ouaip bon je suis protégé, mais ça va ptet mieux en le disant !
allez hop, for the road, pour ceux que les magiciens font pas encore gerber
CHAPITRE 7
Le magicien dObyn
Une vingtaine dhommes barbus, dune tribu différente de celle qui lavait capturé tentait à présent de lencercler et leurs regards farouches décrétaient unanimement la mort du chevalier. Celui-ci fit glisser son arc sur la soie rose de sa manche. Sa première flèche atteignit lun des Nawoks en plein front. Une autre flèche perfora le ventre de son voisin. Pheder lança son cheval dans cette brèche fragile et la licorne saida de son appendice frontal pour frapper ceux qui cherchaient à se regrouper. Le corps à corps devint inévitable, car les Nawoks saccrochaient solidement à la queue de lanimal, obligeant le sabre à trancher des têtes menaçantes. Le seigneur dUkbar frappait de grands coups circulaires, avec toute la science dUshidi, et ne rencontra finalement plus de résistance, les grossières épées de silex des Nawoks ne pouvant rivaliser avec larme puissante et la parfaite maîtrise à sen servire du jeune homme. Bientôt, la moitié des féroces agresseurs ne furent plus que des corps mutilés et sanglants, aussi Pheder ordonna au cheval un galop rapide qui acheva de décontenancer les survivants, rapidement distancés. Seuls, derrière lui, quelques jurons Nawok et deux où trois sagaies le poursuivirent dans lécrin vert dObyn.
- « Nawoks kapt om ! » sécria Pheder en ricanant.
Il regrettait labsence déventuelle protectrice dans le rang de ces farouches guerriers dont il devait redouter à présent les rencontres. Sa cape orange ensanglantée flottait sur ses épaules et des crampes tenaillaient ses membres douloureux. Il sélança comme une flèche enflammée au travers de la futaie traîtresse.
Le crime rôdait dans lâme dObyn et lhiver plaçait peu à peu sa tyrannie sur les branches dénudées, en les couvrant de givre. Aucun mot dhomme ne pouvait exprimer un hiver dans la forêt taboue. Silencieuse, elle gisait simplement dans son linceul de neige protecteur, offrant son désert blanc à perte de vue, et shérissait de ses troncs innombrables devenus lamentables, tristes épaves noueuses et ensommeillées. Au milieu de cet hiver, le chevalier Pheder, halluciné, arpentait toujours la forêt frigorifiée, injuriant les corbeaux, quil rendait responsable de ses malheurs. La licorne noire se passait encore de manger et sa robe avait changé pour devenir une épaisse toison suie. Dans les brouillards permanents, elle ébouriffait sa longue crinière pour en chasser les particules de glace qui lendiamantaient. La corne blanche jaillissait entre les oreilles couchées de létalon comme un index pointé sur la direction à suivre. Pheder, habitué désormais à cette particularité de Ramej, sen félicitait même car elle se révélait une arme terrible dont létalon savait se servir. Alors que Pheder trottait sur un sentier vaguement tracé par les animaux de la forêt , il vit un lapin bondir dans une gerbe cristalline pour senfuir dans un fossé en lisière de bois. Il remercia Moud davoir tracé ce chemin qui facilitait sa progression, ce qui contrastait avec la pénible avance sous la morsure du froid, dans les encombrements dObyn, aux premiers jours dhiver. Pheder venait de passer de longues semaines à arpenter cette forêt interminable, sans rencontrer de nouveaux dangers et sa solitude immense dans cet univers hostile commençait à jouer sur sa raison.
