enkvinna une femme est une femme | Max Evans a écrit :
Je suis actuellement en train de lire un bouquin très intéressant, La Peur des autres - trac, timidité et phobie sociale de Christophe André & Patrick Légeron.
On y découvre une sorte de pathologie, l'éreutophobie qu'ils définissent comme étant la peur de rougir. Rougir se veut naturel ; dans une situation gênante, embarrassante, qui n'a jamais rougit ?
Par contre, là où le bas blesse, c'est d'anticiper son rougissement se dire : "Zut, je vais encore rougir" ; bingo, vous êtes rouge pivoine avant même que la situation devienne réellement embarrassante !
Cette éreutophobie se base donc sur la peur de rougir, sur votre paraître (Mon interlocuteur a-t-il vu que j'avais changé de couleur ?), votre image, et non plus à la gêne de la situation elle-même.
Il est cité dans le livre un exemple très intéressant :
"C'était à l'école, et un vol venait d'être commis dans la classe. [...] L'institutrice nous a tous réunis solennellement, et s'est adressée à nous en demandant au coupable de se dénoncer. [...] Je me sentais devenir de plus en plus rouge [...] craignant que mon rougissement ne soit interprété comme un aveu de culpabilité."
Bien sûr, cette femme n'était pas coupable, mais dans cette situation embarrassante, son teint changea - elle avait simplement peur de rougirce qui provoqua sa rélle appréhension - si bien que les autres élèves crurent qu'elle était la voleuse
Celà m'est personnellement arrivé cette année.
Voilà, j'espère que mes interlocuteurs IRL me pardonneront donc si j'ai l'impression de ne pas écouter leurs discussions ; c'est juste que je suis focalisé sur cette peur de rougir qui m'omnubile et me déconnecte totalement de leurs propos
Si vous êtes aussi dans ce cas, n'hésitez pas à témoigner
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Il semble que je ne sois pas douée pour les forum car je viens d'envoyer un message que je ne retrouve pas sur la liste!
Donc, voici un extrait d'un livre que j'ai publié en janvier dernier sous le pseudonyme de Jeanne Moulin: "être un caillou". J'y raconte des dizaines d'années de rougissements effroyablement handicapants. En voici un extrait:
"...
Puis survient la grande peur.
L’obsession. La terreur. Celle qui ne m’a pas lâchée pendant plusieurs dizaines d’années.
La peur de rougir.
La peur qui m’a fait renoncer à moi. Quand j’avais réduit au minimum mon périmètre de vie à la maison d’enfants, j’avais au moins l’impression que je maîtrisais ce territoire lilliputien. Mais un jour je n’ai plus rien maîtrisé.
Un jour, j’ai tenté le diable et il n’a pas dit non.
C’était jour de distribution des livrets scolaires.
Le jour où j’ai pris le mauvais chemin où à peu près tout dans l’existence m’est devenu inaccessible.
Cela devait être en 1961 ; j’étais en cinquième.
J’ai voulu trop en faire. J’ai mal évalué les conséquences d’un jeu qui s’est avéré beaucoup plus dangereux que je ne l’avais pensé. Le premier coup a été libre mais tous les autres sont devenus obligatoires. Trois professeurs, trois femmes, trônaient pour la circonstance sur l’estrade.
Nous défilions les unes après les autres.
Quand vint mon tour, il se passa soudain quelque chose que je n’avais absolument pas prévu : j’éprouvai un sentiment de solitude démesuré. L’impression que mon corps était une boite hermétique à l’intérieur de laquelle j’étais enfermée. Je donnais certainement l’impression d’être impassible et soudain, je ne le supportai plus. J’avais si bien réussi à masquer ma terreur constante du regard des autres qu’on aurait pu croire que j’étais un roc et je voulus soudain leur faire comprendre que j’étais quelqu’un de sensible et même d’émotif. Faire tomber le masque.
Ne plus être seule.
