l'Antichrist | balsamo a écrit :
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-Pour Leibniz, non seulement le mal existe mais il est nécessaire.
Dieu, bien que transcendant, n'est pas tout puissant, il est soumis a la nécessité. Il a crée ce monde, le meilleur possible ( ou plutot le moins mauvais), parmis une infinité de mondes possibles.
Il a tout calculé dans ces moindres détails mais: " dans ce monde il ne peut faire que 2 et 2 ne font pas 4".
Il est soumis a la logique en somme.
Le mal est nécessaire pour que le bien existe.
Par exemple, presque tout le monde sera d'accord avec l'idée selon laquelle le Bien consiste a ce que tous les etres soient heureux , mais pour qu'un prédateur soit heureux, il lui faut des proies. Et pour rester trivialement parmis les humains, certains diront qu'ils seraient heureux de pouvoir s'acheter telle ou telle chose a moindre prix, mais pour que les prix baissent il faut que les ouvriers qui produisent ces choses soient moins payés: Riches et Pauvres, exploitants/exploités ....
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La doctrine Leibnizienne c'est un peu pareil, elle exclue l'amour car elle ne permet pas de "s'engager".
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Bon, continuons notre petit exercice de correction historique et philosophique et, corrélativement, de clarification conceptuelle : le système de lharmonie préétablie suppose la solidité de sa clé de voûte, à savoir lexistence dun Dieu qui a conçu lunivers (qui a connu davance toutes les circonstances futures). Cette supposition est-elle plausible ? Peut-elle se concilier avec le Mal et avec la liberté humaine ? Ruine de la morale ou pas ?
Chez Leibniz, lentendement de Dieu représente de toute éternité un certain nombre de choses : dabord tous les types dobjets possibles réalisés ou réalisables ; ensuite tous les individus qui peuvent être créés sans quil en résulte une contradiction ; ensuite tous les mondes possibles (il y en a une infinité, combinaisons complexes de "compossibles" où chaque individu a son histoire inscrite davance) ; ensuite toute la série des vérités éternelles. Tout cela pris ensemble forme lobjet propre et perpétuel de lentendement divin.
La volonté de Dieu passe par deux états quon peut séparer par abstraction : volonté antécédente et volonté conséquente. La volonté antécédente de Dieu est orientée vers le Bien absolu. Ce bien, Dieu le réaliserait immédiatement sil nétait pas déjà réalisé par cela seul que Dieu existe. Dieu ne saurait vouloir se produire à nouveau lui-même puisquil existe par la nécessité de sa nature, il prend la décision de choisir parmi les mondes que son entendement lui présente possibles le meilleur monde. Cest ce que Dieu fait par sa volonté conséquente. Tous les possibles prétendent à lexistence en raison de leur perfection même. Dieu permet au plus parfait de passer de la simple possibilité à lexistence comme léclusier en ouvrant sa vanne détermine lécoulement de leau. Là réside le principe même de loptimisme leibnizien : nous vivons dans le meilleur des mondes possibles.
Comment alors expliquer lexistence de ce mal que nous constatons dans le monde, mal métaphysique, physique, moral ?
Le mal métaphysique : cest seulement limperfection physique, intellectuelle et morale des créatures. Cette imperfection-là, du moment quil décidait de créer un monde, Dieu ne pouvait pas léviter. Le propre de la créature est de nêtre pas Dieu. Donc elle est imparfaite et cest bien ainsi...
Le mal physique : cest la douleur avec toutes ses formes. La liaison des objets et des événements est si étroite que certains dentre eux seraient impossibles si certains autres nétaient pas réalisés. Doù la nécessité pour produire un grand bien de tolérer un ou plusieurs maux qui en sont la condition. Comment avoir les effets heureux du travail sans la douleur de leffort ? La souffrance est nécessaire à la production dun bien supérieur. Tout cela, vous l'avez fort justement dit.
Le mal moral : cest le péché avec tous ses degrés. Dieu linterdit et nous fait un devoir de nous en abstenir. Mais entre deux maux il a du choisir le moindre : ou ne pas créer ou créer à condition daccepter des fautes morales (condition du meilleur monde possible). De toute façon, la faute est heureuse qui nous vaut Dieu comme Rédempteur...