Des flocons se mettaient à tomber avec une lenteur étonnante, alors qu'un bruit de marteau frappant lenclume attira l'attention du chevalier solitaire. Il scruta attentivement la forêt; sachant que lhiver les sons portaient très loin. Entraînant sa monture, il pressa le pas en tentant de définir la direction des coups métalliques qui résonnaient toujours. Il songea que la présence dune forge avait quelque chose de parfaitement insolite en ces lieux. Les Nawoks, à ce quil savait, ne possédaient visiblement pas la science des métaux, nayant que des massues, des sagaies ou de malhabiles épées de bois dur. Bien que restant sur ses gardes, Pheder senthousiasmait de rencontrer dans ces bois un son familier; qui n'était pas le fait des cannibales. Il partit résolument sur sa droite en gardant le trot, le sabre au poing. Enfin il arriva en vue dune demeure isolée construite au milieu dune large clairière immaculée, où des traces de pas dhomme avaient griffé en tous sens la neige devant le seuil. La maison bien bâtie se mariait au lierre vigoureux dObyn et humanisait à elle seule lenvironnement si monotone du décor gelé. Les tapes régulières sarrêtèrent soudainement, et Pheder alerté attacha rapidement son cheval à un bouleau solitaire, à proximité de la bâtisse. Un carreau darbalète arriva rapidement en sifflant et poinçonna la manche de Pheder sur le tronc du gros pin devant lequel le chevalier passait, produisant un bruit sec et vibrant. Un ordre retentit, lancé dun appentis qui jouxtait la maison :
- « Ne bouge pas lhomme! »
Lagresseur de Pheder se découvrit enfin, un vieillard vêtu de la longue robe brune des prêtres de Moud le visait de son arme, dans laquelle il avait engagé un nouveau carreau. Il sexprimait très correctement dans la langue des pères dOberayan :
- « Que cherches tu étranger dObyn ? »
- « Je suis le seigneur dUkbar, le chevalier Pheder Ursinis, dOberayan, la fille dAnyg ! »
Pheder testa encore la résistance de sa prise mais constata quil ne pouvait partir. Le vieil homme lui intima lordre de déposer ses armes et Pheder obtempéra, car le fruit de larbalète est un dard exigeant...! Quand larc et ses flèches eurent rejoint le sabre aux pieds de Pheder, lancêtre linvita sèchement à les repousser du pied loin de lui puis il savança lentement lui-même. De cette façon il sempara des armes rendues et examina longuement le sabre des ancêtres sur la garde duquel laigle dOberayan étincelait sa nacre. Le front de lhomme se plissa de rides mais il tenait toujours son arme pointée sur Pheder. Ce dernier était las de sa course interminable dans le tabou dObyn et se réjouissait dentendre la langue de son père. Comprenant à lévidence que cet homme navait rien dun Nawok, dont il ne décernait pas la mise, il décida une pacification. :
- « Je suis le seigneur dUkbar et mon sabre en témoigne ! »
Il répéta son identité en forçant le ton, lautre paraissant samuser à présent des efforts du jeune homme pour paraître sincère. Mais il ne donnait pas encore toute sa confiance. La forêt dObyn nadopte-t-elle pas les formes les plus multiples pour vous dévorer ? Au bout dun moment toutefois, il baissa son arme ostensiblement, mais il fixait toujours Pheder dun oeil perçant :
- « Que viens-tu chercher en ces lieux tabous, si éloignés dOberayan, seigneur dUkbar ?
Pheder répondit aussitôt voyant que son vainqueur lui donnait ses titres et se disposait à taire ses craintes :
- « Je cherche une femme. Une image prisonnière des djinns, une fille dAr la Divine qui implore mon aide et que je connais bien mais dont jignore tout ! »
Le vieil ermite se rassura dun seul coup, il libéra Pheder de sa fâcheuse posture et lui rendit ses armes. :
- « Pardonne à ton ancêtre, mais les Nawoks nont pas peur de perdre lappétit devant mes côtes maigres et mes muscles atrophiés par les années !. Ils osent encore me narguer de temps en temps de leurs pauvres sagaies, aussi je les tient en respect depuis tant dannées que jai pris lhabitude de toujours les vaincre. Un jour pourtant je sais que mes maléfices prendront eux-mêmes lâge de mes artères... Ils déclineront et les Nawoks sabattront comme la grêle, alors ils feront de moi la gloire de leur festin ! Ils y gagneront peut-être limmortalité ! Mais qui peut connaître avec certitude les choses qui ont eu lieu, qui sont où seront ? A part moi, bien sûr, quand les djinns le veulent bien !»
