexplicable, de mystique dans ce que je ressens pour vous. Comme si je vous avais toujours aimé, pas seulement dans cette vie, mais aussi dans d'autres vies, dont je ne me souviens plus. C'est comme si tout ce qui m'est arrivé avant que je vous connaisse, ne m'était pas arrivé à moi, mais à une autre. Dans un sens c'est vrai. J'ai tellement changé."
En réponse à ça le Hollandais sacrifie effectivement son salut : il l'envoie balader (gros plan embué de Ava). Car ce Hollandais Volant est condamné à l'errance perpétuelle à travers les siècles, pour avoir tué son épouse qu'il croyait infidèle (elle était innocente comme l'agneau) : seule pourrait le sortir de là une femme qui accepterait de mourir pour lui ; et Ava vient de lui dire (le Hollandais lui a posé la question) qu'elle mourrait pour lui sans hésiter. Enfin on finit par piger que Ava est peut-être ou sans doute une sorte de réincarnation de l'épouse.
A la fin, quand Ava qui se pose mille questions supplie son oncle (il a fait ami avec le Hollandais et est au courant de tout) de lui expliquer qui est vraiment ce Hollandais, quand elle lui dit "je t'en supplie, je suis perdue" etc, c'est véritablement (là encore gros plan embué de Ava, Lewin les assène tels des claques). Ayant tout compris elle finit par rejoindre le Hollandais sur son bateau : il n'ont qu'un tout petit moment à passer ensemble, Ava voudrait davantage mais le Hollandais lui fait comprendre que le temps n'a rien à voir là-dedans, qu'il est plutôt question de choses éternelles, enfin sans rapport avec l'écoulement du temps, un seul petit moment débouche sur l'éternité si ils sont tous les deux réunis : c'est parfait. Le Hollandais lui montre le petit portrait de sa femme, assassinée au XVIIème : c'est très exactement Ava Gardner.
Ce film avance précédé d'une réputation mythique, comme auréolé de mystère, mais finalement il est peut-être sous-estimé : les commentateurs en restent souvent à une appréciation esthétique, s'extasiant par exemple sur la beauté de la photo en Technicolor (même Jacques Loucelles dans son excellent "Dictionnaire du cinéma" paraît faire un peu du balayage de surface). En tous cas ça va bien plus loin que ce qu'une première vision il y a longtemps pouvait me laisser penser...
Ava avec le Hollandais dans son bateau.
Ava avec ce qui semble être la robe jaune de "Pandora".
Message édité par rogr le 11-02-2004 à 00:31:56