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Etudiants étrangers : portraits de "nouveaux sans-papiers"
LEMONDE.FR | 23.01.12 | 09h09 • Mis à jour le 23.01.12 | 09h13
Elles s'appellent Kahina, Ekaterina et Lina. Venues de Russie et d'Algérie pour étudier en France, elles ont suivi un parcours d'excellence dans les domaines de la biologie, de la linguistique et de l'ingénierie informatique, qui devait les mener sur la voie de la professionnalisation. Sans jamais rencontrer de difficultés administratives.
Jusqu'à la circulaire Guéant du 31 mai 2011 qui, imposant des critères plus restrictifs à l'accueil des étudiants étrangers en France, a fait de leurs démarches un véritable "calvaire". Ni étudiantes ni salariées, elles appartiennent désormais, selon l'une d'elles, à "la nouvelle catégorie de sans-papiers". Elles se battent aujourd'hui pour contester le refus de renouvellement de leur titre de séjour et éviter une expulsion "humiliante". Avec l'espoir que la circulaire atténuée présentée par le ministre de l'intérieur le 4 janvier et signée le 12 janvier permettra la révision de leur situation.
Ekaterina Tyunina, 26 ans : "Ni étudiante ni salariée, je suis un fantôme"
Ekaterina Tyunina, 26 ans, est venue de Russie pour étudier en France en 2006. Elle se bat aujourd'hui pour pouvoir poursuivre sa formation professionnelle en France.
Une pointe de timidité dans la voix, Ekaterina relate ce qui l'a amenée de Beloretchensk, une ville du sud-ouest de la Russie, à la France en 2006. Son diplôme de professeur d'anglais et français en poche, elle veut vivre sa "passion française". Après avoir passé une batterie de tests, elle est acceptée en Master I de lettres modernes à Paris IV. Pour subvenir à ses besoins, elle passe un contrat étudiant-logement avec une famille. De quoi justifier auprès de la préfecture d'un hébergement et de revenus. Les démarches pour obtenir le titre de séjour étudiant ont pourtant toujours été "très difficiles". "Psychologiquement, ce n'est pas évident. L'attitude des employés est choquante, ils font peu de cas de notre situation."
Alors qu'elle envisage de poursuivre un doctorat, on l'invite à participer à l'Opération Phénix, un concours universitaire destiné à l'insertion professionnelle des étudiants en sciences humaines. Vingt-six d'entre eux seront sélectionnés par des grandes entreprises pour un contrat de professionnalisation avec une embauche en CDI à la clé. "C'était une grande opportunité. Je voulais gagner ce concours car j'ai toujours voulu faire des sciences économiques. J'y ai mis toute mon énergie", explique-t-elle. Son profil atypique plaît, elle est retenue par trois entreprises. Elle choisit un poste de chargée de clientèle privée dans une grande banque française.
C'est là que tout bascule. En août 2011, elle se rend à la préfecture, sa promesse d'embauche en mains, pour demander son passage en statut "salarié". On la fait revenir plusieurs fois. D'autres étudiants lui parlent de la nouvelle circulaire Guéant du 31 mai, mais elle reste confiante. "Je n'imaginais pas qu'on pouvait m'opposer un refus", confie-t-elle. En novembre, son titre de séjour expire, la formation ne peut la garder. Puis, le verdict tombe, en décembre. Son changement de statut est refusé. Elle remplissait pourtant toutes les conditions : l'entreprise était prête à payer une taxe de 1 800 euros pour l'embaucher et son salaire est supérieur à un SMIC et demi. "Vous comprenez que votre parcours d'études est incohérent avec le métier dans lequel vous voulez travailler", lui oppose-t-on toutefois. A l'employeur, il est reproché de ne pas avoir suffisamment diffusé l'offre d'emploi dans un secteur qui n'est pas considéré "en tension".
"C'est l'incompréhension. J'ai l'impression que toute ma vie professionnelle part", dit-elle, bouleversée. L'entreprise, seule à même de formuler un recours, renonce. "C'était le premier refus qu'ils rencontraient. Ils ont joué le jeu du ministère." Elle n'a plus de nouvelles. Elle conserve toutefois le soutien des responsables de l'université, qui ont écrit aux autorités des lettres en sa faveur. M. Deforge, responsable de l'opération Phénix, fait tout pour qu'elle ne perde pas espoir. Mais elle n'en a plus beaucoup. "Je commence à baisser les bras. J'ai l'impression d'avoir perdu un an, peut-être même cinq."
Son récépissé expire dans une semaine. "J'ai toujours été dans la légalité et maintenant, je me retrouve expulsable. C'est humiliant et injuste pour moi", dit-elle abasourdie. Le Collectif du 31 mai lui donne un peu d'espoir. Grâce à lui, elle a été parrainée par le président de l'université Paris VII-Diderot, qui doit l'aider dans ses démarches. Elle espère que son poste sera gelé, en attendant la révision de son dossier à la suite de l'allègement de la circulaire Guéant. Ou en attendant de reprendre un doctorat. Sinon, c'est le retour en Russie. "C'est compliqué. Si je rentre, je perd aussi ma vie personnelle."
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