les photos de James Nachtwey (grand reporter US) sont entrées il y a kkues temps déjà au département Estampes et photo de la BNF
Quelques exemples :
chute du mur de Berlin
et en couleurs
je n'ai pas choisi ces images au hasard (on en trouve pas mal sur le web).
La 1ère, c'est celle-qui m'a incitée à en savoir plus sur ce photographe, c'est la photo publiée sur la revue de la BNF. Ce qui m'a frappé, de prime abord, ce n'est pas seulement le caractère esthétique, mais le contre-pied de cette photo par rapport à notre regard habituel d'occidental face à ces femmes voilées qu'on se plait à dire soumise à leurs hommes, étouffées...et à nous présenter comme telles... or là, par la position, le geste, ce je ne sais quoi, on découvre que le sentiment de cette femme peut être plus fort que toutes nos interprétations savantes... Ce qui m'a plu d'emblée dans cette photo, c'est le caractère anti conformiste du message... mais c'est vrai qu'elle est très travaillée et que la sincérité devient douteuse.
La seconde, je n'ai pas lu tout de suite la légende. J'ai bien deviné, bien sûr ; mais c'était le contraste, non pas du noir et blanc mais de ces murs glacials, puissants, inébranlables, morts... et cette silhouette noire, chétive, mourante... mais qui contient la vie... C'est évidemment très travaillé et dérangeant... mais comme peut l'être un roman ou un poème qui veulent dire avec force ce que les mots ou clichés ordinaires ne savent plus dire...???
la troisième trahit une recherche presque vulgaire à force d'être fabriquée ; et elle prouve combien j'ai pu oublier le sujet pour ne plus regarder que l'idée artistique... c'est la dernière photo que j'ai sélectionnée... et elle montre comment j'ai pu me faire embarquer dans le projet esthétique du photographe au détriment de ce qu'il entend montrer... Là, à la réflexion, je me dis que j'ai tout faux et si j'avais à le faire, je ne rechoisirai pas cette photo. A la différence des autres, elle m'apparaît finalement comme un échec : la main efface les paysans, elle produit comme un effet d'expression narcissique...
La 4ème en revanche, fonctionne à l'inverse de ce que je décris ci-dessus... au départ, j'ai cru à une photo de quelque prison du tiers monde... je la trouvais sans intérêt... et soudain, j'ai vu la légende... et là, mon choix s'est redéfini du fait de cette manière différente de montrer l'événement par rapport à ce qui est archi connu... ce n'est plus la foule dressée sur le mur, ce sont ces mains prises dans les barbelés et auxquelles on pourrait faire dire le contraire de ce qu'elles sont en train de dire !!! Le contrepied avec tout ce qu'il peut engendrer m'a réconcilié avec cette photo. Evidemment, c'est travaillé ; peut-être pas sur le vif, seulement en labo, en coupant le sujet là où il faut pour donner cette image... manipulation bien sûr... mais si on obtient ce qu'on veut... quelle différence entre ça et le procédé rhétorique du journaliste ???
La 5ème, j'ai hésité... sujet rabaché, esthétisme évident... mais ce qui m'a accroché, là encore c'est le caractère décalé de la scène. Cet homme meurt de faim et qu'est-ce qu'on lui donne ? Un ticket, une feuille, un papier ? Il y a un côté cruel dans cette situation, qui pourrait rappeler certains dessins de Plantu... telle est la raison de mon choix et non l'aspect esthétique... D'ailleurs, j'ai peine à croire qu'elle puisse avoir été fabriquée... mais, sait-on jamais !?
comme quoi, je n'ai pas sélectionné ces photos sur le même critère...
Pour la dernière ? je ne sais pas trop... emportée dans le mouvement, j'ai voulu mettre un peu de couleur, c'est tout...
Bref, à la réflexion, je ne sais plus que penser. Ces photos sont belles (à mon avis), elles sont dérangeantes pour ce qu'elles donnent à voir et pour la raison aussi qu'elles ont été faites avec cette double intention de reporter et d'esthète étroitement liées...
et puis, je me dis : pourquoi pas ? l'image banalisée du JT, jusqu'à satiété, jusqu'à ne plus voir ce que nous regardons tous les jours, rapatriés que nous sommes dans le confort de notre impuissance de petites gens !!! S'il faut la provocation de l'esthétisme, de la surprise, du décalé, du contrepied pour nous redonner à voir... je ne sais pas...
cela m'obliges à remettre mon regard en cause... pour autant je ne renie pas ce dernier...
A propos : et Guernica, les tableaux de la guerre, ceux qui nous peignent la misère humaine, la pauvreté... la douleur de l'artiste... Je me pose la question : est-il sain de faire une recherche esthétique ou seulement graphique, technique ou que sais-je encore sur de tels thèmes ?
Le gros problème, finalement, est de savoir comment définir ce photographe : reporter ou artiste ? Peut-on être les deux à la fois ???? j'avoue, je ne sais pas !
en fait, quand on fait de la photo même de reportage sur le vif, on "gâche" de la pellicule... et sur 30 clichés sur le vif, on n'en gardera qu'un parce qu'il y en a 29 qui seront "ratés", c'est-à-dire "moins forts" quand le 30ème sera exact... Le problème, c'est qu'on regarde les photos (comme des toiles, d'ailleurs) comme s'il n'y en avait qu'une seule alors qu'elle n'est jamais que le résultat de x esquisses ou essais... Ca me fait penser à cette photo du républicain espagnol de 1936 ! Tout le monde la connaît, elle est extraordinaire ; mais ce n'est qu'une des prises (la plus émouvante, la plus forte) d'une série qui va de l'homme courant à l'homme mort... Pas de recherche esthétique sur le vif, mais il y a bien une démarche particulière (comment la désigner ?) après... ! Pourla comparaison avec le peintre, c'est l'équivalent du travail de croquis réalisés sur le terrain (je pense entre autre aux spécialistes de la peinture militaire), avant la réalisation du travail de fond en atelier...
Je reprends alors la question un peu autrement : à quel moment le photographe fait-il son travail esthétique ? Au moment de la prise de vue ou après?.. quand il choisit parmi des centaines de clichés ceux qui vaudront la peine ; ou encore dans son labo en forçant sur les contrastes (ça peut être le cas de la photo sur la Somalie), en cadrant d'une certaine façon (cas probable de la photo sur Berlin), voire en truquant (cas possible de surimposition dans le cliché sur les paysanos avec la main en premier plan) ? Ce qui revient à se demander comment travaille le photographe : en reporter qui photographie ce qui le frappe, sur le vif, sans trop se poser de question, sachant seulement que l'habitude et le savoir faire professionnel le conduit à bien faire ses réglages, ses cadrages que nous autres, amateurs, avons tant de mal à réussir... avant d'aller faire un second travail d'artiste sur un sujet qui n'est plus le vivant, mais ce qui est figé sur la pellicule... ou s'il travaille d'emblée en esthète, faisant poser, minaudant devant son sujet, cherchant pendant des heures le meilleur angle...etc... ?
S'il agit de cette deuxième manière, alors c'est odieux et inutile... mais s'il s'agit d'un travail de reprise du cliché en labo, je crois que ça se discute... Faut savoir aussi quelle finalité le photographe veut donner à son travail...
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