Et le senior partit dans un fou-rire inextinguible. Ainsi Pheder ne sétait pas trompé en désignant Nawok comme étant le nom des cannibales dObyn, il trembla restropectivement à lidée davoir failli remplir leur garde-manger, si on ne lavait pas délivré du poteau aux lugubres masques de djinns. la trace des lianes avait laissé à ses poignets dinesthétiques cicatrices !. Le vieillard qui boitait imperceptiblement le poussa dans sa demeure, linvitant ainsi à profiter de la douce chaleur des lieux. Une fois à lintérieur, lermite poussa la lourde porte en chêne sur les sortilèges dObyn. La forêt réussissait tout juste à faire passer une faible lumière, par une lucarne munie de gros barreaux qui constituait lunique fenêtre de la pièce. Les minces rayons jaunes éclairaient des étagères délabrées tapissant de leurs livres les murs de cet endroit insolite. Dénormes recueils de cuir broché moisissaient sur les rayons piqués de vers et le plafond shabillait de nombreuses toiles daraignées effilochées qui sornaient de poussière. La pièce paraissait avoir vu défiler des siècles entiers et sa crasse relative contrastait avec la charmante façade de la modeste chaumière. Un grand lit au cadre en croûte de pin sculpté de grimaçantes figures des gnomes trônait au centre de la chambre. Le jouxtant, posé sur une table de chevet rudimentaire, un crâne humain muni dune chandelle en cire dabeille dormait les orbites ouvertes, à côté dun parchemin craquelé dannées. Sur chaque mur, des étagères surchargées et disloquées exigeraient bientôt leur remplacement.
Au fond dune seconde pièce, Pheder ne cacha pas sa stupeur en voyant une sorte de large établi de briques déjointes encombré de bocaux colorés, de cornues pleines de décoctions aux reflets chatoyants, et qui courait tout le long des cloisons de la salle. Dans le reflet jaune dun gros bocal brun, Pheder samusa à découvrir des similitudes avec les irisations ambrées déjà perçues dans lil de son énigmatique bien-aimée. Sous certains globes aux verres transparents, un petit foyer faisait bouillir leur mystérieux liquide, qui éclatait en bulles multicolores et ronflantes. Plus loin, un alambic au serpentin tortueux produisait sa semence minutée. Tous ces appareils palpitaient et vivaient de leur propre phénomène... Une vapeur bleuâtre, très jolie à observer, tournoyait au-dessus dun large chaudron de cuivre doù séchappait de multiple becs, pour remplir les nombreuses fioles posées à ses pieds. Un samovar du même métal frotté luisait dans un coin et présentait à Pheder son délicat robinet ouvragé. Lobjet ne pouvait être luvre que dun artisan dOberayan, ce dont témoignaient les motifs maritimes ciselés. De chaque côté de la cheminée, simple âtre de pierre dans lequel un trépied dormait, saffrontaient en chiens de faïence deux banquettes de repos. Montées sur leurs pieds ornés de griffons, elles permettaient de jouir de la vue dObyn par la fenêtre située en face delles. Sur une table en noyer où lermite prenait probablement ses repas, de petits creusets de forge attendaient leur part de métal, à côté de curieux moules géométriques. Sur certains pots, des étiquettes jaunies trahissaient la présence de divers contenus pulvérisés au mortier, comme la coquille doeuf, la brique, la cendre et différentes teintures.
