Je ne me rappelais plus que j'avais déjà posté la version pré correction.
Allez, voici un chapitre encore non posté ( la suite donc ).
CHAPITRE XI
La forteresse de Gorogaar
Deux siècles plus tôt, ce lieu avait été le quartier général de la Légion de la Destruction, la plus vaste des troupes dAndragoras, un grand rassemblement de ce que comptait ce monde de bestial et de stupide. Elle regroupait ainsi lensemble des tribus hyargs, ces humanoïdes brutaux pour qui le pillage et les massacres étaient la base de toute une culture glorifiant la cruauté et la barbarie. A ceux-ci sajoutait la lie de lhumanité, des hordes issues de nations de brutes meurtrières, des peuples renégats tournés vers les ténèbres, et des clans de cannibales demeurés. Enfin, pour parachever la formation de son armée, son commandeur, Ogbar, le maître du Feu Obscur, avait réduit en esclavage les fiers ogres du royaume souterrain, et les avait assimilés à la civilisation des Douze afin de former une redoutable section délite.
LorsquAlbior et ses compagnons refermèrent les Portes dAndrahyr, les Douze sombrèrent dans un sommeil sans rêve, ni mort, ni vivant.
Mais pas Ogbar.
Certains disent de lui quil avait maîtrisé les Dons ténébreux à un niveau tel quil pu se passer de la force dAndragoras. Dautres quil sétait préparé à cette éventualité, et que sa Force dAme nétait plus liée à celle du Dieu Noir comme létait celle des autres rois de ténèbres.
LorsquAstrielle senfuit au-delà des confins du monde avec la clef dAndrahyr, Ogbar la poursuivit à la tête dune partie de la Légion. Et plus personne nentendit parler de lun ou de lautre.
Le prince Thorven, lainé dOgbar, sétait endormit avec les Douze. «_ A la place de son père » disent certains. Giswor-le-Sanglant, le second fils, aurait dû logiquement devenir lHéritier à la tête de la légion. Mais ce fut finalement le cadet, Jarugaar, qui prit cette place après avoir organisé, ce que lon appelle à Sombreden, un accident de chasse.
Zaar nous transporta à lextérieur de la forteresse, sur une esplanade de pierre construite à cet effet. Comme je lavais appris durant les deux années passées à étudier la bibliothèque de Père, il était possible de défendre sa demeure ou son château contre une intrusion par la téléportation. Aussi avait-on inventé les esplanades de transport, des espaces magiques dédiés à réceptionner tous ceux qui désiraient se rendre en un lieu magiquement protégé. Un mot de passe devait être murmuré en usant de la Force dAme afin que la magie du site opère et dirige le voyageur au bon endroit. Dans le cas contraire, lincantateur et ses accompagnateurs risquaient fort de se retrouver dispersés en fragments sanguinolents sur toute la frontière délimitant la zone interdite.
Bien que nous nayons pas encore les connaissances pour utiliser la magie de transport, Zaar avait veillé à ce que nous en ayons assimilé tous les dangers afin quaucun de nous ne subissent le sort funeste des explorateurs inconscients.
Sitôt le vertige dissipé, je vis les quatre sections de soldats assignées à la surveillance du site. Le déséquilibre mental et corporel qui accompagnait tout transport magique rendait impossible une attaque par ce biais, car lassaillant, pour peu que des défenseurs soit présent, navait aucune chance de regagner ses esprits avant dêtre en mesure de combattre. Aussi les esplanades de transport étaient-elles étroitement surveillées afin de maîtriser tout indésirable.
Tandis que je reprenais pied dans la réalité, je me rendis compte que Zaar navait pas été affecté par les vertiges. Mon père semblait imperméable à ces effets qui pourtant, je lavais lu, touchait même les archimages. Je me rappelai que même en utilisant ma Force dAme à son paroxysme, je narrivais même pas à percevoir une parcelle de la présence de Zaar. A moins quil ne le désire ou quil utilise ouvertement son Don.