Problème : il faut prouver, sans renoncer à la théorie de lharmonie préétablie, comment lhomme créé par Dieu, cet homme criminel, peut rester punissable devant Dieu. Ni Dieu ni lhomme nont un libre-arbitre. Cela est inconciliable avec les principes de contradiction et de raison suffisante. Rien qui nest sa raison dêtre. Donc pas daction qui ne soit déterminée. Prenons un homme : il a un certain caractère que Dieu lui a donné pour ses fins. Le libre arbitre est une illusion et Spinoza a raison : si nous croyons au libre arbitre, cest parce que nous ignorons les causes qui déterminent nos actions. Comment deslors concilier liberté et déterminisme ?
C'est là que prend place la théorie de laction volontaire : "Les motifs inclinent sans nécessiter". Les motifs inclinent la volonté. A mesure que lesprit réfléchit sur un acte, la volonté se porte vers son exécution ou sen éloigne. Elle renonce à ce que lentendement lui représente comme totalement ou relativement impossible. Elle tend à accomplir ce qui lui apparaît bon, à éviter ce qui lui apparaît mauvais au divers sens de ces deux mots. Sa détermination est ainsi la manifestation du désir qui après fluctuation sincline dans un sens défini.
Mais si les motifs "inclinent" la volonté, ils ne la nécessitent pas. Il y a une certaine nécessité que le monde soit ce quil est mais elle nest ni mathématique ni métaphysique : elle est morale. Cest seulement dans la mesure où il est bon que le monde soit ce quil est quil existe comme il est. Cest seulement dans la mesure où il était bon pour lensemble des choses que certains motifs sollicitent et déterminent mon vouloir comme ils le font que jagis comme jagis. Le pécheur est libre et Dieu ne change pas la liberté de son action : il est donc coupable, ce pécheur !
Tentons de rendre les choses encore plus clairement par l'analyse conceptuelle du possible, du probable, du contingent qui font varier la notion dexpérience. 1) La grande différence entre Leibniz et Descartes sur ce point est que le premier rattache sa conception du possible à une logique incrée, le second à une logique créée. Dans les deux cas, possible signifie : qui nimplique point contradiction, mais chez Descartes cela sentend dans notre pensée, et chez Leibniz dans lêtre. Chez Descartes, Dieu nest soumis à aucune loi, et les idées nont pas par elles-mêmes dactivité formalisatrice. Le passage de notre possible au réel sarticule sur la foi en la véracité divine (cest-à-dire un don gracieux de la divinité). Cela interdit à Descartes daffirmer la rationalité du réel. Doù un double constat en apparence paradoxal chez Descartes : le possible est de moindre extension que le réel, par rapport à linfinie réalité; mais il est dextension supérieure, en tant que notre entendement peut être la mesure du réel (lâme est cause de la représentation du monde). Il y a deux possibles : celui dune cause possible, déduit de certains effets constatés (et les possibles sont alors en nombre infini) ; celui dun effet possible, induit à partir de causes constatées (et alors lesprit affirme sa supériorité).
Conclusion : lorsquun système hypothético-déductif se complexifie en étant cohérent et conforme à lexpérience, on est en droit de considérer que ses conclusions sont vraies (mais ce nest quune certitude morale, laquelle nest élevée au rang de certitude physique que par la médiation de la véracité divine : cest elle qui tient la place de la logique incrée, absolue, que Descartes refuse).
