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Un revenu minimum d'activité pour l'insertion des RMistes
LE MONDE | 07.05.03 | 13h48
Le ministre des affaires sociales, François Fillon, devait présenter en conseil des ministres mercredi 7 mai, le revenu minimum d'activité ( RMA). Ce contrat à temps partiel, mieux payé que le RMI et d'une durée limitée à 18 mois, est critiqué par les associations d'aide aux plus démunis
Le ministre des affaires sociales, françois fillon, devait présenter, mercredi 7 mai en conseil des ministres, un projet de loi sur la rénovation du revenu minimum d'insertion (RMI) et annoncer la création d'un revenu minimum d'activité (RMA). Sur un million d'allocataires du RMI, seule une moitié ont un contratd'insertion. Le RMA entend permettre un véritable contrat de travail, à temps partiel, 20 heures par semaine, payé à hauteur du smic horaire et donc mieux que le RMI, pour une durée maximale de 18 mois. Les associations dénoncent "un système uniforme sans souplesse", "un contrat emploi solidarité au rabais" et s'inquiètent de la décentralisation du RMI. Pour Solidarité accueil, à Châteauroux (Indre), le retour au marché du travail des plus démunis est un long et difficile chemin.
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Quinze ans après sa création, le revenu minimum d'insertion (RMI) va être modifié en profondeur. Le ministre des affaires sociales, François Fillon, devait présenter, mercredi 7 mai, en conseil des ministres, un projet de loi "portant décentralisation du RMI et création du revenu minimum d'activité -RMA-".
Alors que cette réforme devait s'appuyer sur un rapport que Matignon avait commandé, en février, à Bernard Seillier, sénateur (non inscrit) de l'Aveyron, le gouvernement n'a pas attendu les préconisations du parlementaire. Passant à l'acte plus vite que prévu, il froisse les associations de lutte contre l'exclusion, qui ne s'attendaient pas à une telle "précipitation", et découvrent aujourd'hui un projet "tombé du ciel".
Le texte de M. Fillon part d'un constat de "relatif échec" : le RMI a certes permis aux plus démunis d'obtenir un minimum de ressources ; mais dans un trop grand nombre de cas, les bénéficiaires sont restés prisonniers de ce filet de protection et n'ont pas réussi leur insertion. Un an après sa mise en place par la loi du 1er décembre 1988, le dispositif accueillait 407 000 personnes, depuis, les effectifs ont été multipliés par 2,5. Aujourd'hui, un allocataire sur deux, seulement, a un contrat d'insertion en poche. Près de 10 % des RMistes perçoivent ce minimum social depuis au moins dix ans, d'après une étude de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) publiée en octobre 2002. Une "dynamisation du dispositif" s'impose donc, aux yeux de M. Fillon, car il "ne doit pas être l'antichambre de l'exclusion et l'alibi de l'inaction". Pour cela, le ministre des affaires sociales mise à la fois "sur la proximité de gestion et sur un parcours mieux personnalisé et plus incitatif".
Sa réforme se traduit tout d'abord par un transfert de compétences au profit des conseils généraux, conformément à la loi constitutionnelle sur "l'organisation décentralisée de la République" que le Congrès a récemment adoptée (Le Monde du 15 mars). Jusqu'à présent, le RMI était copiloté par l'Etat et les départements ; ils seront désormais seuls maîtres à bord. En mettant fin à "l'enchevêtrement des compétences", le gouvernement souhaite supprimer les "incohérences" qui nuisaient à l'efficacité du dispositif.
PLUS ÉLEVÉ QUE LE RMI
L'autre innovation majeure du projet de M. Fillon tient dans un sigle de trois lettres : RMA (pour revenu minimum d'activité). Réservé aux publics qui perçoivent le RMI depuis au moins deux ans, ce nouvel outil se présente sous la forme d'un contrat de travail à temps partiel, rémunéré à hauteur du smic horaire. Plus élevé - en principe - que le RMI (dont le montant s'élève à 411,70 euros pour une personne seule), le RMA vise à encourager l'insertion professionnelle de RMistes qui "ne peuvent accéder à l'emploi dans les conditions ordinaires du marché du travail et pour lesquels un temps d'adaptation est nécessaire". Il prévoit un suivi personnalisé des bénéficiaires, pour les aider à se relancer. Le ministre des affaires sociales espère ainsi ramener "sur le chemin de la responsabilité et de la confiance" un certain nombre d'allocataires du RMI. Il entend aussi répondre à "l'exaspération des Français qui travaillent, qui ont des petits salaires et qui ont le sentiment qu'autour d'eux il y a beaucoup de gens qui ne travaillent pas et qui ont finalement les mêmes conditions d'existence", comme il l'a déclaré, le 24 avril, lors de l'émission "100 minutes pour convaincre" sur France 2.