Beaucoup de soit-disantes lois de la magie semblaient ne pas sappliquer à mon père. Avait-il vraiment une telle maîtrise des Dons ? Ou bien possédait-il, à linstar des Douze, une nature si différente du commun des mortels ? Je rangeais cette réflexion dans mon esprit, me promettant dy revenir lorsque loccasion me le permettrait, car pour lheure, lentrevue avec Jarugaar prenait le pas sur mes considérations.
Nous quittâmes lesplanade, marchant dans une allée formée par les gardes du site. Ceux-ci restèrent imperturbables dans leurs armures noires hérissées de pointes tandis que nous passâmes devant eux. Devant nous, la citadelle de Gorogaar était comme un mur de noirceur.
Un mur ! Cétait exactement ce quétait cette construction : une falaise qui bordait lun des douze quartiers de Sombreden, une paroi verticale construite avec le sang de milliers desclaves qui sélevait jusquà effleurer les ténébreux nuages dominant perpétuellement la région. Des tours sortaient de la citadelle comme les arbustes parasites dune falaise. Dinnombrables ponts les reliaient, surplombant un vide vertigineux.
La construction navait aucun ornement. Aucune gargouille, aucun bas relief, aucune statue. Il ny avait pas une once de décoration tandis que la moindre masure de Sombreden affichait toujours les signes de richesses de ses propriétaires. Ainsi Ogbar avait pensé Gorogaar : simple, puissante, brutale, et assez vaste pour héberger un million de soldat.
Nous nous avançâmes vers lentrée de la citadelle, un trou noir dans la paroi. A une centaine de mètres au-dessus de nous, sur un grand balcon, un homme nous observait. Je le remarquai immédiatement grâce à la formidable Force dAme quil dégageait et qui faisait de lui un soleil dans la nuit.
Il était vêtu du Feu Obscur comme seul vêtement. Celui-ci était modelé en une armure de guerrier tout autour de son corps. Ses cheveux étaient de feu et dombre, sélevant et dansant comme des flammes. Ses yeux brillèrent un instant dun éclat violet tandis quil nous salua dun hochement de tête. Zaar sarrêta et le fixa un instant avant de pénétrer dans limmense construction.
Cétait Jarugaar, forcément. Aucune autre personne naurait pu afficher une telle Force dAme.
Je me rendis en mes appartements pour me vêtir comme il se devait. Ma servante coiffa mes cheveux en une cascade compliquée tenant grâce à des épingles noires à laquelle jajoutai une tiare dargent scintillante. Une fois dans ma robe dapparat, un vêtement de soie noire aux bords ornementés de glyphes ansaloriens, je me contemplai dans le grand miroir de ma chambre. Satisfaite, je rejoignis Zaar à lentrée de la forteresse.
« _ Suis-moi, » mordonna-t-il.
Ce auquel jobéis.
Des passages interminables, des escaliers trop abrupts, les ténèbres, voilà ce quest Gorogaar. Si un million de soldat lhabitait il y a de cela deux siècles, aujourdhui ce nest quà peine dix mille personnes qui y demeurent, serviteurs et esclaves inclus. Doù cette lincroyable impression de vide que lon ressent à arpenter ce labyrinthe sans rien trouver que poussière au sol. Les grandes salles darmes aux râteliers sans doute autrefois surchargés déquipement nhébergeaient plus que quelques vestiges puant la rouille. Les cantines et les garnisons étaient à labandon. Dans une salle de garde je vis un pichet et une paire de dé sur une table. Lamas de poussière suggérait quils étaient des souvenirs de la grande époque dOgbar.
« _ Du temps où mon frère régnait, mexpliqua Zaar, cétait le chemin le plus commode pour le visiter.
_ Pourquoi suis-je ici ? » demandai-je.
Je ne possédais pas de capacités ou de connaissances que ne pouvait surpasser Zaar. Aussi ma présence était-elle une interrogation.
« _ Jen ignore la raison mais Jarugaar tenait à ce que tu sois présente. »
Pourquoi moi plutôt quAndrion ou que Tyor ?