Leibniz soppose radicalement à cette vision du monde : sa logique est incréée, et Dieu ne crée plus les essences, lesquels tendent deux-mêmes à lexistence. Le réel est donc rationnel par soi, et sexprime entièrement dans la connaissance. Si tout se fait mécaniquement, ce nest quau niveau phénoménal : létendue et le mouvement sont des phénomènes bien fondés sur la nature des monades qui relèvent de lâme. Lidée réelle des essences en Dieu comprend un situs et un choix (qui enveloppe donc la contingence). Ainsi, pour toute monade, quel que soit son état de développement, une cause est aussi une raison. Le réel ne dépasse pas le possible dans la mesure où il nen est que lactualisation - et quand à notre connaissance, si elle est bornée ce nest quintensivement (et pas extensivement comme chez Descartes). Nos possibles en revanche peuvent dépasser lexpérimentable parce quils comprennent plus de compossibles quil nen est effectivement porté à lexistence. Doù une différence radicale dans la compréhension de lactivité rationnelle : elle consiste à expliciter chez Leibniz et à reconstruire chez Descartes. Tous deux ont cependant besoin de lexpérience pour combler lécart entre la généralité des possibles et la singularité du réel. Cependant elle na pas le même sens : chez Descartes, elle est une facilité que soffre le géomètre face à une déduction récalcitrante, se permettant de considérer le problème résolu pour repartir des figures quil aura suggérées (rôle déductif de lexpérience) ; chez Leibniz cest léchec du logicien qui exige un recueil des faits dont le classement fera de lui-même surgir un ordre (rôle inductif de lexpérience).
2) Nous navons cependant pas épuisé la notion de possible : sa notion renvoie à celle de contingence. Chez Descartes, le contingent institue le possible dans la mesure où notre logique est elle-même crée, donc contingente ; chez Leibniz, le possible contribue à fonder le contingent (chez les deux, le contingent définit lexistentiel). Chez Descartes, la contingence dépend de la volonté : celle de Dieu qui crée essence et existence de façon arbitraire. La volonté (divine comme humaine) est un coup de force qui bouleverse lordre en cours : la vérité sinstalle dans linstant actuel, elle est discontinue, et cette discontinuité est inhérente au volontarisme. Ce qui signifie que Dieu aurait pu sans contradiction créer un monde absolument différent, cest-à-dire impensable pour notre logique ; tandis que cest impossible chez Leibniz, pour qui Dieu aurait pu créer un monde relativement différent mais toujours soumis aux mêmes lois logiques (puisquelles sont éternelles). Chez Descartes, la possibilité de lois scientifiques nest garantie que par le fait que nos possibles sont les possibles de ce monde (le monde est logiquement, cest-à-dire légalement, exprimable, parce que la physique et les mathématiques ont été concréées). Cependant lintuition comme critère de la logique nous empêche de décrire notre raison comme un ensemble de principes, et de nous appuyer sur une logique de linfini.
Chez Leibniz, un être doit pour exister être possible, cest-à-dire ne pas impliquer contradiction, donc impliquer la série totale, infinie, de ses prédicats. Or, il nest pas contradictoire quun être semblable, mais non identique, existe (différant par quelques détails infimes), mais un tel être ne serait pas compris dans la même série : le fondement de la contingence, cest le principe du choix du compossible, cest-à-dire le principe du meilleur. Aucun terme nest transportable dun compossible à lautre, parce que chaque ensemble est réglé de façon interne par lexpression qui lie tous ses termes de façon nécessaire. Lexpression implique donc que "tout conspire", cest-à-dire que linfinité des prédicats de chaque substance corresponde au contexte dune infinité de substances. De plus si tout se tient, ce nest pas seulement dans linstant : lentrexpression toute spirituelle affirme le principe de continuité dans le temps (le repos absolu est impossible). Cest à partir de ces considérations que Leibniz critiquera les lois cartésiennes du choc. Descartes en effet, puisquil admet la discontinuité spatiale