Une énorme chouette effraie vola sans bruit dans la pièce; par-dessus lépaule de Pheder. Ses grandes ailes silencieuses éventaient sa tête privée de cou, plongée dans une corolle blanche mouchetée dor. Lanimal hulula lugubrement et vint se poser sur lépaule de son maître. Celui-ci ne souffrait pas outre-mesure de la pression aiguë que devaient provoquer les croissants roses des serres acérées du rapace. Loiseau replia ses ailes et lissa ses plumes, puis il fixa Pheder de ses grands yeux noirs et ronds, répliques exactes de ceux du vieillard. La chouette hulula de nouveau, tendant le cou aux caresses de son maître. Le jeune homme songea quil ignorait toujours le nom de létrange alchimiste solitaire. Lameublement de son logis prouvait en effet lévidence de ses occultes recherches, et Pheder connaissait ces instruments aux potions colorées, car la sorcière des bois dUkbar, lEmer Soufir, possédait les mêmes. A la demande de son hôte, Pheder sassit docilement sur un banc, les coudes sur la grande table en noyer. Il continuait dêtre subjugué par les mille et un détails quil découvrait dans le fouillis du décor. Il se tourna vers le grand-père :
- « Quel est votre nom ? »
- « Je mappelle Radja Minesh Lubitz, et Lubitz était le nom de mon père, lorsque jhabitais encore lOberayan. Tu peux mappeler Radja si le Minesh tennuies ! Nous sommes compatriotes, si jai bien compris! Eh bien!, scellons notre rencontre due à la main de Moud... »
Sur ces mots il avait posé une appétissante assiette de fromages et une grosse miche de pain brun. Le chevalier ne pouvait manquer de faire honneur à un tel festin. Il voulait tout connaître sur Radja, car à part Ushidi, cétait le deuxième véritable ancêtre quil voyait en vie :
- « Comment vous procurez vous toutes ces merveilles ? »
- « De lautre côté de la maison, sur la partie nord , jai construit une étable et tracé un jardinet avec un potager qui ne refuse jamais de me nourrir. Dans létable jai trois chèvres, leur bouc et une vache et ils sont tous aussi vieux que moi, ce qui nest pas peu dire ! »
En mangeant sa tartine, Pheder avait deviné les joies secrètes du magicien dObyn et se laissait pénétrer par le goût fabuleux de lexquis fromage. Toutefois Pheder ne comprenait pas quun homme de lîle puisse réellement vouloir vivre au milieu de la forêt interdite. Radja apporta ensuite un chandelier de cuivre quil alluma grâce aux allumettes de sa fabrication. Trois chandelles éclairèrent la pièce car le soir tombait. Radja tira ensuite un rideau de velours pour masquer lunique fenêtre :
- « Il y aura de la neige ce soir, je vais poser les volets, de plus, ce matin, jai aperçu des loups ! »
Radja Minesh était pris dans lengrenage de lanxiété routinière, il releva la capuche de la robe élimée qui lui couvrit toute la tête, et sortit mettre les panneaux de bois devant la fenêtre. Pheder entendit le raclement des sabots dans la neige; un loup hurla à proximité, suivit dun autre, et de timides flocons de neige pailletèrent un ciel ou la lumière se mourait. Radja détacha le cheval de Pheder pour le rentrer à labri en compagnie de ses propres animaux et se mit à jurer en apercevant la corne sur le front de Ramej. Maintenant, Obyn se taisait enfin vraiment, car la chute de neige redoublait dintensité. Pheder avait posé précautionneusement son collier sur la table, à côté du sabre sacré. Radja revint sinstaller à sa place après sêtre un moment occupé près de la cheminée. Il tendit à Pheder un bol en terre cuite rempli dune tisane miellée et invita Pheder à le joindre au coin de lâtre où le feu vigoureux permettait doublier la froidure de lextérieur. Entre la chaleur réconfortante des flammes et les suaves gorgées du liquide brûlant, le seigneur dUkbar raconta au magicien le détail de ses aventures. Lorsquil eut fini son récit, il écouta à son tour Radja Minesh parler de lui. Une seule chandelle restait encore en lice pour combattre la nuit. Dans cette lumière tremblotante, le visage du sorcier avait pris la teinte de la cire. Le temps sarrêta et la chouette ferma les paupières. Ainsi parla Radja :