Je neu pas le temps dapprofondir cette réflexion car nous arrivâmes dans le grand passage menant à la salle du trône. Ici, la vie reprenait ses droits. Du plafond pendaient de longs oriflammes, un pour chacune des sections de la grande légion dautrefois. Les blasons que japerçus ne me surprirent pas. Ossements, crânes, ruines, armes diverses et poings se déclinaient en centaines de couleurs. Dans les alcôves, des soldats au garde-à-vous nous surveillèrent tandis que nous passions devant eux. Nous nous arrêtâmes sous loriflamme dOgbar, la flamme obscure sur fond de sang. Puis Zaar poussa les doubles portes ornées de crânes de la salle du trône.
Nous pénétrâmes dans une salle spacieuse mais de taille humaine. Le sol était recouvert de fourrures, les murs de tentures rouges. Dans les cheminées, une à gauche et une à droite, brûlait un feu étrange aux flammes mi-rouge et mi- noire. Au gré des crépitements la pièce était tantôt nimbée dune lumière sang, tantôt dans une relative obscurité.
LHéritier nous attendait, assit sur son trône. Celui-ci était en tout point semblable à celui de Deiraelle, la reine dombre, et à celui qui siégeait dans la plus haute salle de la citadelle de Zaar. Lors de notre passage à Sartan, javais crû à un hasard, mais de toute évidence ces trônes dobsidienne noirs et massifs étaient lapanage des Douze. Pourquoi diable Zaar en possédait-il un ? Ce ne pouvait être celui de son frère puisquil était là, devant moi.
Au coté de Jarugaar, négligemment accoudée, se tenait une fillette blonde dune dizaine dannée vêtue comme une petite princesse des ténèbres avec sa robe noire et satinée. Malgré sa jeunesse, lenfant collait bien au rôle. Lair hautain et insolent, un regard sournois, un sourire hypocrite, et une Force dAme incroyable, et surtout impossible pour une gamine de dix ans. Ainsi était Nareena, la fille de Jarugaar.
LHéritier patientait.
Zaar savança mais ne se courba pas. Ni moi.
Lexpression de Jarugaar restait indéchiffrable. Dabord choquée de ce non- respect, Nareena arbora finalement un visage le plus neutre possible.
« _ Zaar, appela lHéritier.
_ Neveu, répondit mon père.
_ Nous reconstruisons Sombreden afin de
_ Je sais. Le discours de Deiraelle à louverture de lordalie a été assez explicite.
_ Es-tu avec nous ou contre nous ?
_ Avec vous. Pour linstant. »
Jarugaar me considéra.
« _ Termine la formation de tes apprentis. Tu as trois ans.
_ Vous comptez donc envahir le Saint Empire ? Contre Tenadir et ses vétérans de la Grande Guerre, vous navez pas une chance.
_ Ai-je parlé dattaquer les valariens ? »
Zaar fixa Jarugaar, explorant mentalement les options qui soffraient aux Héritiers.
« _ Soren, murmura-t-il. Vous projetez dabattre le Cercle des Anciens, et de vous emparez de leurs connaissances.
_ On ne peut décidément rien te cacher, mon oncle, soupira Jarugaar.
_ Mais la magiocratie de Soren est un territoire magique impénétrable. Fait que vous connaissez assurément, réfléchit Zaar. Pour désactiver cette protection, il vous faut nécessairement un agent dans la place.
Zaar considéra Jarugaar. Celui-ci ne dit mot. Zaar continua sa réflexion.
« _ Mon alliance avec Soren vous est connu. Pourquoi me parler de vos projets si ce nest pour user de cette relation à vos fins ? Si ce nest pour me donner le rôle du traître qui détruira de lintérieur la barrière magique ? »
Jarugaar esquissa un geste de la main pour signifier que les déductions de Zaar étaient exactes, mais garda le silence.
« _ Jamais tu ne maurais dévoilé vos plans si vous, les Héritiers, naviez pas une monnaie déchange pour acquérir mon aide. Et ce doit être quelque chose de bien conséquent pour acheter une trahison envers mon allié le plus puissant. »
Jarugaar esquissa un sourire.
« _ Je vois, poursuivit Zaar, il ne sagit pas des Héritiers, mais de toi. Autrement cette conversation se serait tenue dans la salle du conseil des Douze en présence de tes pairs.