et temporelle du mouvement, sinterdit de lier par une variation continue la réalité de la cause à celle de leffet : il manque ainsi dun principe dordre (cosmos) pour la nature, au lieu que le cosmos de Leibniz est un tout parfaitement déterminé, composé de monades dans lesquelles la perception renferme une multiplicité dans lunité. La logique de la contingence, par le biais de cette infinité représentée dans la perception, débouche donc sur cette constatation : lanalyse dune vérité existentielle est interminable (le tout fini du monde réel enveloppe un infini de série). Les vérités de fait exigent donc leur propre principe logique qui surmonte cette interminabilité : le principe de raison suffisante en tant quil englobe une connaissance finie de linfini sériel par sa raison (au sens mathématique). La contingence qui avait sa racine dans le choix divin la retrouve ici dans le principe de raison suffisante, en tant que raison de ce choix : cest le principe du meilleur, cest-à-dire la considération des causes finales. Dieu considère, ou bien des essences générales, dont lanalyse est terminable et ramenable à la maxime du non-contradictoire comme rectrice du possible, ou bien des essences particulières, dont lanalyse nest pas terminable, et qui non seulement se soumettent au non-contradictoire mais encore au principe de raison suffisante, lequel renvoie chez Dieu à un jugement de perfection. Autrement dit, la contingence nest compréhensible quen référence à la volonté divine (or, chez Descartes cette volonté satteint par analogie avec la volonté infinie de lhomme, mais lanalogie nest que partielle puisquen revanche seul Leibniz ramène cette infinie puissance de vouloir à la considération de son motif : chez Descartes, elle est créatrice de ses motifs ; chez Leibniz, lidée elle-même est active et le jugement nen traduit que lordre). Différence radicale : chez Descartes, nous ne pouvons pas même savoir si Dieu choisit, et à supposer quil choisisse nous ne pouvons pas dépasser la considération de linspiration divine comme raison du choix. Chez Leibniz, cette inspiration est réflexion : le devoir moral et religieux nous oblige à affirmer que Dieu choisit, et nous devons distinguer entre la détermination du meilleur (entendement) et le choix du meilleur (volonté).
Le principe du meilleur implique lidée de perfection, qui est compréhensible comme quantité dessence, cest-à-dire (en tant quon considère lessence comme fons prædicatorum) comme le maximum de variété dans lharmonie. Cest la volonté, concernant les faits, qui exige le principe de finalité (alors que selon lenseignement dAristote la finalité est absente des mathématiques). Les éléments de la perfection ainsi visée par Dieu ne sont pas eux-mêmes parfaits, mais leur agencement est le plus parfait possible (comprendre : le possible le plus parfait, parce que la formule nest pas restrictive). Descartes voudrait pour juger de la perfection de loeuvre divine pouvoir considérer dun coup dil (intuitif / instantané) toute la collection des êtres ; Leibniz se contente den considérer lharmonie telle quelle sexprime dans la perception de chacun dentre eux. Enfin, si la volonté implique le jugement, le jugement nimplique pas la volonté : il ny a quune liaison synthétique (contingente) entre le jugement du meilleur et sa création, qui ne relève plus de la nécessité logique mais de lobligation morale ; la perfection métaphysique sachève en perfection morale.
3) La finalité serait donc la racine de la contingence (ou, pour mieux le dire : la finalité sauve la contingence en introduisant une nécessité morale là où il ny avait plus de nécessité logique ; ce qui revient à dire que la finalité est la racine de la compréhension de la contingence), parce que le jugement incline la volonté mais ne la nécessite pas. Elle est donc déterminée par la considération dun modèle (les anciens avaient dans ce domaine réussi à concilier lexigence dun cosmos avec la pensée de linfini en adoptant la forme du cercle ; Leibniz a dautres ressources grâce à la géométrie des infinis). Pour Leibniz, non seulement le monde est une fin de Dieu, mais de plus la finalité