Pochette de l'album "Go 2" d'XTC, 1978 (cliquer pour agrandir)
Comme l'indique l'amusant exemple ci-dessus, la pochette de disque n'a jamais eu qu'un seul but : faire vendre le disque qu'elle emballe. Voilà, c'est dit. C'était le cas à sa naissance en 1939, ça l'est toujours en 2015. A preuve, bien que copyrightées, il est possible de les reproduire partout sans encourir les foudres légales des labels qui en détiennent les droits, y compris sur des sites à très haute visibilité comme Wikipedia ou Discogs. Les pochettes sont de la pub et les labels aiment la pub.
Seulement voilà, mine de plomb et chiure de gomme, depuis 76 ans que ça dure, un paquet de graphistes, designers, artistes BD, lettreurs et autres photographes ont exprimé leur talent (ou absence de) et dessiné (hi hi !) en creux une histoire graphique de la musique populaire. Comme les affiches de concert, celles de films ou les couvertures de livres.
Il y a les pochettes plus intéressantes que la musique qu'elles sont censées faire vendre. Celles qui n'auraient aucun intérêt si elles n'étaient pas associées à un disque multi-platine. Celles qui pourraient emballer une vingtaine de disques différents par autant d'artistes. Il y a les laides, les cheaps, les innovantes, les kitschs, les rétros, les cultes et il y a même une pochette situationniste, à défaut de raton-laveur. Mais on va commencer par un peu d'Histoire.
L'AVANT-GUERRE ou l'époque de la "pierre tombale"
Le format roi de ces années sera rapidement le 78 tours qui permet de stocker 4 à 5 minutes par face sur un disque de shellac de 30 cm. A l'époque, les labels font essentiellement leur beurre avec les appareils de reproduction (chacun a son standard), les partitions et les publishing rights. Les disques ne sont qu'un à-côté, un moyen d'arrondir les fins de mois des actionnaires. Les disques de musique populaire (variété, jazz, blues etc.) sont glissés dans une pochette kraft sur laquelle figure souvent le logo du label et dont un trou laisse apparaître l'étiquette centrale du disque. Ca donne ça, et il faut bien avouer que c'est pas super vendeur :
En musique classique, les 4 à 5 minutes par face ne suffisent pas, donc on voit apparaître dès 1903 des sets de plusieurs disques, qui vont être rassemblés dans une reliure évoquant un album de photos ou de timbres :
Un peu plus classe, beaucoup plus cher, mais toujours pas jojo, n'est-ce pas ?
La "couverture" ("cover" en anglais, et le terme restera jusqu'à nos jours bien que le terme cesse d'être adéquat à l'arrivée du LP dans sa pochette) de ces "albums" (idem en anglais et même chose pour la pérennité du terme malgré l'obsolescence à l'arrivée du vinyle) est tellement austère qu'Alex Steinweiss les baptisera des "pierres tombales". Effectivement, il ne manque qu'un R.I.P. au-dessus du nom de l'artiste pour en faire une stèle.
Il y aura bien quelques rares tentatives de les égayer en reproduisant une peinture classique (donc sans droits) sur une partie de la stèle. Voire, comme cette rarissime pochette d'un set de 3 disques de Disney glissés dans une pochette, par une illustration :
Mais globalement, voilà, c'était la misère. Et du coup, un magasin de disques ressemblait à ça :
Les disques n'étaient pas en libre-service mais rangés en rayonnages derrière le comptoir. Le client faisait son choix avec les divers programmes, flyers et la publicité sur le lieu de vente puis demandait poliment (ou pas, car le mélomane peut être rustre) la référence qui l'intéressait. L'idée que la publicité puisse s'afficher sur l'emballage du disque n'avait effleuré personne. Ou alors très peu.