_ Trêve de réflexions mon oncle. Puisque tu as saisi la raison de ta présence ici, je vais donc te dire pourquoi trahir Soren. »
Jarugaar tendit la main vers Nareena. Celle-ci alla chercher un étui oblong en cuir derrière le trône et le remit à son père. Voyant que je la regardais avec réflexion, la fillette menvoya un clin dil avant de reprendre sa pose impassible.
« _ Si tu lavais voulu, mon oncle, tu aurais été lun des Douze et aurais reçu le pouvoir dun demi-dieu. Tu aurais pu aussi réclamer ta part du monde après lexpulsion dAndragoras, car peu parmi les vainqueurs avaient autant combattu que toi. Au lieu de cela, tu parcours le monde, tu recueilles des orphelins et les forme à ton savoir. La plupart des puissants de ce monde te considèrent comme un excentrique, quasiment tout puissant en ce qui concerne les Dons, certes, mais un utopiste qui ne jure que par la puissance personnelle. A lopposé, mon Père, faisait figure de tyran barbare avec sa horde dun million de brutes. Ses troupes étaient non seulement la première ligne de tous les combats, mais aussi la force doccupation de tous les pays conquis. Et nul en ce monde nignore combien vous vous détestiez et combien vous vous êtes combattu. »
Jarugaar arrêta ses remarques le temps que nous en prenions la mesure.
« _ Mais moi, mon oncle, je suis sûr que tous les deux, vous uvriez à un but commun, et que cette animosité nétait que feinte. Dun coté, grâce à loccupation de ses troupes, mon père possédait la main mise sur le monde, et de lautre, toi, pouvait uvrer dans lombre et agir avec force et puissance là où une troupe de brutes sans cervelle naurait rien pu accomplir. Je crois, mon oncle, que vous avez mystifié Andragoras comme les valariens, les Douze comme le Cercle des Anciens, et que, si vous étiez dans deux camp opposés, cétait uniquement pour servir un but qui nappartenait quà vous. »
De l'étui de cuir donné par Nareena, Jarugaar sortit des parchemins et les posa sur l'accoudoir de son trône.
« _ Comment suis-je arrivé à cette déduction ? En examinant les notes de Père. Elles étaient trop limpides, trop fidèle à lesprit dAndragoras, trop calculées pour faire transparaître une loyauté indéfectible. Elles étaient bien trop parfaites pour être luvre sincère de mon père. Elles ont pu tromper le reste du monde, mais pas son fils. Alors jai cherché. Jai fouillé cette citadelle dans ses moindres recoins, jai épluché tous les ouvrages et les récits de la Grande Guerre de Sombreden, allant jusquà marchander contre des services personnels laccès à des bibliothèques privées. Jai dispersé dans le monde des hommes des espions afin de memparer des connaissances de lautre camp. Pendant des années, jai essayé de comprendre ce que cachait mon père. Et jai finis par trouver. Non pas son journal personnel, car je pense que jamais vous nauriez couché par écrit vos véritables intentions. Mais des notes manuscrites de la main dun sage worfen, des écrits remontant à plus de huit mille ans, des descriptions de vos personnes si précises quil ne pouvait sagir que de vous. Et lorsque jai achevé la lecture du compte-rendu de votre visite dans lantique capitale worfen, jai compris. Ce but auquel vous aspirez, ce projet qui a fait que vous avez trompé un dieu et tout un monde, cest lAscension. »
Zaar était figé, entre la stupéfaction et la colère. Cétait la première fois que je voyais quelquun prendre le pas sur Zaar. Jusquà présent, mon esprit associait le nom de Jarugaar à une brute toute puissante. Je réalisais quau-delà de son incroyable pouvoir, il était surtout un brillant esprit avec qui Zaar devrait désormais composer sil voulait agir à Sombreden.
« _ Et puisqu'à te voir, j'ai, de toute évidence fait mouche, termina Jarugaar, je vais maintenant te dire pourquoi éliminer Soren servira ton projet tout autant que mes intérêts. »
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A suivre