apparement télérama a deux avis sur ce film (vu sur www.telerama.fr ) mais au final ils ont mis un petit
Dolls
Trois contes sur l'amour, de Takeshi Kitano, tragiques et (un peu trop ?) esthétiques.
Pour : Noire beauté
Après avoir promis le mariage à une autre, le jeune homme s'apprête à épouser la fille du patron. « Un vrai Cendrillon moderne », ironisent ses amis, mi-admiratifs, mi-jaloux. Mais juste avant la cérémonie, Matsumoto apprend que Sawako, la rejetée, a tenté de se suicider.
Le jeune homme se précipite à son chevet, implore son pardon. Trop tard : il a fait un choix qui ne souffre ni remords ni regrets. Il couve, désormais, cette jeune femme, plus morte que vivante, sans souvenirs, d'une tendresse inutile. Il ne la quitte plus. Ils se clochardisent ensemble. Puis ils échappent définitivement à la logique, à la raison, à la vie. A jamais liés par une corde rouge qui empêche la femme de s'éloigner, ils errent dans des lieux où ils se perdent.
Au début de Dolls, on assiste à une représentation du théâtre bunraku. Rituel immuable : un narrateur joue tous les rôles, trois artistes, dont deux masqués, animent des figurines de bois qui « miment » l'histoire. A la fin de la séquence, Kitano montre ces marionnettes un homme et une femme comme libérées de leurs maîtres, presque vivantes.
A la fin de Dolls, il filme Sawako et Matsumoto, ces amants maudits, ces « mendiants errants », comme s'ils étaient des personnages d'une pièce de bunraku. Ils en ont revêtu les costumes somptueux et, au bout de leur quête irréelle, ils se trouvent, brusquement, face à ceux qu'ils étaient, quelque temps auparavant. En ce temps-là, Sawako souriait. Matsumoto la regardait. Les amis fêtaient leurs fiançailles. Lui n'avait pas encore trahi, elle n'avait pas fui dans la folie : le bonheur était encore là, possible, palpable...
Sawako et Matsumoto ne sont pas les seules énigmes vivantes de ce film d'une étrange beauté. Un vieux yakuza malade se souvient, brusquement, d'une jeune femme qu'il avait abandonnée, il y a longtemps, très longtemps, pour faire fortune. Lorsqu'il l'avait quittée, elle lui avait fait une promesse. L'aurait-elle respectée, toutes ces années ? Une jeune chanteuse pop, victime d'un accident qui l'a à moitié défigurée, décide de ne plus voir personne. Son fan le plus fidèle va user d'un terrible stratagème pour l'approcher...
Mais, semble nous dire le réalisateur, aucune ruse ne saurait éviter à l'homme de se fracasser contre ses rêves. Même si l'espoir naît, entre deux êtres, il ne saurait qu'être à leur image : éphémère et mortel. Dans Dolls, contrairement à la plupart des films de Kitano, la violence ne s'extériorise jamais. Pas de corps criblés de balles qui tressautent comme dans un ballet. Quand il y a un règlement de comptes, la caméra arrive après la bataille. Elle cadre une porte d'ascenseur qu'un cadavre empêche obstinément de se fermer. Il y a bien un meurtre, aussi, mais Kitano ne montre que l'oeil étonné de celui qui va mourir.
La brutalité est là, pourtant, et partout. Dans l'intrigue de la pièce de théâtre de marionnettes. Chez les personnages, dont les actes, même les plus insignifiants, font naître, en eux et chez les autres, des abîmes de douleur et de chagrin. Et la nature qui pourrait les délivrer les enferme, avec ces champs de roses rouges (une seule est blanche, comme un défi), ces arbres dont les feuilles semblent en sang, ces forêts automnales splendides... Loin d'être gratuite, la beauté, omniprésente, devient monstrueuse. Une prison dont on ne s'échappe pas.
Davantage encore que Sonatine et Hana-Bi, qui restent, jusqu'à présent, ses films les plus réussis, Dolls révèle un moraliste encore plus noir qu'on ne le croyait. Presque terrifiant. Assez proche du vieux petit juge qui, dans Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, raccompagnait Bourvil à la porte de son bureau en lui révélant la philosophie de sa vie : « N'oubliez pas : les hommes sont toujours coupables. Tous. »
Pierre Murat
Contre : Surdose de style
Dans Sonatine, Kids Return ou Hana-Bi, la veine sentimentale de Kitano affleurait de loin en loin, à la surface d'un bain d'ignominie, incidemment, comme un secret encore bien gardé. Ce qui faisait sa beauté et son prix. Si l'on excepte la parenthèse américaine de Aniki, mon frère, cette veine sentimentale est devenue, avec L'Eté de Kikujiro, la nouvelle marque de fabrique du cinéaste, auparavant identifié à la violence yakusa. Dans Dolls, Kitano franchit un cap : le sentimentalisme s'affiche comme tel, envahit tout, et évoque un fonds de commerce, un capital géré par un réalisateur internationalement établi, mais n'ayant cette fois pas grand-chose à dire.
Trois petites histoires au lieu d'une qui lui tiendrait à coeur. Trois contes au tragique forcé et en vase clos, assemblés au nom d'un concept un film sur l'amour éternel. Peut-être en va-t-il des sentiments comme de la luxure : plus on s'en réclame ouvertement, plus on s'en éloigne. Alors tout un arsenal décoratif et culturel vient pallier cette carence de vie. Kitano se place sous un triple patronage ultra-chic, nipponissime, idéal pour l'export : Yamamoto aux costumes, Chikamatsu, le « Shakespeare japonais », pour l'inspiration littéraire, et, enfin, le théâtre de marionnettes bunraku comme alibi supérieur à l'apathie mécanique des personnages. Mais ce folklore raffiné et la surdose de style qui va avec renforcent l'impression d'avoir affaire à un cinéaste institutionnalisé, additionnant les « atouts » en vain, et finalement absent à son film
Louis Guichard
Message édité par mko le 30-04-2003 à 22:00:21
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