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L'amour est un sentiment fort que ressente deux personnes l'une pour l'autre mais je me suis toujours demandé pk ce sentiment était réciproque, qu'est ce qu'il faisait que deux personnes s'aiment ...
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Dans une conception de l'amour passionnel, c'est l'objet extérieur qui impose de l'aimer, capte l'individu. Passion signifie ici passivité, dépossession de soi. L'amour est subi, s'impose et on ne peut lui opposer aucune résistance au moins dans les commencements de sa manifestation. Le passionné se sent dépossédé de lui-même, attiré de façon irrésistible par l'objet de sa passion, que ce soit une personne, une valeur, une idée. Bref, l'amour impose sa loi. Mais en même temps, l'amour est toujours lié au désir, celui d'être aimé en retour, mais aussi et avant tout, afin de préparer cette réciprocité, désir de déclarer son amour. Pour être complet, pour donner à cet amour une chance de s'exercer librement et de se satisfaire, l'amour doit obtenir le consentement de l'intéressé. L'amoureux manque de son amour et c'est dans le sentiment de sa propre insuffisance qu'il parvient à trouver la force de se faire aimer en retour. Loin d'être pure passivité, l'amour passionnel incite à l'action et est potentiellement révélateur des possibilités et des richesses, parfois insoupçonnées, de l'individu. Cet amour conquérant fait accéder l'autre à un univers de contradictions qui le dépayse, le défamiliarise complètement, le met en contradiction avec lui-même, le déstabilise dans ses convictions établies, l'éprouve même sur le sens et la valeur de ses croyances. Dans l?urgence de se faire aimer, l?individu trouve toujours le moyen de surmonter ses propres faiblesses (la timidité par exemple) pour faire perdre à l?autre ses points de repère habituels, pour provoquer en lui une rupture par rapport au quotidien et à la monotonie d?une vie tranquille et sans question. Ainsi, l?autre découvre ou redécouvre l'amoureux au point de se redécouvrir lui-même (pour le meilleur et l?amour réciproque s?enracine ou... pour le pire et il finit un jour par mourir).
Mais si l'amoureux agit pour faire vivre son amour, c'est aussi et surtout parce que l'autre est le complément nécessaire de lui-même. Les amants s?aiment parce qu?ils ont besoin (ou plutôt finissent par avoir besoin) l?un de l?autre pour être eux-mêmes. C?est le mythe célèbre d?Aristophane que quelques esprits simples ont trop souvent tendance à mépriser ! Si je considère l?autre comme la moitié de moi-même, alors il est ma propriété que je ne peux envisager de perdre sans me perdre moi-même. C?est pourquoi, la réciprocité de l?amour confine souvent au narcissisme : l?amoureux éprouve de l?attachement pour le complice de son amour-propre. Car s?il est vrai que l?amour de soi est indispensable à l?échange amoureux, il est aussi toujours menacé d?un côté par un narcissisme qui est adoration de sa propre image (j?aime d?autant plus l?autre qu?à travers lui je peux confirmer l?image flatteuse que je me suis forgé sur moi-même), et d?un autre côté par l?amour propre vaniteux qui cherche la valorisation de soi dans le regard de l?autre (dans leur relation, les amants haïssent la vérité et celui qui la dit ; ils aiment le mensonge et celui qui y croit).
Mais la réciprocité de l'amour peut aussi provenir, non d'un manque, mais tout au contraire de la richesse. C'est le message christique : aimer son prochain comme soi-même est un commandement biblique qui exprime à sa façon que l'amour partagé a pour caractère propre la dépense, le don de l'affection et le don de soi. C'est le sens de la philia chez Platon (cf. Gorgias) : elle rend possible la dialectique. Sans philia, pas de réfutation ni de blessure narcissique acceptée dans le but de progresser. Car, s'acheminer vers le bien ne peut se faire qu'à deux, en débattant, en progressant au même ythme, en ne se fondant que sur ce que l'autre admet. L'amour authentique est toujours réciproque, car aimer quelqu'un, c'est être conduit à vouloir son bien et à le définir avec l'intéressé. Vouloir le bien de l'autre, authentiquement, n'est pas lui imposer une vision du bien, comme si agir au nom de l'amour justifiait tout, mais chercher avec l'autre ce qu'est ce bien. Ainsi, parce qu'un tel amour est seul fécond et engendre une oeuvre (un enfant par exemple), il parvient à s'accomplir dans le couple.