1939, ALEX STEINWEISS INVENTE LA COUVERTURE D'ALBUM ou comment être têtu peut finir par payer
En 1939, Alex Steinweiss a 23 ans, vit à New York de ses considérables talents de graphiste dans la pub et il est fou de musique. Quand le président de Columbia Records le contacte pour lui offrir le job d'Art Director, il saute sur l'occasion et sa femme et lui partent à Bridgeport CO. Là-bas, il va réaliser toutes les pubs et catalogues de la firme puis à peine quelques mois plus tard avoir une idée qui va bouleverser tout le marketing de la musique enregistrée : illustrer - et en couleurs, pas moins - ces mornes et austères couvertures d'album. Devant une idée aussi géniale, la direction ne va faire ni une ni deux et refuser tout net. Trop cher, mon fils ! Et puis à quoi cela servirait ? De toute façon, dans les boutiques, les clients ne voient que les tranches des albums derrière les comptoirs, jamais les couvertures.
Steinweiss va revenir à la charge quelques temps après et obtenir à l'arrache un test. Columbia s'apprête à sortir un album d'interprétations de Rogers & Hart et il lui passent ce qu'ils perçoivent comme un caprice en le laissant exécuter une pochette originale pour cet album.
Ladies & gentlemen, la première pochette illustrée de l'histoire du disque :
Comme Steinweiss le prévoyait, les ventes explosent. L'album se vend 3 à 4 fois plus qu'à l'habitude. La direction de Columbia, pas folle, va surfer sur l'idée. Et les firmes concurrentes vont rapidement l'imiter. L'ère de la couverture d'album vient de commencer (excitant, non ? ).
1939-1949, L'AGE D'OR DE LA COUVERTURE D'ALBUM ILLUSTREE ou comment les disquaires découvrirent le "facing" et durent réaménager leurs boutiques
Les années 40 vont voir proliférer les couvertures illustrées. On utilise encore très rarement des photographies et quelques graphistes vont imprimer (hi hi !) leur patte sur le style de cette époque. Steinweiss lui-même, bien sûr, mais aussi Robert Jones et l'un de ses assistants nommé Jim Flora, qui le remplacera quand il sera conscrit pendant la seconde guerre mondiale. Je ne vais pas m'étendre, il y a des bouquins sur le sujet, que je citerai dans la bibliographie. Voici juste quelques couvertures de ces fameux albums de 78 tours :
Cette époque marque la fin des rayonnages façon bibliothèque dans les boutiques. Les couvertures doivent se voir, donc les bacs à disques et le libre-service se généralisent.
1948, ALEX STEINWEISS INVENTE LA POCHETTE DE DISQUE ou mais jusqu'où s'arrêtera-t-il ?
En 48, lors d'un déjeuner-réunion, Steinweiss réalise soudain que le disque qui passe en musique de fond dure... et dure. Au bout d'un quart d'heure, il demande ce qui se passe : on lui explique alors qu'il vient d'entendre le premier LP (long playing) Columbia, un disque de 30 cm fait de vinyle qui peut contenir 20 minutes de musique par face. Il en est tout ébaubi et on le comprend. Mais rapidement, un problème se pose : Columbia va commercialiser ces nouveaux disques dans des pochettes de papier type kraft, aussi peu attrayantes que celles des 78 tours simples (ceux qui n'étaient pas réunis en albums). Pire : le papier épais et un peu rugueux abime le vinyle à cause du frottement. Steinweiss se remet au boulot et crée un packaging approprié au nouveau format : le disque est inséré dans une pochette de protection, elle-même insérée dans une robuste pochette cartonnée dont la face avant est illustrée en couleurs et la face arrière contient le texte explicatif ou promotionnel, en noir et blanc. On rentre dans l'ère moderne.
A partir de 1949, la pochette de LP va devenir omni-présente, et tout le monde connaît cette histoire. Pour le single 45 tours, peu cher et ciblé sur le public le plus jeune, la pochette illustrée viendra plus tard et ne sera vraiment généralisée qu'à la fin des 60's.
A venir :
- Liste commentée des livres sur les pochettes de disques
- Les liens
- Pochettes et dématérialisation
- Pochettes et BD
- Les plus belles pochettes
- Les plus laides pochettes
- Pochettes et Obiwan
etc.
Message édité par BoraBora le 03-02-2015 à 18:36:15
---------------
Qui peut le moins peut le moins.