L'idée d'instaurer un RMA ne date pas d'hier. Il y a cinq ans, le RPR avait déjà brandi cette trouvaille pour remédier aux "dysfonctionnements" du RMI et stopper le développement d'une "culture de l'assistance" (Le Monde du 19 janvier 1998). Il s'agissait de "conjuguer le versement de l'aide et une participation de la personne à une tâche d'intérêt collectif". En février 2001, une proposition de loi, "portant création du RMA", avait été présentée par deux sénateurs de droite et approuvée par la Haute Assemblée.
Le projet du gouvernement n'a pas grand-chose à voir avec cette initiative parlementaire, restée sans lendemain. Mais les deux textes s'inscrivent, peu ou prou, dans une même filiation idéologique et renvoient à la thèse - controversée - de la "trappe à inactivité" : selon elle, le titulaire d'un minimum social préférerait continuer à toucher son allocation plutôt que de rechercher un emploi. Entendu, en 2000, par la commission des affaires sociales du Sénat, Bertrand Fragonard, ancien délégué interministériel au RMI, avait contesté cette théorie. Il avait notamment affirmé qu'elle n'était qu'une "simple intuition", étayée sur "aucune analyse méthodologique sérieuse". Il avait aussi déclaré que le refus du travail chez les RMistes était un "phénomène rare", et prétendu que personne n'avait jamais pu prouver que les minima sociaux dissuadaient de reprendre une activité.
Sans entrer dans ce débat, plusieurs associations de lutte contre la pauvreté trouvent que "l'état d'esprit du gouvernement pose question", selon le mot de Gilbert Lagouanelle, du Secours catholique. "Il donne l'impression de rejeter sur les bénéficiaires la responsabilité de l'échec du volet insertion du RMI. Or le problème est plus complexe. Et certains conseils généraux ne se sont pas beaucoup mobilisés." M. Fillon a tenu des propos "ambigus", à "100 minutes pour convaincre", renchérit Martin Hirsch, président d'Emmaüs-France. "Le RMA ne doit pas viser à stigmatiser les inactifs, mais à lever les obstacles à leur intégration en prenant en compte leurs difficultés sociales", ajoute-t-il.
RÉFORME "DÉCEVANTE"
Indépendamment de la philosophie qui la sous-tend, cette réforme est "décevante" dans ses modalités mêmes, poursuit Jean-Paul Péneau, directeur général de la Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale). D'après lui, le RMA ressemble "aux premières générations de contrats aidés, avec tous leurs défauts originels" : rigidité dans les horaires et la durée des contrats, rigidité dans la définition des publics... Alors qu'il aurait fallu du "sur-mesure"pour répondre aux besoins d'une population composite, le gouvernement invente un système uniforme, sans "souplesse", déplore Jean-Paul Péneau. "C'est un contrat emploi-solidarité au rabais, conclut-il. Les obligations d'accompagnement des bénéficiaires sont très légères." Quant à l'incitation financière, "elle nous semble insuffisante", commente Bruno Grouès, de l'Uniopss (Union nationale interfédérale des ?uvres et organismes privés sanitaires et sociaux). La perspective de gagner "un demi-smic" ne sera guère mobilisatrice, pense-t-il, compte tenu des frais induits par la reprise d'activité (transport, garde d'enfants...).
Enfin, les administrateurs de la CNAF ont émis un avis défavorable au projet de M. Fillon, estimant qu'il soulevait des "interrogations", " notamment sur le respect des principes d'égalité et de solidarité". Dans la même veine, Bruno Grouès craint que le RMI ne devienne "aléatoire", alors qu'il s'agissait, jusqu'alors, d'un "droit garanti et quasi inconditionnel". "C'est bien de mettre l'accent sur l'insertion professionnelle, mais les personnes très éloignées du monde du travail risquent de ne pas pouvoir se plier aux nouvelles obligations créées autour du contrat d'insertion, dit-il. Du coup, elles risquent de perdre leur allocation."
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