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La Douma s'attaque au droit à manifester
LEMONDE.FR | 31.03.04 | 19h26 Les rassemblements contraires aux "normes communément admises de la morale" seront interdits. L'opposition dénonce une atteinte aux valeurs démocratiques. Une loi restreignant fortement le droit à manifester en Russie a fait son premier pas mercredi 31 mars à la Douma - la chambre basse du Parlement -, où elle a été adoptée en première lecture, provoquant les protestations des libéraux, qui dénoncent une nouvelle attaque contre les libertés civiques.
Le texte établit une longue liste d'endroits près desquels toute manifestation est interdite. Il s'agit notamment des bâtiments abritant la présidence, les administrations fédérales, les organes des sujets de la Fédération et des pouvoirs locaux, les ambassades et organisations internationales. Si ce projet de loi est définitivement adopté, il sera également interdit de manifester à proximité des hôpitaux, des écoles, des centres culturels et sportifs, ou encore près des autoroutes, des voies d'eau et des lignes à haute tension.
Les moyens sonores de manifestation comme le porte-voix seront interdit, car trop bruyants, tandis que les organisateurs devront obtenir une autorisation de manifester au moins dix jours avant la date prévue pour le rassemblement. Par ailleurs, les autorités locales pourront interdire toute manifestation dont l'objectif et la forme iraient à l'encontre "des normes communément admises de la morale", ainsi que celle dont les organisateurs n'auraient pas observé ces règles lors de meetings précédents. Le projet a été adopté en première lecture mercredi, par 294 députés - pour une majorité requise de 226 voix -, 137 se prononçant contre, et un parlementaire s'abstenant. Le parti pro-Poutine Russie unie, qui dispose d'une majorité absolue à la chambre basse, a soutenu le texte à l'unanimité et Vladimir Vassiliev, député de Russie unie et chef de la commission parlementaire pour la sécurité, a estimé que ce projet de loi était une bonne chose. "Nous avançons sur le chemin de l'Etat de droit", a-t-il soutenu devant les journalistes.
ATTAQUE "CONTRE LES VALEURS DÉMOCRATIQUES"
"La liberté de parole n'existe plus en Russie : il n'y a plus moyen de discuter des problèmes essentiels du pays", a dénoncé le chef du parti libéral Iabloko, Grigori Iavlinski, sur la radio d'opposition Echo de Moscou, soulignant que la critique à la télévision était déjà devenue impossible. La société russe est "du point de vue des droits dans la même situation" qu'à l'époque soviétique, avec une "Constitution démocratique, mais dont les dispositions ne sont pas appliquées", a-t-il ajouté. Le parti libéral Iabloko a également dénoncé une "nouvelle démonstration de l'offensive frontale menée par la bureaucratie contre les droits et libertés civiques", estimant cette loi inspirée par "les structures de force qui exercent une pression toujours plus importante sur la société".
Mercredi, dans la matinée, la police avait interpellé des membres du parti qui manifestaient devant la Douma pour protester contre ce texte. Alors qu'ils manifestaient avec une vingtaine d'autres personnes, le vice-président de Iabloko, Sergueï Mitrokhine et deux membres du parti ont été emmenés par la police. "M. Mitrokhine avait sous le bras un exemplaire de la Constitution russe dont l'article 31 précise que tout citoyen russe a le droit de manifester librement s'il n'est pas armé", a raconté le secrétaire du service de presse du parti, Sergueï Loktionov. M. Mitrokhine, interpellé pour "participation à une manifestation non autorisée" a été relâché plus tard dans la journée.
Ce projet de loi est "une attaque sérieuse contre le droit à manifester. Il rend toute manifestation inutile : avec ce nouveau texte, on ne pourra protester que loin des yeux des responsables", a également regretté le défenseur des droits de l'homme Lev Ponomarev.
"Le pouvoir russe poursuit ses attaques contre les valeurs démocratiques", a renchéri de son côté l'organisation écologiste Greenpeace. Ce texte "supprime en fait la possibilité d'organiser des piquets, des manifestations ou toute autre action qui serait mauvaise pour le pouvoir".
Il reste encore deux lectures par les députés de la chambre basse, puis une signature du président Vladimir Poutine pour que le projet de loi soit définitivement adopté.
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