- « Je suis fils dOberayan, comme toi, chevalier ! Mais je pourrais être larrière-arrière-grand-père de larrière-grand-père du grand-père de ton grand-père, que leurs esprits taccompagnent dans ta quête ! Je nai plus dâge car ayant bu lélixir de longue vie, je bénéficie de léternelle jeunesse, si lon peut dire, compte tenu de lage déjà avancé qui était le mien à cette époque. Je partagerai peut-être avec toi ce secret, si je vois que tu le mérites. A part les rois et les maîtres darmes dOberayan, personne na pu vivre aussi vieux que moi sur lîle-citadelle, et nul ne le pourrais. Je suis le gardien de toute la tradition magique dOberayan, (si lon excepte ces fieffés maître darmes, et cette rouée dEmer Soufir!) bien plus vaste que ce quen donne lésotérique condensé du Livre de Moud. Autrefois, en des jours qui ont fuient ma vaste mémoire, javais atteint lâge du sacrifice... On avait choisi pour moi un nourrisson que je devais parrainer. Lenfant se voyait à peine dans le ventre de sa mère que je décidais de fuir (oh ! sacrilège !) lîle-citadelle, car je nétais pas résolu à mourir. »
Pheder regardait de biais Radja Minesh car il avouait si facilement son crime... Évidemment le motif expliquait cette fuite insensée dans les entrailles dObyn. Défier Moud en gardant sa vie ! Et il suggérait quil fût immortel !!! Malgré lui, Pheder plaignit le pauvre enfant que le vieil homme avait privé de sa protection tutélaire. Il se remit à lécoute du sorcier :
- « Les premiers jours de ma fuite mont conduit sur les terres dUkbar. Autrement dit, sur ton fief, chevalier ..! Je fus recueilli par une jeune veuve solitaire qui sut me protéger de la vengeance populaire. En échange de sa coopération, et hum !, de beaucoup dautres choses, je lui proposai de partager ma science. Aussitôt intéressée, elle put me fournir le matériel nécessaire à mes expériences. Là je linitiais aux mystères de lalchimie et de la magie. La théurgie et la goétie lui furent bientôt acquises dans toutes leurs diverses pratiques. Elle apprenait vite et se montrait vraiment très douée dans ces arts, possédant toutes les clés intuitives pour libérer les mystères de linvisible. Mais elle possédait elle-même un bien inestimable, une fiole remplie de leau imputrescible du puits de jouvence, volée aux Elfes, selon ses dires. Plus tard, jen versai quelques gouttes dans ce puits qui sadosse aujourdhui au pignon de cette maison, car cest la raison qui ma fait construire cette maison et vivre ici, pour ne plus le quitter, en somme. Ma protectrice de lépoque sappelait Emer Soufir. La connais-tu, toi, le maître dUkbar ? »
Pheder naurait jamais deviné limmortalité de la vieille Soufir, mais maintenant quil y réfléchissait, la sorcière aurait du être sacrifiée elle aussi. Dans son enfance, son père lui avait raconté quau moment dêtre laissée à Moud on trancha la tête dEmer Soufir. Elle avait tiré la langue à la foule avant de replacer sa tête sur ses épaules branlantes, et il fut impossible de lui faire quitter la vie. Pheder navait jamais cru les racontars de ses parents à propos de la vieille sorcière, laquelle se maintenait bizarrement en permanence dans cette limite dâge qui envoyait les vieux dOberayan dans les bras de Moud. On savait quelle était très vieille, mais on ignorait quelle fut immortelle. Aussi la laissait-on en paix dans les bois dUkbar à pratiquer les magies sur les poils de Moud. Pheder rassura Radja sur le sort de son ancien élève. En entendant ces mots, lhomme aux joues creuses passa sa main exsangue dans le fouillis de sa longue barbe :
- « Veinarde! rusée bonne femme !... Je nai pas eu, quant à moi, autant de chance. Après quelque temps je décidais de quitter Emer Soufir pour briser le tabou dObyn. Jaccumulais ainsi les pires fautes en passant outre aux lois des ancêtres. Mais ne suis-je pas en quelque sorte un ancêtre vivant ? En tout cas je pris les droits que je navais pas et minstallai ici, après bien des aventures. Jai dû combattre les mêmes dangers que les tiens, et même dautres, plus terribles encore ! Peut-être suis-je devenu définitivement intouchable par la force perverse de mon affront à Moud. Jai obtenu léternelle vie grâce à lingrédient Elfique dEmer Soufir : cest la seule eau et la seule épice qui vaille. Il reformula sa vague promesse : Je ten donnerai une fiole, peut-être
Donc, dès que je jaccédai au puits de jouvence je construisis de mes mains cette maison, et depuis tout ce temps sa charpente fait le bonheur des mulots, ma brave Bûhck a beaucoup de travail !»
