Prise de conscience en Algérie...
... où vont avoir lieu des "élections législatives" le 17 Mai 2007.
Que représente un député???
Le «Nom» du peuple est-il la somme des prénoms De Ses Députés?
par Kamel Daoud
La campagne électorale a démarré. Son but est Alger, son ballon c'est le peuple, son arbitre est un joueur et il n'y a pas de gardien. Question de fond : que représente un député ? Réponse : lui-même, rien du tout, le Peuple ou l'Etat.
Procédons par élimination. Un député ne représente pas lui-même sinon l'Etat n'aurait pas mis son nez dans les listes, « interdit » certains candidats, certains partis et certaines listes d'indépendants. Un député est choisi avant les élections justement parce qu'il représente plus que sa personne et moins que ce qu'il pourrait croire.
Un député ne peut pas donc aussi représenter « rien du tout » parce que justement lorsqu'on regarde ce pays de loin ou de près, on comprend aisément qu'un député c'est un enjeu : sinon, rien n'explique la férocité de la bataille des listes, les dissidences partisanes, les recours administratifs, les frustrations, l'appel à l'abstention du FFS et du MDS et les dépenses de la campagne électorale.
Par ailleurs, un député ne représente pas le Peuple. Le Peuple sait, les députés le savent, l'Etat le sait et il n'y a que l'urne qui garde sa bouche ouverte comme un imbécile. Car, si un député est voté par le peuple, il n'est jamais élu par le peuple ni pour le peuple.
Lorsqu'il est tête de liste, un député représente Alger dans la ville qu'Alger lui a choisi. Lorsqu'il n'est pas tête de liste, un député représente l'image que se fait le peuple d'Alger - expression choisie par Ronald Rumsfeld lorsqu'il adressa ses remerciements à l'Algérie à l'occasion de sa visite historique - du reste de l'Algérie.
Dans ce sens, on comprend confusément que c'est le peuple qui représente le député et pas le contraire. Concrètement, un peuple représenté est un peuple doublé. Le Nom du peuple n'étant jamais la somme exacte des prénoms des gens qui le composent, il s'en suit que dire qu'un député représente le peuple, c'est dire qu'il va parler au nom du peuple avec son nom à lui.
Reste la dernière hypothèse d'analyse : un député représente l'Etat. Là, il est possible d'être d'accord. Car l'Etat étant quelque chose de fort et d'abstrait, il lui est nécessaire de démonter sa force en choisissant lui-même les députés et de corriger son abstraction en s'incarnant sous forme de députés visibles capables de rendre visible les choix qu'il a fait. C'est complexe, mais c'est vrai.
Au final d'une course, tout le monde peut voir dans la composition d'un parlement les véritables intestins d'un Etat, ses rapports de forces, ses fonctions alimentaires, ses courants forts, sa façon de se maquiller, ses tendances intimes et sa conception de l'esthétique vestimentaire. Une chambre de députés « habille » un Etat autant qu'un costume peut rendre visible l'homme invisible. Ainsi, on comprend que le choix des députés est un choix de représentativité de l'Etat aux yeux du Peuple.
Dernière question : pourquoi l'Etat tient-il tant à organiser des élections donc ?
Un : parce que, entre l'Etat et son peuple, on ne peut faire des enfants qu'à deux.
Deux : si on laisse le Peuple choisir seul, il va choisir non seulement d'autres députés mais en plus un autre Etat, sinon, un autre pays, sinon une autre planète.
Trois : parce que cela donne au Peuple l'illusion qu'il a choisie et à l'Etat l'illusion qu'il a gagnée, une règle universelle pour les mariages qui doivent durer.
Quatre : parce qu'il y a les voisins, surtout les Blancs d'en face qui vont dénoncer l'illégitimité du couple si les élections ne sont pas organisées.
Cinq : parce que si on ne peut pas inviter tout le monde à Alger, au moins inviter cycliquement certains pour faire cesser l'exode.
Six : parce qu'une chambre vide est une chambre triste.
Dans tous les cas, il faut reconnaître à l'Etat la vertu de la sincérité : l'Etat a toujours dit que c'est lui qui organise les élections et « organiser » des élections c'est ne pas laisser faire n'importe quoi et élire n'importe qui.
Le quotidien d'Oran... un journal humoristique.