Citation :
Lille sous le choc de la fermeture de son usine de cigarettes
LE MONDE | 25.07.03 | 14h00 ? MIS A JOUR LE 25.07.03 | 14h18 Le choc est rude, à Lille, après l'annonce, mercredi 23 juillet, de la fermeture, d'ici deux ans, de la dernière usine de l'ancienne Seita, par le groupe de tabac Altadis. Ce site de production de cigarettes est le plus gros employeur de la ville, avec 456 salariés. La direction régionale de distribution d'Altadis sera aussi fermée, à la fin 2004, entraînant la suppression de 69 postes. Survenant après celles de Metaleurop, Stein-Industrie Energie (ex-Alstom), Coventry (ex-Lever), cette fermeture contribue à aggraver le climat social dans une région où quelque 4 000 emplois ont été supprimés depuis le début de l'année. Jeudi, Jean-Pierre Raffarin a promis un "contrat de site". Martine Aubry, la maire (PS) de Lille, dénonce, dans un entretien au Monde, la décision "incompréhensible" d'Altadis.
Lille de notre correspondant régional
A Lille, tout le monde l'appelle encore "la Seita". Après la fermeture de celle de Fives-Lille Cail, cette usine est restée le plus important employeur privé de la ville (456 salariés). C'est aussi la plus ancienne.
Elle a ouvert ses portes dans le quartier du Vieux-Lille - devenu aujourd'hui celui des commerces de luxe - en 1811, sous l'Empire. Cent quinze ans plus tard était créée la Société nationale des tabacs et allumettes (Seita). Après son déménagement, en 1965, sur un terrain à la limite des quartiers populaires de Moulins, Fives et Hellemmes, on y fabriquait 13 milliards de cigarettes par an, soit le quart de la production nationale de l'époque. Survenant après celles de Metaleurop, Stein-Industrie Energie (ex-Alstom), Coventry (ex-Lever), l'annonce de sa fermeture fin août 2005 a fait l'effet d'une douche froide dans une région où quelque 4 000 emplois ont été supprimés depuis le début de l'année.
Le bruit courait d'un éventuel plan social pour cause de baisse constante (- 13 % par an) de la consommation des cigarettes brunes en France. Mais personne n'imaginait une cessation d'activité pure et simple. D'autant plus que, pour porter sa capacité annuelle à 19 milliards de cigarettes (11 de brunes et 8 de blondes), l'entreprise avait investi il y a trois ans dans l'achat de nouvelles machines ultrarapides, et avait embauché 147 salariés.
Laurent Duvivier, 31 ans, engagé le 1er novembre 1999 est de ceux-là. Dans le "couloir des pas perdus" de l'immense usine, il ne cachait pas son amertume, jeudi 24 juillet en fin de matinée. "J'étais fier d'y entrer, raconte-t-il. Pour moi, c'était l'assurance d'un emploi stable et bien rémunéré." Sa compagne travaille à Valenciennes, et le couple était sur le point d'acquérir une maison pour s'installer avec leur enfant dans la région lilloise. Il se félicite aujourd'hui d'avoir attendu. "Un collègue mécanicien embauché en même temps que moi doit emménager ce week-end dans la maison qu'il vient d'acheter", dit-il.
"Ils sont allés débaucher des spécialistes qui les intéressaient, s'insurge Serge Bourdeille, secrétaire du comité d'établissement et représentant CGT au comité central d'entreprise. Le dernier en date, un électricien, a été engagé il y a trois mois. On lui a dit que c'était pour trente ans !"
Le directeur de l'usine Laurent Chabanne rétorque que "répondre aux besoins d'une entreprise locale" en investissant et en embauchant et "faire une étude de rationalisation internationale sont deux choses différentes". Il reconnaît que l'établissement lillois est le plus important du groupe en France. Mais, ajoute-t-il, "à l'horizon 2006, il se fumera deux fois plus de brunes en Espagne qu'ici". Il faut désormais, selon lui, "se concentrer sur le plus important : trouver une solution pour chacun des 525 salariés" - 456 à l'usine et 69 au centre attenant, chargé d'assurer l'approvisionnement des débitants de la partie Nord de la France.
"SOLUTIONS TEMPORAIRES"
Le groupe propose des mesures financées pour les plus de 50 ans, soit de 230 à 240 personnes, et des reclassements internes dans les unités françaises de fabrication de blondes (où une centaine d'emplois seront créés), dans celles de fabrication de cigares ou dans les centres de distribution. "Nous prendrons aussi les moyens d'aider au développement du tissu économique local et à la mise en place de dispositifs d'assistance pour le reclassement des salariés en externe", ajoute le directeur.
S'ils semblent considérer la fermeture comme inéluctable, les syndicats doutent de l'efficacité du reclassement des plus jeunes. L'expérience de leurs camarades de Metaleurop ou de LU, à Calais, leur démontre, s'il en était besoin, que la situation régionale de l'emploi ne s'y prête guère. David Tourbier, délégué CGT, embauché il y a huit mois, est un ancien de l'usine Coventry (ex-Lever) en liquidation : "Nous sommes quatre dans ce cas", dit-il. "J'ai 57 ans et je n'y perdrai rien. Mais les camarades âgés de 50 à 53 ans auront une indemnité dégressive de 70 % de leur salaire", ajoute Serge Bourdeille.
"Et l'on n'est pas assuré que les autres sites français, moins importants que le nôtre, ne seront pas, à leur tour fermés. Les reclassements internes ne sont peut-être qu'une solution temporaire, renchérit Yves David, secrétaire de la Fédération syndicale des agents de la Seita (FSAS-UNSA). L'usine lilloise est la meilleure unité française du groupe au niveau coût de fabrication et qualité. Selon moi, cette fermeture est une délocalisation cachée. Au moment de la fusion avec les Espagnols, l'usine qui va accueillir la fabrication de toutes les brunes était déjà en construction à Alicante."
Les syndicats, qui ne se privent pas de souligner les bons résultats du groupe et - précise la CGT - ses 900 millions d'euros de réserve financière, semblent partager cette inquiétude. "Le groupe Altadis vient de racheter la régie nationale des tabacs marocains, rappelle Serge Bourdeille. Il n'y pas de raison qu'ils n'y délocalisent pas aussi certaines fabrications." "Comment accepter pareille décision prise dans un seul souci de compétitivité d'un groupe dont la situation financière est bonne, s'interroge, pour sa part, le président du conseil général, et député (PS) Bernard Derosier. Il s'agit d'un exemple de plus du comportement d'un patronat pour qui la dimension humaine n'a pas de valeur."
|