A lécoute de son nom, la chouette contracta ses paupières et fixa Pheder de ses trouées noires. Puis elle se rendormit aussitôt sans bouger. Après lavoir caressé légèrement, Radja reprit : -« Notre rencontre, chevalier, nest sûrement pas le fruit du hasard. Jai bousculé les traditions, mais toi-même, tu as franchis le tabou dObyn et tu est toujours vivant... »
Enfin les yeux du sorcier se posèrent sur le sabre de Pheder. A cette interrogation muette, Pheder expliqua longuement comment il avait tué Ushidi, le dernier maître darmes, et comment il était très jeune devenu le seigneur dUkbar. A son tour fasciné par les paroles de son jeune invité, Radja laissa longuement errer son regard sur le sabre sacré. Après une longue gorgée deau tiède et parfumée il reprit :
-« je lui dois la vie ! »
Alors Radja Minesh Lubitz expliqua comment il avait rencontré un cavalier, portant un javelot dor et un écu dargent :
- « Cet homme étrange venu on ne sait doù, une sorte dandrogyne, dailleurs, affirma lalchimiste, commandait une tribu de Nawoks. Jai appelé les djinns de la mort sur la tête des Nawoks quand ils vinrent une fois de plus mencercler. Jétais retourné à la « Roche aux loups » pour y cueillir les herbes uniques qui sy trouvent. Quand tout les nez des Nawoks furent bouchés, seul restait le chevalier au javelot dor, insensible à mes enchantements, il poussa un cri en se jetant sur moi. La lance en or me manqua de peu. Cest alors quapparut dans le ciel le sabre des ancêtres, brillant comme le soleil, et il se présenta devant moi dégainé et luisant, flottant dans lair chaud. Aussitôt je men saisi et dès quil fut à ma portée, je le plongeais dans les côtes de lhomme aussi stupéfait que moi de cette manifestation des djinns. Celle-ci navait rien à voir avec ma magie et je restai très intrigué. Cependant javais porté un coup mortel à linconnu dont tu portes les armes. Je remarquai que le sabre portait laigle sacré incrusté sur son manche. Javais frappé avec le secours providentiel des « Saints Ancêtres » dOberayan ! et moi lincroyant, le renégat, je fus plongé dans un abîme de perplexité. Je me dis que lemprunt sacrilège du sabre me vaudrait la malédiction définitive de Moud. Je portais simplement le cadavre, alourdi de son or, vers le tronc dun arbre proche sans retirer le sabre sanglant de sa poitrine. Alors intervint un sortilège étrange digne dun Gobelin : le cadavre se transforma instantanément à létat de squelette ! ; Je quittai rapidement cet endroit et les restes stupéfiants de létranger, puis Je revins chez moi et me sculptais par précaution dans le merisier cette arme qui aurait pu te tuer... »
Ce disant il désigna larbalète posée sur la cheminée, puis, ayant tout dit, le vieil ermite se racla la gorge. La chandelle survivante, comme sur un ordre inaudible de la nuit dObyn, séteignit elle aussi.