sarticule sur lorganicité structurelle de lunivers, laquelle implique non seulement la pluralité mais aussi la diversité absolue assurée par lindividualité de chaque monade (principe des indiscernables : chaque monade est une comme totalité/série infinie de prédicats). Cest pour cette raison que lon ne peut constituer un monde à partir de la seule considération dune masse étendue, dont les parties sont identiques comme les lieux du mouvement qui lanime, parce qualors la force nest plus que comme attribut externe et il ny a plus de différence interne entre un corps en mouvement et un corps en repos. Le mécanisme leibnizien ne prend ainsi son sens que repris dans le finalisme. Dautre part, en plus de la considération du choix divin et de lorganicité, la finalité exige que lorganicité soit celle dune totalité : cest pourquoi le monde de Leibniz est plein, parce que le vide métaphysique serait aussi un vide logique, cest-à-dire une indétermination qui fausserait la signification de lensemble. Cest également pour cette raison que lidée dune monade qui ne percevrait pas toutes les autres est contradictoire : un ensemble bien défini ne peut contenir déléments étrangers à la loi qui le définit. Lensemble des effets (toutes les perceptions de toutes les monades) équivaut à la cause entière. Au contraire, si tout se tient chez Descartes, ce nest que par la communication du mouvement dans la matière étendue (qui exclut les propriétés dune âme). Le principe de continuité efface cette distinction parce que Leibniz envisage le phénomène de la force comme étant à la fois analogue de lâme et source du mouvement. Ainsi est fondé le principe de lordre général : cest comme unicité et variété de cet ordre que Leibniz pense loptimum : le plus déterminé devient pour la volonté divine le plus déterminant. Cest par un argument dordre que Leibniz critique les lois cartésiennes du choc et de loptique, argument qui est étayé par la considération des causes finales, que Descartes a dédaigné en physique (puisquil se préoccupe autant ou plus de mesure que dordre : or seul ce qui est susceptible de dernier degré est susceptible de perfection, ce qui exclut le nombre et la figure). La perfection ne peut donc pas être un maximum quantitatif, mais un optimum qualitatif (indifférent au grand et au petit) : un dernier degré comme plénitude de lessence. Cette perfection globale nimplique cependant pas la perfection de chacune des parties du tout, mais seulement sa détermination maximale eu égard au tout : ainsi le monde est absolument le plus parfait des possibles, et non le moins mauvais relativement.
Deux modes dexplication du monde sont alors possibles : en expliquant le tout par les parties, on met en avant les causes efficientes ; en expliquant les parties par le tout, on met en avant les causes finales. Mais il ne suffit pas de parler de totalité organique pour décrire une fin : il faut également prendre en compte le but à atteindre, cest-à-dire lorganisation du futur. La dynamique de Leibniz prend tout son sens en tant quelle ramène le principe de finalité dans la monade, comme formalisme. La monade réhabilite en effet la théorie (aristotélico-scolastique) des formes substantielles : toute substance est en effet forme comme analogue de lâme (et pas comme esprit puisque ce terme est réservé aux substances morales). Une forme est une fonction (et non pas une machine intégrée à une fabrique, comme le décrit le pur mécanisme). Cela ne signifie pas que le mécanisme soit inopérant : il décrit en effet une "version" de la réalité sous un certain point de vue. Cependant, on ne doit pas oublier que la machine artificielle se différencie de la machine naturelle par ce que la seconde est organisée à linfini, et unifiée de façon interne par la causalité finale, ce qui ne saurait avoir lieu dans les machines de lart. Cest lunité formelle qui commande et permet la finalité interne du vivant, subordonnant ainsi le mécanisme (compris comme règne de la nature, sive des causes efficientes) au finalisme (compris comme règne de la grâce, sive des causes finales). Cest cette unité de la finalité au mécanisme qui échappe à Descartes.