Au lieu de deux yeux neutres, présenter un regard. Un regard qui soit pour l’autre une ouverture sur mon être le plus intime.
Casser le mur me qui séparait d’elles.
C’est alors que l’idée m’est venue.
Un petit rougissement leur montrerait que j’étais vivante. Je me lançais. Je me fis rougir volontairement. Mais alors que j’avais parfaitement maîtrisé la première étape du processus, la seconde poursuivit son cours sans moi.
Je ne dérougissais plus. Je sentais que j’étais écarlate. Les yeux me piquait tant le sang m’était monté au visage. J’avais contrôlé l’entrée dans le rougissement, mais je ne trouvais plus la sortie. Un instant auparavant, j’étais infiniment trop loin des mes trois professeurs ; et soudain, j’étais infiniment trop près. Je ne parvenais plus à penser. Cela durait. Une éternité. Je commençai à me demander comment je pourrais me retourner vers le reste de la classe. Je m’étais réduite à deux joues incandescentes. Que dis-je deux joues ? Le front, le cou. J’avais le visage en feu et je devais donner l’impression d’être sur le point d’éclater. J’avais certainement atteint le comble du ridicule. Je ne pouvais pas me décider à regagner ma place.
Il n’avait fallu que quelques secondes pour que je perde la face.
J’avais voulu oublier dans un moment d’égarement que si on veut être à l’abri du regard d’autrui, il y a un prix à payer : la solitude.
La sortie de la grande boite en bois de mon corps me jeta dans une absolue visibilité.
Je ne fus plus jamais seule.
Ma faiblesse m’avait perdu. J’avais voulu rougir comme on baisse les armes.
J’avais voulu montrer une émotion. J’avais réussi au delà de toute espérance.
J’ai commencé à vaciller sur ma base. À l’âge de treize ans, la peur de rougir a commencé à gouverner ma vie. En quelques mois, c’est devenu mon unique souci. On ne devait pas voir mon visage. Je ne supportais plus non seulement un regard, mais l’idée d’un regard. Est arrivé un moment où même le regard des chiens m’inquiétait. Je me livrais à de vaines acrobaties respiratoires. Je suspendais mon souffle. Je l’approfondissais. Je le rétrécissais. Rien n’y faisait.
Je rougissais.
J’étais à la merci du regard d’autrui. J’étais l’objet facilement manipulable du premier venu.
On faisait de moi ce qu’on voulait. Il suffisait qu’on me regarde et je perdais la face.
La moindre sortie se transformait en supplice. Descendre la poubelle. Aller acheter le pain. Aller à l’école. J’avais atteint la limite au delà de laquelle plus rien de ce qui fait une vie humaine n’est possible.
Je n’avais plus d’intériorité. J’étais sortie de l’humanité.
Je me réduisais à une peau qui s’enflamme.
L’obscurité et le lit étaient mes seuls refuges.
La peur de rougir était si obnubilante que c’est elle qui a décidé d’à peu près tout dans ma vie. Du choix d’une place dans un bus à celui d’une profession ou d’une relation.
Je n’éprouvais plus de l’intérieur mes propres gestes, mes paroles, mon regard. Je vivais depuis le regard des autres. Ma source de vie n’était plus en moi.
Je passais par l’extérieur pour vivre.
Je ne vivais plus.
Des dizaines d’années. Souvent il s’est trouvé quelqu’un de bien intentionné pour me dire :
– Mais si tu rougis, c’est que tu es vivante ! Tu n’es pas un pur esprit !
Il me donnait ce disant la preuve qu’il n’avait rien compris. Car rougir sur le mode qui était le mien, c’est justement avoir perdu toute incarnation.
Le rougissement venait à la place d’une incarnation qui avait mal tourné. Au lieu d’être intimement mêlés dans la tranquille assurance d’être soi quoi qu’il arrive, mon esprit et mon corps s’étaient séparés. ...
"
JM
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