Si tout est ainsi lié comme entrexpression, le temps lui-même est continu : le présent est chargé du passé et gros de lavenir, parce que le temps nest que le point de vue (lordre) sous lequel les substances déploient la série infinie de leurs prédicats. Ainsi, de même que Dieu, qui à proprement parler nexiste pas (il est), se trouve hors du temps comme cause de la série mondaine, de même (analogiquement) la monade est atemporelle par rapport à la série de ses prédicats, puisquelle les contient tous analytiquement, et quon pourrait la déplier dans linstant si elle ne déployait pas elle-même cette série dans le temps. Le temps est donc lexpression (lordre) de lactivité substantielle (doù limpossibilité du repos absolu). Chez Descartes, linstant de la création, qui est commencement et continuation du temps, nest pas lui-même temporel : il est éternité, cest-à-dire immutabilité qui conserve (par exemple la quantité de mouvement). Descartes ne joint pas à ce principe de permanence les principes du changement, et ne peut donc plus remonter du mouvement à la force. Ce nest dailleurs que par Dieu que la continuité du temps (y compris pour mes différents états de conscience, puisque le cogito et en général lévidence ne vaut que dans linstant de lintuition) est assurée. Cette durée est non finalisable. Dieu, chez Descartes, conserve parce que ne pas conserver serait une imperfection morale, une inconstance en référence au volontarisme qui définit la théologie cartésienne. Le temps se confond chez Descartes avec la création librement (au sens darbitrairement) continuée, alors que chez Leibniz il est un ordre de rapports logiques que la création a organisé une fois pour toutes (lharmonie est préétablie). Ainsi le mouvement chez Leibniz ne pourra pas être expliqué en vertu du seul principe de changement de position locale : il faudra aussi considérer ce qui dans le mû est force de changement. Cest pourquoi, un corps mû est réellement différent de ce même corps en repos. La force vive (ou motrice), dont mv nest que la différentielle, exprime quelque chose de métaphysique qui échappe à la géométrie, et qui justifie le rétablissement des formes substantielles scolastiques.
En bref : le monde ne peut être fin pour Dieu que si celui-ci propose un modèle achevé à sa volonté (alors que Descartes en fait une puissance brute qui produit sans modèle un monde indéfini); mais le modèle organique (intégration réglée dune infinité de parties, qui définit loptimum) ne suffit pas, il faut lui adjoindre la considération du monde comme but. Cest ainsi que se découvre un principe dordre général qui contredit Descartes selon lequel les fins de Dieu sont impénétrables (ce qui nest vrai en fait que des fins particulières). Le point central du débat est le suivant : il est impossible pour Leibniz daborder létude du monde sans des principes architectoniques.
Dieu étant parfait, ne peut-il pas vouloir un autre monde ? Cette difficulté invite Leibniz à distinguer trois sortes de destinée : de Mahomet, des Stoïciens et des Chrétiens. La destinée mahométane est un fatalisme accompagné du sophisme paresseux. Devant sa maison qui brûle, le mahométan ne fait rien et attend que la volonté dAllah se réalise en brûlant tout ou en sauvant une partie de la maison : il remercie. Le Stoïcien sait que le destin sait que la maison brûlera ou pas. Ne connaissant pas le livre du destin, il jette de leau pour éteindre. Si lincendie continue quand même, il se résigne sans joie. Cest dans le christianisme que réside la vérité : le chrétien se demande en toute circonstance ce qui est conforme à la volonté présomptive ou antécédente de Dieu. A la lumière des axiomes moraux, il agit comme il pense que Dieu veut quon agisse. Ensuite, il se résigne sil na pu empêcher et remercie Dieu en se réjouissant de ce qui est arrivé.
Dieu est un maître mais surtout il est un bon maître. Sans doute, la vie a des instants pénibles mais chaque Monade étant sans parties est indécomposable. Aucune ne peut périr naturellement. Nous pouvons donc croire à limmortalité des âmes. Les découvertes microscopiques viennent de révéler des semences animales (les animaux spermatiques). Nous existons sous cette forme avant notre naissance. Nous existerons sous une autre forme après notre mort. Notre destinée éternelle sécoule ainsi dans des alternances qui nous amènent tantôt sur un grand, tantôt sur un petit théâtre. Doù la possibilité et la certitude, au cours de ces métamorphoses, du châtiment pour les criminels, et de la béatitude pour les honnêtes gens.
Sous le fumier de la scolastique, de lor était caché. Dans chaque philosophie, il y a quelque chose de bon à prendre. Dans latomisme, dans le cartésianisme, dans le thomisme. Leibniz prend le bon et corrige le mauvais. Logiquement, il aboutit à lentière vérité. Est-ce si sûr ? Notre monde est-il le meilleur monde possible ? Voltaire a répondu en évoquant les aventures lamentables de Candide et du philosophe Pangloss. Le système de Leibniz est-il la vérité : avec les Monades, lharmonie préétablie, la nécessité non mathématique mais morale, la responsabilité de lhomme face à Dieu, linnocence de Dieu créateur dune création non nécessaire ? |